Depuis l’an 2006, le Bénin un Etat de droit, met en œuvre une mesure autoritaire et unilatérale qu’est la réquisition. Bien que cette mesure qui devrait s’exercer de manière exceptionnelle soit d’usage régulier dans toutes formes de crise notamment celle qui oppose l’Etat, autorité publique à une société privée, l’on est en droit de se demander si cette mesure exceptionnelle est fondée sur une loi de la République.
La réponse à cette préoccupation devrait être la question que doit se poser tout bon démocrate lorsque l’on sait que cette mesure autoritaire et unilatérale qu’est la réquisition met en cause ne serait-ce pour un bon moment le droit de propriété qui est pourtant garanti par notre constitution du 11 décembre 1990 en son article 22.
La question reste d’actualité étant entendu que notre pays a opté depuis 1990 pour un Etat de droit, ce qui suppose la primauté de la loi. Un Etat de droit est celui où les élus, donc les mandataires politiques sont tenus par le droit qui a été édicté. L’État de droit est donc un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Le juriste autrichien Hans Kelsen l’a redéfini en disant que c’est un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Il résulte de ce qui précède que dans un Etat de droit, chaque action ou décision doit être fondée sur la loi.
En clair, dans notre pays qui se veut un Etat de droit, tous les actes, décisions et actions doivent avoir comme base la «loi». C’est ce que conforte notre constitution en vigueur lorsqu’elle affirme en son article 98 que sont du domaine de la loi « les règles concernant la citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques; les sujétions imposées, dans l’intérêt de la défense nationale et la sécurité publique, aux citoyens en leur personne et en leurs biens; la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités; la procédure selon laquelle les coutumes seront constatées et mises en harmonie avec les principes fondamentaux de la Constitution; la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables; l’amnistie; l’organisation des juridictions de tous ordres et la procédure suivie devant ces juridictions, la création de nouveaux ordres de juridiction, le statut de la magistrature, des offices ministériels et des auxiliaires de justice; l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature; le régime d’émission de la monnaie; le régime électoral du Président de la République, des membres de l’Assemblée nationale et des Assemblées locales; la création des catégories d’établissements publics; le Statut général de la Fonction publique; le Statut des Personnels militaires, des Forces de Sécurité publique et assimilés; l’organisation générale de l’Administration; l’organisation territoriale, la création et la modification de circonscriptions administratives ainsi que les découpages électoraux; l’état de siège et l’état d’urgence.. ».
Dans le respect de l’Etat de droit crée depuis 1990 au Bénin, les sujétions imposées dans l’intérêt de la défense nationale et la sécurité publique aux citoyens en ce qui concerne leur personne et leurs biens relèvent de la loi donc du pouvoir législatif. Et si l’on veut prendre un acte qui affecte un droit constitutionnel qu’est le droit à la propriété, le pouvoir exécutif qui est dans le cas d’espèce le gouvernement, doit le faire sur la base d’une loi. C’est ce qu’exige les constituants de 1990 à travers l’article 98 de la Constitution du 11 décembre 1990.
Malgré la clarté de cette disposition constitutionnelle, force est de constater que le pouvoir de réquisition mise en œuvre au Bénin depuis le 06 Mars 2006 ne se fonde toujours pas sur une loi béninoise et cela malgré nos nombreuses critiques sur la question. (Voir Revue Trimestrielle d’Informations Juridiques et Judiciaires Juridique Droit et lois n°015 du trimestre Avril-Mai-Juin 2008 page30).
La réquisition en question
En se basant sur les réflexions du professeur Robert Ducos-Ader, la réquisition est « une opération par laquelle l’autorité administrative, en la forme unilatérale, contraint des particuliers -personnes physiques ou morales –à fournir, soit à elle-même, soit à des tiers, des prestations de service, l’usage des biens immobiliers ou la propriété ou l’usage de biens mobiliers, en vue de la satisfaction de besoins exceptionnels et temporaires reconnus d’intérêt général dans des conditions définies par la loi » La réquisition peut donc être envisagée comme un acte administratif unilatéral dont l’exercice doit rester exceptionnel tant qu’il porte atteinte aux droits des administrés.
La réquisition affecte le droit de propriété des personnes qu’elle concerne quand elle vise des biens et elle porte atteinte à la liberté d’exercice d’une profession quand elle porte sur des prestations de service. Comme nous devons le constater, la définition du doyen Ducos-Ader précise clairement que la réquisition doit s’effectuer dans les conditions prévues par la loi. L’article 14 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples qui fait partie intégrante de la Constitution du 11 Décembre 1990 dispose que : « le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par nécessité publique ou dans l’intérêt de la collectivité, ce, conformément aux dispositions des lois appropriées ». Si nous nous en tenons à la définition du mot « sujétion » qui est du domaine de la loi conformément à l’article 98 de la constitution du 11 décembre 1990, c’est « l’obligation que l’Administration peut imposer à des particuliers dans un but d’intérêt public ». Bien que compétente pour la prise de cette mesure dite de réquisition, le gouvernement du Président Boni YAYI devrait se conformer à une loi qui aujourd’hui n’existe pas.
Que faire?
Un Etat de droit a des exigences et tout bon démocrate devrait reprendre l’expression latine selon laquelle «Dura lex, sed lex»: la loi est dure, mais c’est la loi.
Car comment expliquer que depuis 2006 où le secteur privé béninois subit cette mesure autoritaire qu’est la réquisition (Cas des stations services, d’usine d’égrenage…), nos honorables députés dont la plupart sont issus de la majorité présidentielle n’aient pas pu légiférer sur cette matière importante ? ,En faisant usage de façon répétée à la réquisition au nom d’une prétendue » raison d’Etat, le gouvernement du président Boni Yayi laisse la fâcheuse impression que le Bénin n’est pas un Etat qui garantit aux investisseurs un climat favorable aux affaires . Aucun investisseur, en effet, ne saurait investir dans notre pays s’il s’il ne sait pas quand, comment, pourquoi il peut faire l’objet d’une mesure de réquisition au Bénin ? Partout ailleurs, le recours à la réquisition qui est un droit régalien de l’Etat, s’exerce dans le strict respect de certaines conditions de fond et de formes. En France par exemple, Les conditions de forme ne concernent pas exclusivement l’acte de réquisition lui-même. En effet, pour être valable, la réquisition ne doit être exercée que par des autorités qui y sont habilitées. Le recours à la réquisition doit être envisagé comme exceptionnel. Son exercice est donc normalement réservé à une autorité de rang élevé. Toutefois, certaines circonstances exigent que ce formalisme soit quelque peu assoupli et l’exercice de la réquisition pourra ainsi être confié à des autorités délégataires. En cas de crise ponctuelle ou de tension extérieure, la mise en œuvre du droit de réquisition appartient en France au Conseil des Ministres.
Au Bénin quel est l’organe qui l’autorise ? Est-ce le Président de la République en sa qualité de Chef de gouvernement ou le Conseil des Ministres ?
Dans le dernier cas de réquisition constatée, est-ce à la suite d’un décret présidentiel ou d’un décret pris en Conseil des Ministres que la décision d’aller prendre de force des produits dans un magasin privé a été prise ?
Sur quel texte (Loi ou acte réglementaire) se fondent nos autorités publiques pour exercer cette mesure qui affecte le droit de propriété ?
Autant de questions qui sont restées pour l’instant sans suite malgré les nombreuses justifications qu’on donne dans ce dossier. Si le gouvernement de la République doit assurer et sauvegarder l’intérêt général, il aurait fallu que cette exigence soit assurée conformément à la loi qui reste et demeure le fondement d’un Etat de droit.
La Cour Constitutionnelle saisie de ce genre de différend par requête en date du 9 juin 2006 n’a pu y apporter des réponses quant à la loi qui a fondé la prise des décrets n° 2006-077 du 06 Mars 2006 concernant la réquisition des stations services de la SONACOP et n’a fait que confirmer dans sa décision DCC 06-126 du 1er septembre 2006 une conséquence de cette mesure qui est le droit à indemnisation du propriétaire des biens objets de la réquisition.
Dans quel cadre, et qui fixe le quantum de cette indemnisation si ce n’est à travers une loi adoptée par les députés ?
Comment a-t-on indemnisé le propriétaire des stations services de la SONACOP réquisitionnées par décret en 2006 alors même que la Haute Juridiction avait affirmé dans sa décision DCC 06-126 du 1er septembre 2006 que le propriétaire de la société a droit à une indemnisation ?
Si on s’en tient à la décision DCC 06-126 du 1er septembre 2006 de la Cour Constitutionnelle allons-nous assister à l’indemnisation du propriétaire des produits qui ont fait l’objet de réquisition quelque part à Allada ?
Pour garantir notre Etat de droit, il faut que le Bénin à travers son pouvoir législatif adopte une loi pour réglementer cette mesure autoritaire et unilatérale qui ne rassure en rien l’investisseur.
Cessons de parler d’Etat de droit au Bénin si toutes les institutions ne se soumettent pas à la loi !
Le droit de la réquisition est admis mais le gouvernement pour l’exercer, doit nécessairement se fonder sur un texte de loi promulgué antérieurement aux faits. En l’état actuel de la législation béninoise, c’est seulement en matière d’exercice du droit de grève que cette possibilité de recourir à ce droit de réquisition est donnée au gouvernement. Il s’agit des articles 13 et suivants de la loi N°2001-09 du 21 Juin 2002 portant exercice du droit de grève en République du Bénin.
N’est-ce pas nécessaire si nous voulons améliorer notre classement « Doing Business » et sécuriser le climat des affaires que nos honorables députés (pouvoir législatif) prennent la mesure de la situation pour rassurer les investisseurs à travers l’adoption d’une loi portant organisation de la réquisition au Bénin.
En tout cas, le droit à la réquisition du gouvernement doit se faire de lege lata (en vertu de la loi en vigueur) et non de lege ferenda (en vertu de la loi à venir).
Serge Prince Agbodjan
Juriste (Coll.)
Laisser un commentaire