Depuis 2006, les acquis de la Conférence des forces vives de la nation chèrement obtenus après de longues luttes sont de plus en plus jetés aux oubliettes.
Les grandes et douloureuses décisions prises sont minimisées voire contournées par certaines autorités de l’Etat. Ce qui est obtenu après de longs et difficiles consensus est actuellement mis en cause sans que l’on mesure la gravité de ces actes. Quand on sait que ces mêmes actes ont conduit au dérapage enregistré avant l’historique conférence nationale de forces vives de février 1990, chacun est invité à prendre conscience de la situation.
C’est dans cet environnement de quasi oubli desdits acquis que la Cour constitutionnelle présidée par Me Robert DOSSOU a dû, dans sa décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 attirer l’attention des uns et des autres sur cette situation en érigeant comme acquis de la conférence nationale à ne pas réviser les principes suivants:
* la forme républicaine et la laïcité de l’Etat;
* l’atteinte à l’intégrité du territoire national;
* le mandat présidentiel de cinq ans, renouvelable une seule fois;
* la limite d’âge de 40 ans au moins et 70 ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle;
* le type présidentiel du régime politique au Bénin.
Mais parmi les acquis de cette historique conférence nationale, il y en a un qui est de plus en plus mis en cause par les dirigeants ou les hautes autorités de notre Etat. Si nous savons que la mission de ces autorités est d’aider à protéger cet engagement solennel de la conférence, il est important pour nous de nous inquiéter. Doit-on encore rappeler à tous, l’engagement solennel du soir du 24 février 1990 après 22h 40 que la haute hiérarchie militaire a fait au nom de l’Armée béninoise?
En effet, à la suite d’une déclaration, la Grande Muette a invité les conférenciers de Février 1990 à la tolérance, au droit à la différence tout en réaffirmant la participation sans réserve des Forces Armées Populaires (FAP) au renouveau démocratique et au retour dans les casernes. Notre Armée a donc décidé de retourner dans les camps, de ne plus s’impliquer dans la gestion des affaires publiques qui ne relève pas de ses missions régaliennes.
Cet engagement a été repris dans le rapport général de la Conférence par le professeur Albert Tévoédjrè, en ses termes: «… parmi vos autres conclusions essentielles, permettez-moi de relever votre attitude face à la question des forces Armées. Ici, je ne vais pas révéler un secret d’Etat, mais je fais appel au souvenir des Présidents Hubert Maga et Justin Ahomadégbé lorsque nous entreprenions de négocier les termes de notre indépendance: le Général De Gaulle avait dit à nos futurs Chefs d’Etat, en une séance pathétique, comment lui, militaire, percevait l’avenir de nos institutions, et il avait les plus grands doutes sur la manière dont nous pourrions utiliser les forces Armées… Fort heureusement, les responsables de nos structures militaires viennent de prendre une décision qui fera d’eux dans le Tiers-Monde, les annonciateurs d’une aube nouvelle. En décidant librement de se retirer de la gestion des affaires publiques… ».
Notre Armée, à la conférence nationale, a donc décidé de se retirer de la gestion des affaires publiques et de rentrer dans les casernes. Mais force est de constater aujourd’hui que vingt-deux ans (22) après, alors que nos forces armées essayent de respecter cet engagement solennel, ce sont nos plus hautes autorités qui violent cet engagement en invitant notre Armée à sortir des casernes. Ainsi, nous avons vu nos militaires à la demande de nos autorités politiques s’impliquer dans le processus électoral à travers le transfert des urnes et bulletins et autres activités électorales. Dans cette volonté de faire sortir nos militaires des casernes en violation de leur déclaration, on les a invités à être auditeur dans les sociétés d’Etat, certains sont en poste dans les cabinets des ministères qui n’ont rien à voir avec la défense. Aujourd’hui, nos militaires, fusils au poing sont dans les camions auprès des transporteurs pour, dit-on, assurer la mission de convoyage des camions vers les pays de l’hinterland. Notre Armée est donc réduit à des tâches qui quelques fois affaiblissent sa neutralité en tant que structure d’avant-garde pour la défense de la patrie.
Lorsque l’on veut poser un acte qui semble être un peu difficile dans le cadre de la gestion quotidienne de l’Etat ou lorsque l’on veut faire passer une décision de force, on fait appel à notre Armée au mépris même de la mission dévolue à cette Unité. C’est cette situation malheureuse que dénonce le général François KOUYAMI à la page 46 de son livre intitulé «Affaires d’Etat au Bénin» en ces termes: «Nous sommes dans un pays démocratique et on met au carrefour des militaires casqués, armés de fusils mitrailleurs positionnés en direction du Nigeria. Or, avec l’option de l’économie de marché, la sécurité devrait s’exercer de façon subtile et discrète. Nous ne sommes pas dans un pays assiégé. Pourtant, on laisse des militaires se balader dans les rues… C’est la preuve, s’il en fallait encore, que les militaires ne devraient pas être affectés à de tâches de sécurité publique».
Aujourd’hui, les missions assignées à nos forces de sécurité sont confondues. Les militaires vont même assurer la sécurité publique sans que l’autorité de police administrative ne soit au courant du déploiement. Conséquence, les militaires tabassent les douaniers au port, lieu d’exercice normal d’un douanier. Le dernier exemple qui attriste est le sort réservé à notre policier qui, pourtant, était en service. Il a été purement et simplement tabassé à sang et son arme arrachée.
Dans quelle République sommes-nous pour que devant tous, des forces chargées de notre défense se battent, se tabassent à sang alors même qu’ils ont sur eux les armes de la République?
Face à cette situation, certains citoyens pour se moquer parlent de vengeance divine. Le fait, pourtant si grave, ne peut faire l’objet d’une pareille légèreté d’appréciation. Ce n’est pas parce que c’est la même autorité qui s’était levée contre la bastonnade d’un policier qui, quelques jours avant, avait participé aux bastonnades des travailleurs en mouvement dans un ministère ou des étudiants au campus que nous n’allons pas opiner sur cette situation déplorable.
N’est-ce pas vrai lorsque le Général François Kouyami affirme dans son livre que les militaires n’apprennent rien en matière de police judicaire, police administrative, la sécurité publique et la police militaire. Ce sont des «pousse-cailloux». On leur demande de tirer et ils tirent…
Qui demande aux militaires de sortir des casernes si ce n’est les hautes autorités de notre Etat?
Lorsque ces derniers qui savent vivre désormais avec les transporteurs dans les camions chargés de marchandises en direction des pays de l’hinterland vont prendre goût à cette mission au détriment de celle universellement reconnues, n’est-ce pas nous mêmes qui allons nous plaindre que notre Armée est revenue à la gestion des affaires publiques?
Non! Arrêtons de nous amuser avec notre Armée. C’est la seule institution qui a pour mission de défendre notre pays. Evitons de les impliquer dans les affaires qui relèvent de la compétence d’autres structures de l’Etat car cela ternit l’image de nos forces Armées.
Nulle part dans le monde en dehors du Bénin, un militaire n’est convoyeur de marchandises comme nous le voyons au Bénin
Une Armée est, selon le dictionnaire Robert, une réunion importante de troupes assemblées pour combattre.
Le dictionnaire Larousse de son côté définit une Armée comme l’ensemble des forces militaires d’un Etat. L’Armée nationale et républicaine a la charge de la défense nationale, de la défense de la République et de ses institutions. Elle a ainsi pour mission de contribuer à protéger les libertés publiques (liberté d’aller et de venir, la liberté d’entreprendre, la liberté d’expression, la liberté d’association…). Une Armée qui veut demeurer républicaine doit avoir en toute circonstance un comportement républicain: respectueux et déterminé par les valeurs républicaines. Elle doit lutter contre la tentation que nos hommes politiques ont de disposer de la force pour parvenir à leurs fins. C’est ce que rejette la Constitution du 11 décembre 1990 à l’alinéa 2 de l’article 19 lorsqu’il dispose que: «Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques».
A travers cette disposition constitutionnelle, l’on ne saurait se cacher derrière un ordre d’une autorité pour porter une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques. Ici, la responsabilité est personnelle et l’on doit répondre de ses actes lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques. Il faut savoir raison garder pour exécuter les ordres au Bénin.
Le traitement qui se fait de notre Armée aujourd’hui mérite d’être repensé pour se conformer à la déclaration solennelle de notre Armée à la Conférence des forces vives de la nation de février 1990.
Cessons de faire de notre Armée des citoyens à tout faire car le militaire n’a appris qu’à tirer, c’est-à-dire à défendre notre nation et ses institutions.
Mettons les choses à leur place car dans une République qui se respecte, la Police, la Gendarmerie et l’Armée, bien qu’elles soient toutes des forces, elles n’ont pas la même mission.
Notre démocratie rayonnera si nos dirigeants aident notre Armée à rester dans les casernes et à jouer ce rôle de défense de notre territoire dans la plus grande neutralité.
Même si notre Armée peut mener des activités de développement dans l’intérêt général, évitons de les impliquer dans nos crises internes qui relèvent à notre avis des questions de gouvernance.
Prenons conscience de la situation avant qu’il ne soit trop tard. Car, l’histoire constitutionnelle de notre pays depuis l’indépendance en dit long.
En tout cas, la roue tourne et faisons attention à la manière dont nous utilisons notre Armée car comme l’a dit Jean-Claude Magloire et la Grande Ecurie Et la Chambre Du Roy «L’Armée semble toujours persuadée que pour «faire un homme», il faut l’humilier.»
Serge PRINCE AGBODJAN
Juriste