Depuis le jeudi 22 mars 2012, date du coup d’Etat militaire du Capitaine Amadou Sanogo, le Mali est devenu le pays de toutes les incertitudes :
à l’incertitude de sa réunification territoriale, s’ajoute désormais l’incertitude politique voire celle de son avenir. Je veux en évoquer celles qui m’apparaissent déjà bien brossées et nettement installées.
En premier lieu, qui de Dioncounda Traoré, Président intérimaire désigné au forceps, de Cheick Modibo Diarra, 1er Ministre déclaré de consensus, et de Amadou Sanogo, Chef d’une junte érigée de facto, par la faute de la Cedeao, en quasi institution de la République, qui disais-je, de ces trois (3) personnages opportunément qualifiés par le Président en exercice de l’Union Africaine de « monstre à trois têtes » détient réellement le pouvoir à Bamako ? Bien malin, celui qui le dira.
En second lieu, Dioncounda Traoré est-il Président intérimaire ou Président transitoire du Mali?
En application de l’article 36 de la Constitution malienne du 27 février 1992, l’intérim du Président Amadou Toumani Touré étant forclos. Dès lors, peut-on encore légalement parler de président intérimaire ? A mon avis non. Si Dioncounda Traoré n’est par Président par intérim, il devra être le Président transitoire. Là également, deux questions rappellent la très grande fragilité de la transition dont Monsieur Traoré est censé être le Président. D’abord, si l’idée de transition s’est logiquement installée depuis la partition du pays, le départ précipitée du Président Toumani Touré et l’impossibilité de son remplacement par voie d’élection, la transition n’a pas le contenu d’un bord à un autre. Ensuite, il est désormais un secret de polichinelle que Dioncounda Traoré est énergiquement contesté et fait face à une fronde de plus en plus décomplexée, organisée et assumée. Et pourtant, aux yeux de tous, de la Cedeao, des constitutionnalistes africains et de tous les «fondamentalistes» de la légalité constitutionnelle, Dioncounda Traoré est vite apparu à comme un pis-aller. Son positionnement permettant d’éviter de basculer dans la sauvagerie militaire et de sauver un semblant de légalité. Cependant, à ce jour pour les amateurs, sinon dès le début, pour les observateurs avisés, l’on ne peut occulter la réalité devenue pesante que le «Président malien» souffre à la fois d’un déficit de légitimité et est, à tort ou à raison, tenu par une partie des Maliens pour comptable du passif imputé à l’élite en général et particulièrement aux acteurs politiques du système. Et si Dioncounda Traoré n’est plus Président intérimaire, encore moins solidement Président de la transition, il devra tout au moins être Président du Mali. Mais depuis, le lundi 21 mai où le «Palais de Koulouba», étonnamment sans défense, a été envahie par des manifestants et que son locataire provisoire fut agressé dans ses bureaux, la pertinence du maintien de Dioncounda Traoré à la tête de l’Etat malien est désormais dans tous les esprits. En a-t-il encore la motivation lui-même et l’autorité naturelle nécessaire à l’exercice de la charge? A mon avis non.
En troisième lieu, à quand les prochaines élections présidentielles? Une réponse d’évidence : Naturellement quand le pays sera réunifié. C’est sûr. Mais quand au juste? Sans doute, quand on aura libéré le Nord du Mali. Mais quand libèrera-t-on le nord du Mali? Là, la réponse paraît improbable et le nœud d’incertitudes qui serre chaque jour un peu plus l’avenir immédiat du Mali et des Maliens, se complexifie et s’accentue. Une autre façon de poser la question permet d’avancer et d’obtenir une réponse, même insatisfaisante. Qui peut et va, selon toute vraisemblance, aider le Mali à retrouver l’intégrité de son territoire, préalable à l’organisation des élections et la relance du modèle démocratique? Deux hypothèses: l’armée malienne ou la Cedeao
Autant de le dire rapidement, l’armée Malienne n’en est pas capable. Depuis l’irruption regrettable d’Amadou Sanogo sur la scène politique malienne, pas un seul coup de feu n’a été tiré en direction du Mlna ni de ses co-occupants du Nord du Mali. Et pas un seul Malien ne pense aujourd’hui que le pays, par ses forces de défense et de sécurité, a les ressources matérielles de s’acquitter de ce qui est pourtant son devoir et qui est enseigné dans tous les Etats-majors et dans toutes les écoles de guerre : la défense de l’intégrité territoriale. Nous en avons tous aujourd’hui la conviction et la Cedeao a en pris acte. Le Mali a perdu son unité et pire encore son moral. Il n’a plus de souffle et se ronge de l’intérieur du peu d’énergie qui lui reste.
Si à titre principal, le Mali ne peut se défendre lui-même, pourrait-on avec optimisme envisager la possible intervention d’une force militaire levée par la Cedeao? Il faut le souhaiter et l’espérer. Mais quand la Cedeao interviendra-t-il ? Avec quels contingents et quels moyens logistiques? Bien malin, celui qui le dira.
Enfin, en quatrième lieu, par où commencer l’expédition au Mali? Par Bamako pour neutraliser le Capitaine Sanogo et la Junte ? ou par le Nord pour mettre un terme à la partition du pays mais surtout à la souffrance des populations et à la provocation culturelle des rebelles? Que d’incertitudes.
Le Capitaine Sanogo pensait bien faire mais il a plongé le Mali tout comme Dadis Camara en Guinée.
Après l’exploit de la Cedeao qui a réussi pour la première fois à faire revenir à la case départ les militaires, auteurs d’un coup d’Etat honteux et embarrassant à tout point de vue, on peut dire aujourd’hui que la Cedeao, notre organisation sous-régionale a échoué dans sa mission. A force de vouloir ménager ceux par qui le malheur malien fut amplifié, à force de perdre son énergie à tailler à M. Sanogo un statut d’ancien Chef d’Etat qu’il ne fut pas, (Une faute politique et un précédent grave pour la démocratie sur le continent), à force d’accorder trop d’égard à des militaires hors-la-loi qui ne le méritaient guère, et au lieu de leur opposer la fermeté, la Cedeao a compromis sa mission, dévoyé sa vocation au service de la légalité constitutionnelle et embrouillé ses valeurs démocratiques.
Osons-le, la mission de Bamako est désormais le prototype de ce qu’il ne faudra jamais faire pour rétablir la démocratie. Si on l’ignorait, tenons-le désormais pour axiome, sauf rare exception : un putschiste est un putschiste et doit être traité comme tel. Prendre Amadou Sanogo pour ce qu’il n’est pas et feindre d’ignorer qu’il est l’auteur du mal fondateur du nouveau désordre politique à Bamako, banaliser le coup porté au modèle politique malien et à vingt (20) ans d’acquis démocratique, a fini irrémédiablement par porter ses fruits pourris. L’addition est salée : Une junte capricieuse, ridiculisant la Cedeao, dictant l’agenda politique du pays et de facto érigée en clé de voûte de ce qui reste du régime politique ; Un Premier Ministre sans visibilité, sans leviers réels ; Un Président de la République fragilisé, passé à tabac, apeuré, sans autorité et … finalement sorti du pays. Bref, l’échec de la Cedeao.
On en est presque à avoir mal autant pour le Mali que pour la Cedeao. Deux modèles en difficulté. L’un de démocratie et l’autre d’intégration sous-régionale.
Mais l’organisation sous-régionale saura-t-elle s’en relever ? Tout porte à le croire, si le dossier Mali est repris dans d’autres mains et avec plus d’audace et de … fermeté.
Frédéric Joël AÏVO
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur de Droit public à l’Université d’Abomey-Calavi.
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