Braquage sur terre, piraterie en mer. N’eut été l’implication de l’Etat et des Forces armées, voilà comment les choses auraient été vues et interprétées. En l’absence, notamment, d’une action de communication du gouvernement sur le sujet.
En effet, dans la nuit du 8 au 9 juin, il a été procédé à l’enlèvement, par la force, des stocks d’intrants agricoles, propriété d’un opérateur économique privé. Et rebelote avec l’arraisonnement, en haute mer, d’une cargaison du même produit, appartenant au même opérateur.
Comment explique-t-on un tel acte ? Jusqu’à plus ample informés, retenons que l’Etat entend sauver à tout prix la campagne cotonnière en cours. Il faut rassurer les paysans qui attendent désespérément les intrants agricoles. Ceux-ci appréhendent le spectre d’une « année blanche cotonnière ». Quelle catastrophe ce serait ! Le coton, c’est « l’or blanc » des Béninois. Il leur est aussi précieux que « l’or noir » des pays pétroliers du Golfe. C’est, en effet, le produit d’exportation dont le Bénin tire le plus clair de ses devises étrangères.
La puissance publique, à savoir l’Etat, s’appuyant sur la force publique, l’Armée, a cru nécessaire de bousculer toutes les règles en vigueur et en usage dans un pays démocratique. La propriété privée est violée. Un citoyen est piétiné dans ses droits sur l’autel de la raison d’Etat. Le droit de la force a prévalu sur la force du droit.
Les malheurs qui s’abattent sur l’opérateur économique au cœur de cette histoire s’inscrivent dans la continuité d’une autre affaire, celle du Programme de Vérification des Importations-Nouvelle génération ( PVI-NG). L’opérateur en question, dans cette affaire, a déjà maille à partir avec le gouvernement. Qui, dans ces conditions, ne verrait-il pas, dans cette pluie de coups qui tombent sur un seul et même homme, une forme d’acharnement ?
La raison d’Etat. Nous voulons bien. Un gouvernement contraint et forcé par les circonstances peut être amené, à son corps défendant, à prendre des mesures de portée exceptionnelle. A condition que l’objectif visé ne s’éloigne point de la défense et de la sauvegarde de l’intérêt du plus grand nombre. Plutôt sacrifier un seul pour que vivent tous les autres, que de sacrifier tous les autres dans l’intérêt d’un seul.
Or, jusqu’à preuve du contraire, le Bénin est une démocratie. Ce n’est pas en vain que ce pays a tourné les pages sombres de l’autocratie. Dans une démocratie libérale, les armes du peuple, achetées avec l’argent du peuple, devraient servir à protéger le peuple, mais non à brutaliser l’un quelconque des citoyens. Dans l’affaire qui nous occupe, on doit regarder dans plusieurs directions.
D’abord, en direction d’un principe de base. L’Etat a et aura toujours assez de ressources pour justifier et légitimer tout recours à la force. Max Weber trouve les accents d’un constat de vérité pour le dire : (Citation) « L’Etat est une entreprise politique à caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique » (Fin de citation).
Ensuite, en direction du détenteur du pouvoir. Il a tout loisir d’user de la force. Mais la force, pour quoi faire ? Pour faire œuvre utile ? Ou pour se renvoyer à soi-même, de manière narcissique, comme dans un miroir, l’image de sa propre force ? Pour dire qu’on peut parfaitement invoquer la raison d’Etat sas recourir à la violence d’Etat. Il n’y a là aucune fatalité. Que fait-on, par exemple, de la négociation, de la médiation, de la recherche de compromis dynamiques…tous moyens civilisés que les Etats démocratiques modernes expérimentent avec bonheur ? Ces Etats ont compris avec Paul Valéry que (Citation) : « La faiblesse de la force, c’est de ne croire qu’à la force » (Fin de citation).
Enfin, en bout de chaîne, le peuple ou si l’on veut les citoyens. Déjà, le gouvernement pêche par une communication a minima sur le sujet. Comme s’il avait choisi de nous mettre devant le fait accompli. Comme s’il avait choisi de laisser le champ libre à la rumeur. On paye toujours cher une telle légèreté communicationnelle, avec des embrassements dont on aurait pu se passer, avec des explosions dont on aurait pu faire l’économie. Quand tout s’embrouille dans les yeux et dans les têtes et qu’on croit être revenu, à tort ou à raison, à la loi de la jungle, c’est à Hervé Bazin que l’on donne raison (Citation) : « Quand la loi redevient celle de la jungle, c’est un honneur que d’être déclaré hors-la-loi ».