Un grand homme s’en est allé dans la discrétion, comme il a vécu. Le Bénin a perdu une mémoire de sa richesse culturelle.
Une grande bibliothèque artistique est partie en fumée. Cyprien Tokoudagba s’est éteint le 05 mai dernier des suites d’une longue maladie qui l’a considérablement affaibli et cloué au lit pendant des mois.
Déjà un mois mais on ne parlera jamais assez de lui. Il ne sera jamais trop tard d’évoquer le nom de ce digne fils du Bénin qui a fait la fierté de son pays dans ce qu’il sait bien faire avec talent et dextérité.
Cyprien Tokoudagba. L’homme reste et demeure dans le souvenir de ses compatriotes béninois. Ses collègues du monde des professionnels des arts plastiques à l’échelle internationale, aussi. Dans l’un ou l’autre cas, ils doivent beaucoup à ce peintre et sculpteur né en 1939 à Abomey.Sur son âge réel il a fait la confidence poignante que voici : « J’ai toujours dit aux gens qui m’interrogeaient sur mon âge que j’étais né en 1954. Mais en vérité, je suis né en 1939.J’ai été amené à mentir sur mon âge pour me conformer au critère d’âge pour être accepté dans la Fonction publique. Un de ses biographes rappelle : « Remarqué au musée historique d’Abomey où il exerçait ses talents de restaurateur des anciens bas-reliefs en dégradation, Tokoudagba est arrivé dans le milieu de l’art presque par hasard et en autodidacte . »
Très tôt, le jeune dahoméen a su utiliser ses acquis en tant qu’initié au vodoun pour servir son pays. «Quand j’étais jeune, on m’a envoyé voir un prêtre vodoun, un maître. C’est un point de non-retour, on a appris à faire de la magie, à utiliser la force des mots, à créer des envoûtements efficaces et l’on a appris les secrets des plantes.», déclarait l’artiste dans catalogue d’«Africa Remix», 2005 cité par «Jeune Afrique». Au-lieu de suivre le chemin de couturier selon la volonté de son père, l’artiste a plutôt choisi le chemin des couvents. Un lieu qu’il prenait du plaisir à fréquenter pour avoir été initié. Un initié du dieu des eaux terrestres «Tohossou». Il y consacrait tout son temps et son esprit pour la réalisation de sculptures et de peintures. Les qualités qui se révélaient en lui au jour le jour de par ses réalisations lui offrent en 1987 sa nomination en tant que restaurateur des anciens bas-reliefs en dégradation au musée d’Abomey. C’est le début d’une carrière artistique qui sera marquée par un style dont Cyprien Tokoudagba est le seul maître bien qu’il ne soit allé dans aucune école d’art. Un style qui reflète le degré de la connaissance qu’il a de la tradition béninoise notamment “fon”. Sans nul doute, Abomey est une cité historique importante dans la tradition béninoise.
En dehors des murs du musée d’Abomey comme ceux d’autres villes du Bénin, Cyprien Tokoudagba a ses griffes sur plusieurs sites historiques du Bénin. La majorité, pour ne pas dire toutes les sculptures, au long de la Route des Esclaves et celle de la Forêt Sacrée à Ouidah portent sa signature. L’artiste s’est tourné entre- temps vers le modelage en terre glaise puis la sculpture en ciment.
Cyprien Tokoudagba n’est pas resté seulement au Bénin avec son talent. Avec une première exposition au Centre Georges Pompidou à Paris en 1989, l’artiste s’est ouverte la porte des grands rendez-vous d’art plastique à l’internationale et celle des collectionneurs d’art. Une énorme source de motivation pour lui. Il continue alors ses recherches sur les rois et l’histoire dans les palais royaux, toujours en harmonie avec ses atouts d’initié. Non seulement pour satisfaire ces collectionneurs mais pour nourrir son musée. «C’était un personnage totalement sidérant, assez drôle, assez filou aussi, qui avait conscience de son rôle d’artiste, » dit Marie-Cécile Zinsou, Directrice de la Fondation Zinsou, rapportée dans «Jeune Afrique». Ce qu’il faisait à Abomey, il pensait être le seul capable de le faire. Dieu lui avait confié cette tâche... » A l’écrivain togolais Kangni Alem de témoigner: «La première fois que j’ai vu sa statuaire, c’était au palais royal d’Abomey. J’ai eu cette réflexion: «Même les sourds comprendraient les murmures de ses statues.» Pour moi, cet homme dessinait et sculptait pour les gens ordinaires ce qui relève du mystère de la tradition...»
L’artiste ne meurt pas. Cyprien Tokoudagba vit de par ses œuvres qui restent et témoignent de la grandeur de l’inspiration de l’homme. Salut l’artiste !!!