C’est au cœur d’une Afrique prise en otage par les puissances maléfiques que s’enracine Un os dans la gorge des dieux.
Ce roman de 221 pages, paru en janvier 2012, est l’œuvre de l’écrivain béninois Gaston ZOSSOU. C’est un roman découpé en quinze titres, les uns aussi croustillants que les autres, qui nous dévoile l’Afrique traditionnelle mythique et mystique. Dans ce roman, Gaston ZOSSOU, s’attaque à un thème à la fois cynique et réaliste : la puissance du mal et plus particulièrement, la puissance de nuisance des dieux en Afrique, continent de toutes les divinités, de tous les fétiches, de tous les génies et de tous les esprits les plus malfaisants. On ne parcourt pas les pages de cet Os dans la gorge des dieux sans quelque frayeur et quelque déception. Elles font une place privilégiée aux dieux tutélaires, aux initiés, aux adeptes, aux serpents, au temple, au couvent, aux sacrifices, au sang pour ne citer que ces éléments.
L’action de ce roman se déroule dans un village africain, sans autre précision sur sa localisation géographique. Un village où, ce sont les divinités qui régentent le monde des humains en complicité avec certains initiés, adeptes et dignitaires. Un village où, les dieux brillent, excellent par leur puissance de nuisance et mystifient les humains. Ils ont le pouvoir de vie et de mort sur les hommes.
Ce texte poignant dont la lecture nous mène jusqu’au bout du drame de la vengeance des divinités sur l’homme, parle :
d’un jeune homme, du nom de Tadjin, qui a insulté, nargué, méprisé et défié, à la stupéfaction de tous, le dieu Elégoun shango sur la place publique. Cet impertinent a déclenché, de par son audace, sans précédent, le courroux des dignitaires de Shango. C’est toujours ce téméraire Tadjin qui, ayant troqué sa ceinture de protection contre le plaisir du sexe, s’est rendu vulnérable et a été mortellement atteint par le dieu Shango ;
du dieu Ogou, divinité du fer, qui boussille, tue et écrabouille ses victimes. Le sang est à la fois son breuvage et son eau de bain;
du dieu Elégoun Shango, l’incorruptible justicier, qui gronde et éventre les malfaiteurs d’un coup de hache bipenne :
du Chef suprême d’Ogou, qui s’est suicidé par pendaison, parce que ne pouvant supporter la honte que lui a infligée son dieu protecteur, dans son incapacité, à régler le compte d’un mécréant qui a osé défier une divinité ;
de Shangodara, de Shangodjogou et de Shangoladé, tous des prêtres de Shango ;
du Baba Shango, Grand prêtre du dieu Shango ;
des dignitaires de Shango qui sont allés chercher du renfort chez les prêtres d’Ogou ; renfort dont la négociation n’a été possible que grâce à une forte somme d’argent ;
d’une femme inconnue, envoyée comme piège à l’intrépide jeune homme Tadjin, pour le déposséder de sa puissance protectrice et le rendre ainsi vulnérable à tous les sortilèges et assauts de l’ennemi ;
des prêtres, des initiés, des adeptes et des dignitaires au zèle à fleur de peau, cherchant par tous les moyens à laver l’honneur noirci de leurs dieux nargués et défiés ;
de la victoire d’un apostat sur une divinité et vice- versa.
Ce qui frappe dans ce roman de Gaston ZOSSOU, c’est la capacité de nuisance des dieux. Des divinités, qui ont normalement pour attributs de sécuriser, de protéger et de faire le bonheur des humains, se révèlent, hélas, des seigneurs implacables, sans pitié et sans miséricorde, qui proclament leur règne abominable sur les humains. Des dieux qui ne sont puissants que par le mal, le drame et l’horreur.
En effet, les dieux de ce roman frappent trop fort ; ils frappent mortellement le fautif, créent la peur, la terreur, la mort et la désolation. Avec eux, il n’y a pas de pardon. La moindre incartade est payée. Toute faute se paye par un châtiment. Le dieu Elégoun Shango, frappe toujours mortellement : « il est celui des dieux qui gronde et éventre le malfaiteur d’un coup de hache bipenne », p.15. Quant au dieu Ogou, il provoque des désastres, des situations d’horreur, où le sang humain doit couler. C’est un dieu sanguinaire, qui ne vit et ne se nourrit que du sang humain. Il est l’instigateur de tous les drames, des accidents mortels au cours desquels le sang frais coule à flot ; il en affectionne et en raffole. Car, : « le sang versé est son breuvage, il le préfère au vin de palme le plus raffiné. Le sang est son eau de bain aussi », p.14.
La question qui vient à l’esprit est de savoir comment les hommes parviennent- ils à être des adeptes de tels dieux ? Des dieux qui ne savent pas pardonner et comprendre l’homme ? Des dieux implacables et sans compassion aucune? Des dieux qui débordent de puissances nuisibles, de haine et de vengeance ? Comment les humains arrivent-ils à supporter le joug écrasant de ces dieux vindicatifs et méchants ?
En réalité, les divinités de l’univers romanesque de Gaston ZOSSOU, font preuve d’une perversité inouïe. Elles écrasent, terrorisent, frappent et tuent, sans qu’elles n’aient de compte à rendre à qui que ce soit. Dans l’invisible comme dans le visible, elles sont toutes puissantes. Mais que peuvent ces dieux dans le visible sans l’aide des humains ? Que peut un dieu sans des adeptes et des initiés ? Si le soutien des adeptes est chose très précieuse et nécessaire à un dieu, alors, on est en droit de se demander, si c’est réellement le dieu qui est à la fois puissant et méchant ou si, ce sont les humains eux-mêmes qui le sont. En termes clairs, qui est méchant entre le dieu et l’homme ?
Ce qui est sans ambages dans le texte de Gaston ZOSSOU et qui mérite d’être appris comme une leçon, c’est le piège fatal qu’a été la femme inconnue pour le jeune homme. Les adeptes de Shango se sont servis d’une femme au charme irrésistible pour anéantir le jeune homme afin de permettre au dieu Shango de le foudroyer. Ceci pour signifier que, les dieux n’existent et ne sont puissants et méchants que par la volonté et le zèle des hommes. C’est l’arbre qui fait la forêt. Et cela, les hommes l’ont compris. Ils savent se cacher derrière leurs dieux imaginaires pour mieux perpétrer leur crime. Ils savent mettre leur méchanceté dans le compte des divinités qui n’existent que dans leur esprit. Ils font tout le mal voulu sur leur compte, sans craindre la moindre sanction.
Qu’ils soient Ogou ou Shango et que sais-je encore, ce sont des manigances des hommes dans leur volonté de nuire à leurs prochains.
Aussi, les dieux africains ne sont-ils pas trop nombreux pour être efficaces. La preuve en est que bien que les dignitaires de Shango se soient allé chercher du renfort avec de fortes sommes d’argent chez les prêtres d’Ogou, la situation n’a pas changé outre mesure : le dieu ogou n’a pas agi ; il a donc failli à sa mission. Une autre leçon qui vaille la peine d’être apprise, est que la femme est un piège permanent pour l’homme.
Mais ce qui est regrettable est la mort fatale du jeune homme qui a su au moins braver l’un de ces dieux sans pitié et sans miséricorde. Il aurait pu être le vrai héros victorieux et vainqueur s’il avait su que dans ce monde pervers et méchant, quand un homme projette de s’attaquer à l’ordre établi, il doit se préparer à payer le juste prix de son audace. Il devrait aussi savoir que sur cette terre, nous sommes dans un nid d’abeilles, où les hommes savent confectionner des pièges ingénieux, afin que l’ennemi y tombe. Il devrait enfin savoir que le plus grand moment de plaisir d’un homme pourrait se révéler être son pire instant de faiblesse. Ces leçons de vie lui auraient permis de faire preuve de sagesse, d’humilité, d’éveil, de vigilance, d’intelligence et de prudence. Hélas ! Et c’est bien dommage que ça soit toujours un triste sort qui est réservé aux intrépides qui affrontent le mal, la haine, la méchanceté et l’implacable rigueur des faux dieux africains.
C’est une écriture très originale qui est au service de cette atmosphère où les divinités et les hommes s’affrontent. L’auteur fait montre d’une parfaite maîtrise de la langue française qu’il manie avec une dextérité remarquable. On assiste à des audaces linguistiques, qui révèlent une certaine maîtrise de la langue maternelle de l’auteur ; et surtout de métaphores.
La présence d’un os, os qui est de nature très dure à croquer, à casser ou à gérer, mais qui se trouve logé dans la gorge des dieux, partie très sensible du corps humain, représente un grand affront, un casse-tête, un défi, un nœud gordien auquel les dieux doivent faire face. Et le fait que l’impertinent Tadjin se soit moqué des dieux, les ait affrontés, défiés, nargués au point même de chanter et de danser sa victoire à la mort du Chef Suprême d’Ogou, explique parfaitement le bien fondé du titre de l’ouvrage.
L’autre élément le plus frappant dans l’œuvre, c’est le style. En effet, Gaston ZOSSOU a le style assez «fleuri». Sans grand romantisme, il vous prend par la main, avant de vous conduire chez ses divinités impitoyables et méchantes.
Grâce à cette écriture et à ce style chatoyants à travers lesquels s’unissent le réel et l’imaginaire, un os dans la gorge des dieux est un véritable chef-d’œuvre littéraire, qui mérite d’être lu et relu pour mieux appréhender l’univers des divinités en Afrique en général, et en particulier au Bénin qui a la triste réputation d’être le berceau du vodoun.
Cotonou, le 21 mai 2012
Robert ASDE
Technicien Supérieur d’Action Culturelle