La dictature du développement. L’expression est née en pleine crise du coton. Le gouvernement, alors acculé et sous la menace d’une année blanche cotonnière, n’a eu un autre choix que celui de faire donner l’artillerie.
anquait-il des intrants pour assurer une bonne campagne cotonnière ? Le gouvernement allait les prendre partout où ils sont disponibles. Un bateau chargé d’intrants, au large de nos eaux, n’a pas échappé à la règle. On a alors parlé de braquage d’Etat. Sur terre et sur mer.
Voilà le contexte de naissance de l’expression « La dictature du développement ». Elle poursuit, depuis, son petit bonhomme de chemin. Elle commence à avoir une histoire. Mais nul ne saurait dire à quel destin elle est promise. Sinon qu’elle se galvaude au fil du temps. Elle se banalise à force d’être employée à tort et à travers. Il faut craindre la manipulation innocente de mots ou d’expressions à connotation dangereuse, à forte charge explosive. Imaginons des gamins qui s’amuseraient avec des mines anti-personnelles, croyant avoir affaire à de simples jouets.
Ce que dit le dictionnaire de la dictature ne devrait disposer personne à vouloir s’y attacher. A moins d’être affecté d’un penchant plutôt morbide pour se laisser écraser par un régime politique autoritaire, pour se laisser comprimer et broyer par un pouvoir absolu. Pour dire qu’aucune dictature n’est bonne en soi. Une maladie, même dans sa forme la plus bénigne, ne reste pas moins une maladie. On n’aura pas de cesse qu’on ne s’en soit débarrassé.
Rappelez-vous la « dictature du prolétariat », la belle trouvaille du marxisme-léninisme. Cette dictature là portait la promesse d’une société sans classe, et du rêve accompli du paradis sur terre. Un tel rêve fit recette dans le Bénin révolutionnaire. Mais pourquoi ne s’est-il jamais incarné nulle part dans le monde ? C’est parce que la dictature, sinon toute dictature, est comparable à une terre ingrate et stérile. Rien n’y pousse. Pas plus que rien ne poussera sur les terres d’une « dictature du développement ». Pourquoi ?
La Constitution du 11 décembre 1990 qui nous régit, en son préambule, proclame (Citation) : « Nous, peuple béninois, réaffirmons notre opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature.etc. Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle, que spirituelle. » (Fin de citation).
Comme on le voit, la loi fondamentale de notre pays, rejette la dictature, promeut l’Etat de droit et la démocratie pluraliste. Par rapport à quoi, la « dictature du développement » sonne creux, sonne faux. L’expression ne peut relever que d’un abus de langage. A comprendre comme un usage mauvais ou excessif de mots qui ne cadrent point avec un environnement sociopolitique déterminé. L’expression est donc arrivée comme un accident, qui se définit comme un événement fortuit et malheureux, un épisode non essentiel. Ce qui devrait amener les Béninois à l’oublier bien vite, en commençant par le gommer, par le bannir de leur discours.
Il est à considérer que qui parle de « Dictature du développement » n’a encore rien dit ou en a dit plus qu’il ne pense. Car la dictature est l’ennemi notoire de tout développement digne de ce nom. L’historien burkinabè, feu Joseph Ki-Zerbo, d’illustre mémoire, disait fort justement « On ne développe pas, on se développe ». Qu’est-ce à dire ?
Que, d’une part, l’homme est et demeure le premier agent développeur. Avant l’argent, avant le pétrole. Que, d’autre part, l’homme est la mesure de tout développement. C’est lui qui mobilise les ressources intellectuelles, matérielles et financières. C’est encore lui qui les utilisent à bon escient ou qui les détournent honteusement. Qu’enfin l’homme est et demeure un être de liberté et de responsabilité. La dictature est incompatible avec sa liberté. Le développement relève de sa responsabilité. Mais non d’une quelconque forme de dictature. Ainsi soit-il dit, pour qu’il en soit ainsi compris.