Stratégie de développement et affranchissement : Pour une académie des sciences morales et politiques

Pour millénaire ou traditionnelle qu’elle soit, lorsqu’une façon de gérer la chose publique, recherchant légitimement le bien-être du plus grand nombre qui, somme toute, est la finalité de toute politique publique saine, ne donne pas les résultats escomptés, la bonne intelligence voudrait que l’on marque une pause pour permettre sa réévaluation. Intellectuels que nous sommes, qui concevons et gérons des projets avec l’apriorisme d’une culture qui n’est pas totalement la nôtre et qui n’est certainement pas tout à fait en adéquation avec nos sensibilités et notre environnement social ; 

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qui empruntons aux pays développés, sans se poser trop de questions, des théories, des techniques économiques et financières toutes faites, devrions par moments avoir la sagesse et le courage de les revisiter ; de nous en écarter, le cas échéant, et d’envisager des solutions sinon alternatives du moins adjuvantes. Quel cadre convient le mieux à ces réflexions profondes relativement à la gestion des affaires de l’Etat si ce n’est celui d’une académie des sciences morales et politiques?

Un exemple d’affranchissement de tutelle économique

Le cas du Bouthan, petit pays d’Asie du Sud d’à peine 3 millions d’habitants mérite sympathie par sa résolution à trouver un indice original d’évaluation du bien-être des citoyens mais aussi par le rayonnement discursif de son innovation de par le monde. Le Bouthan a tout simplement décidé de remplacer la notion du produit national brut (PNB) par le concept du bonheur national brut (BNB) ; il a innové pour tenir compte de la philosophie boudhiste de son peuple et pour mettre l’accent sur le bien-être des citoyens. Le PNB résulte de l’accumulation de toutes les productions du pays sur une année ; il mesure son niveau de richesse matérielle pris dans son ensemble et de façon anonyme mais il ne figure en rien le bien-être du citoyen. Le Bouthan a donc inventé de toutes pièces l’indice BNB en remplacement de l’indice standard du système capitaliste libéral. Mais ce n’est pas dire que ce nouvel outil d’appréciation soit la résultante de considérations subjectives quand bien même il évalue la richesse en des termes plus psychologiques et holistiques c’est -à- dire tenant le plus grand compte de l’environnement socioéconomique des populations. Quatre principes le régissent : croissance et développement économique ; conservation et promotion de la culture bouthanaise ; sauvegarde de l’environnement et la promotion du développement durable ; bonne gouvernance. Le Bouthan avait vu juste puisqu’à la suite de son innovation, il n’est pas jusqu’à l’organisation des Nations Unies elle-même qui ne s’en soit inspirée. En effet c’est sur le fondement du BNB qu’elle a mis au point un indice de développement humain reposant sur les paramètres que sont : le produit intérieur brut (PIB) par tête d’habitant ; le niveau de formation et l’espérance de vie à la naissance. Cet indice est en vigueur depuis une quinzaine d’années. Par ailleurs, depuis 2008 la France cherche à s’inspirer de l’indice du bonheur national brut sans y parvenir encore. Peut-être l’attendons-nous pour innover à notre manière? En tout état de cause le Bouthan est d’autant plus méritant que sa trouvaille date de 1972 tout juste au lendemain de son accession à la souveraineté nationale en 1971 après avoir pourtant subi l’influence de l’idéologie économique de la Grande Bretagne sous un protectorat qui a duré une quarantaine d’années. Nous avons évoqué ce cas de rupture de conception en matière d’économie, encore qu’il ne s’agisse que d’un outil de mesure, pour faire valoir par extrapolation que les théories économiques n’ont pas vocation à s’imposer universellement et que les économistes des pays en développement devraient faire preuve de clairvoyance en cherchant systématiquement à les adapter à l’environnement dans lequel évoluent leurs concitoyens, si eux-mêmes ne peuvent en inventer. L’occasion faisant le larron, les questions que m’inspirent l’initiative du Bouthan et qui turlipinent mon esprit sont les suivantes : comment mesurons-nous le niveau du bien-être du citoyen moyen béninois ; comment mesurons-nous l’impact réel des aides publiques au développement sur notre économie ; nous aident t-elles véritablement ou retournent t-elles à leur origine et dans quelles proportions? Quel indice nous permet de connaitre l’efficacité réelle de tous ces projets auxquels nous collons d’entrée de jeu l’épithète de développement sans même attendre leurs premiers effets?

Le conformisme du système économique béninois

L’histoire politique a donné à notre économie le sceau capitaliste et libéral signifiant clairement que notre pays a fait l’option d’une gestion économique selon les normes de la loi du marché, la libre concurrence, l’équilibre de l’offre et de la demande, le laisser-faire et la non intervention de l’Etat ; le tout soutendu par une philosophie somme toute individualiste. Notre économie a adopté tout ensemble théories de gestion et techniques d’appréciation des résultats, système et ratios de l’ancienne puissance occupante. Ce moule convient-il en l’état à l’esprit et au tempérament béninois ? Il est vrai qu’en tant que système économique le libéralisme semble ancré profondément dans la nature humaine à telle enseigne que de tout temps les gouvernements ont eu fort à faire pour imposer un système alternatif lui faisant de l’ombre. Le Parti de la Révolution Populaire du Bénin a eu maille à partir avec les camarades que nous étions tous devenus, à nous convertir, une quinzaine d’années durant, a sa philosophie marxiste léniniste ; il en a fait les frais et a dû faire marche arrière. La République populaire de chine a camouflé la chose sous l’énigmatique mais non moins efficace politique de : « un pays deux systèmes » mise en place par Feu Deng Xiao Ping. En réalité elle n’a pas pu résister à la poussée de l’esprit libéral et à la prise de conscience de la propriété privée des populations ; aussi a-t-elle a fini par créer l’échappatoire des zones dites spéciales où elle a laissé le capitalisme libéral évoluer en bonne et due forme à l’intérieur même du territoire national. Hong kong était déjà, depuis le temps de sa concession à la Grande-Bretagne, la porte discrète du capitalisme ouverte à la République populaire de Chine par où elle commercialise toute sa production de qualité se constituant ainsi au fil des années d’importantes devises qui font d’elle aujourd’hui une puissance incontournable en termes de finances internationales. Nous sommes un pays pauvre à hauteur de plus de 60% de la population et cette donne ne régresse pas depuis un bon moment déjà ; tant s’en faut. Sa gestion ne mérite t-elle pas alors d’être repensée. A cet égard il serait judicieux qu’une politique conséquente se fondant sur une nécessaire solidarité nationale et rationnelle soit inventée pour tenir compte de cette situation de grand écart social entre les différentes couches et qui conduit à la paupérisation croissante de la majeure partie de la population. Il est vrai que le ressort du libéralisme économique est le capital et que la solidarité ne peut s’y faire une place spontanément; elle qui induit pourtant l’aspect social de toute gestion économique. Les esprits éclairés de la Nation ont le devoir moral de réagir et d’innover en pareille circonstance.

Solidarité et sentiment d’appartenance

La solidarité est un atout naturel dans notre société mais elle revêt dans la plupart des manifestations un caractère personnel : elle est paradoxalement individualiste dans la mesure où elle est avant tout le fait de la décision personnelle d’un individu ou d’un groupe d’individus: elle est émotionnelle, discrétionnaire et ‘’ unidécisionnelle’’ ; elle titille la charité. Ses expressions sont spontanées, ponctuelles et sporadiques entremêlant des fois altruisme, générosité et orgueil. En définitive elle fait le spectacle à bien d’égards. Lorsque le citoyen nanti vole, en termes de dons en nature ou d’enveloppes garnies, au secours des populations de SO AWA ravagées par une incendie ; lorsqu’il opère de même manière envers les commerçants du marché Gbégamey détruit également par fait d’incendie ; lorsqu’un groupe de personnes apporte une assistance financière à des sinistrés du fait des inondations, il s’agit d’une solidarité de même nature ; elle est discrétionnaire et bien souvent sans lendemain. En tout état de cause il demeure que dans notre société, la notion de solidarité traditionnelle se développe ainsi dans la confusion et le mélange. Il convient de se la réapproprier et en faire un réel facteur social de développement d’autant qu’elle n’implique pas nécessairement de la part des donateurs, le sentiment d’appartenance au groupe qu’ils assistent.

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Les regroupements politiques modernes telle l’Union européenne en appelle souvent à la solidarité mais force est de reconnaître qu’il s’agit dans ce cas de figure, d’une solidarité politique et rationnelle manifestant l’esprit et le sentiment de dépendance réciproque fondée sur la nécessité vitale de maintenir la cohésion du groupe. C’est en raison de cette solidarité-là que l’Union a décidé de sauver la Grèce de la faillite ; qu’elle lui a fait une remise de dettes tellement colossale qui ne peut s’expliquer que par l’interdépendance des économies la composant. En effet qu’aurait-il advenu de l’Union et singulièrement de la zone euro si la Grèce quittait l’espace européen dont les économies sont devenues interdépendantes et si fermement imbriquées ? Alors il valait mieux consentir à toute force les sacrifices requis pour la sauver du naufrage quitte à la mettre sous tutelle. Les pays de l’Union se sentent ainsi moralement obligés les uns par rapport aux autres. Le sentiment d’appartenance prévaut.

Ce sentiment n’a pas encore mûri chez nous autres africains et les diverses stratégies de division de l’ancienne puissance occupante ne sont pas étrangères à cette situation. Encore que la gestion politique énergique de la présente crise malienne par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest assistée de l’Union africaine préfigure l’éclosion de ce sentiment d’appartenance et cela est fort heureux

Réorienter la solidarité nationale

Certes, il n’y a pas de solidarité quelle que soit la forme de son expression sans un tantinet d’émotion qu’elle soit spontanée ou réfléchie mais nous pensons qu’en tant que pays en quête de développement nous nous devons de chercher à en faire un réel outil de développement en vue précisément de réduire les écarts entre les différentes couches sociales. Pour y parvenir l’on devra la récupérer, la réorienter et la rationaliser. La récupérer d’autant plus aisément qu’elle est un acquis, un atout moral naturel de notre société.Elle se manifeste de plusieurs manières que ce soit par les tontines ou par l’assistance généreuse en cas d’évènements heureux ou malheureux. La récupérer d’autant plus opportunément que de nos jours le gouvernement a mis en place le cadre adéquat pour ce faire le partenariat public privé sur fond de philosophie participative. Mais, de toute évidence, cette stratégie n’aura de contenu effectif et ne prendra corps que si elle implique le grand privé opérant sur l’ensemble ou du moins sur la majeure partie du territoire national Les grandes sociétés de la place devraient être mises à contribution pour matérialiser ce partenariat que préconise le Chef de l’Etat. Elles devraient servir de support pour mettre en place une vaste et vraie politique de solidarité susceptible de rapprocher les couches sociales de la Nation et de générer une meilleure cohésion de la population. Pour faire court le principe serait de mettre des ‘’ taxes de solidarité nationale’’ sur les articles de grande consommation produits par les sociétés en question et consommés par l’ensemble de la population ; de les récolter, de les soustraire au principe de non affectation des ressources et d’en faire une gestion individualisée et transparente pour financer des projets et actions à caractère éminemment social. Le‘’Fonds de solidarité nationale ‘’ainsi créé recevra également les contributions volontaires des bienfaiteurs, personnes physiques ou morales. Nous concevons fort bien que les identités de ces derniers soient inscrites dans un livre d’or et que publicité méritée soit faite autour de leurs actions. De plus l’Etat devrait les encourager dans leurs actions en étudiant la possibilité de déduire leurs contributions au fonds de solidarité nationale, des impôts qu’ils pourraient lui devoir. Les fonds ainsi recueillis par les taxes de solidarité nationale et les dons iront alors alimenter le Fonds de solidarité nationale qui sera installé au niveau de chaque département géographique servant ainsi d’appui structurel à une politique de solidarité intégrée. Au demeurant, le processus aura tout à la fois l’avantage de rationaliser et d’institutionnaliser les actes de générosité qui attendent les fins d’années ou les catastrophes de toutes sortes pour se manifester tambour battant, publicité, marketing et autres intentions s’y mêlant, dénaturant de ce fait la noblesse même de la notion de solidarité tout en la vidant du caractère essentiellement permanent que nous lui voulons. De plus l’esprit peut rechigner à ces actes de solidarité individuelle que l’on dispense avec forte médiatisation, où les personnes censées en bénéficier, les bras croisés ou le front dans le sable, s’épanchent en éloges et en remerciements à n’en plus finir ; ce n’est pas toujours un beau spectacle ; il frise des fois l’avilissement. Au reste ma remarque n’enlève rien à la l’utilité et à la magnanimité des actes des donateurs ; l’altruisme qu’ils déploient mérite d’être salué cependant que l’Etat devrait nous inciter à donner plutôt aux organismes qui eux se chargeront de donner de façon plus anonyme et certainement plus respectueuse de la dignité de ceux qui reçoivent.

Lorsqu’ un pays procède à des prélèvements sur les salaires au titre de la solidarité, c’est qu’il fait déjà de la solidarité un élément de développement. C’est le cas de la côte d’Ivoire qui retient 1% sur les salaires au titre de la ‘’ contribution nationale de solidarité’’ ; c’est également le cas de la France qui prélève sur les salaires bruts un impôt de 5% au titre de la ‘’ contribution de solidarité’’ et un ‘’ impôt de solidarité sur les fortunes’’ des personnes physiques dont le patrimoine excède 515.000.000 de nos francs. Mais nous autres n’avons déjà pas quelque chose de pareille. En définitive la solidarité rationnelle, facteur de développement telle que nous la percevons serait l’association des taxes de solidarité nationale sur les produits de grande consommation plutôt que sur les salaires -ce qui parait plus équitable- et des contributions volontaires ; le tout appuyé par la promotion du sentiment d’appartenance à une même cause : celle du solidaire dans la lutte contre la pauvreté.

Monsieur Dominique de Villepin, personnalité politique française, avait raison de donner à la formation politique qu’il a créée naguère, la dénomination de Parti de la République solidaire. Il a le mérite d’accorder au solidaire le rôle qui lui revient dans la gestion moderne des affaires de l’Etat, lié qu’il est aux interdépendances des sociétés modernes ; une société où chacun dépend de l’autre. Nous sommes un pays dont la particularité est d’être pauvre ; nous sommes un pays où tout le monde ne mange pas à sa faim ; un pays en pleine crise de logements, où l’on meurt encore par défaut de soins médicaux ; un pays qui vacille dans sa gouvernance. Nous sommes un pays où 40% de la population voient les 60 autres mourir un peu plus chaque jour et il n’est plus acceptable que les cadres de ce pays se voilent la face pour ne rien voir de tout cela. Ils se doivent de réfléchir et d’innover. Peut-être qu’une académie des sciences morales et politiques, creuset rassembleur d’idées de professionnels indépendants, avec un jugement faisant autorité, pourrait y aider. Elle traiterait des sujets de société, émettrait des avis, des vœux ou des motions et ferait pendant à l’académie des sciences qui vient d’être créée.

Ambassadeur Candide Ahouansou
Président de l’ONG ‘’Actions pour une Meilleure Qualité de Vie’’

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