Togo : la dictature aux abois

Le silence des grands médias internationaux ne doit pas nous tromper : le Togo est bien en train de vivre une crise profonde comme en témoigne la puissance, le nombre et le rythme des manifestations qui se déroulent à travers le pays.

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Une dictature héréditaire

Ce pays d’Afrique de l’ouest n’a connu que la dictature depuis l’assassinat de Sylvanus Olympio en 1963, le père de l’indépendance, par les sbires de la France où se trouvait Eyadema, plus connu sous le nom de «sergent Étienne», qui régna sans partage pendant 38 années. A sa mort son fils, Faure Gnassingbé appuyé par l’armée, prend le pouvoir et organise des élections en 2005 qui se termineront dans un bain de sang. Les organisations de défense des droits de l’homme estiment que 790 personnes sont mortes et ce sont des milliers de togolais qui ont
dû s’exiler pour fuir les milices du parti présidentiel le RPT, notamment dans le pays voisin le Bénin où vivent encore, à Agamé, des centaines de réfugiés dans un dénuement complet. En 2010 de nouvelles élections sont organisées, de telle manière que la victoire de Faure Gnassimbé soit assurée, mais de façon moins caricaturale et moins violente que pour celles de 2005. A cet effet, les listes électorales seront trafiquées, l’élection se fera à un tour avec l’achat des consciences, le bourrage des urnes, la centralisation des résultats permettant toutes les manipulations, etc… Depuis, régulièrement, des manifestations sont organisées par l’opposition qui revendique la victoire électorale.

Une opposition combative

L’Union des Forces du Changement était la principale organisation de l’opposition, dirigée par le fils de Sylvanus  Olympio, Gilchrist. Sa seule qualité, de dirigeant de l’opposition, il l’a doit uniquement au nom qu’il porte car il n’a jamais été capable de mener une opposition conséquente et, lors des événements décisifs, il a toujours louvoyé, puis reculé. Petit à petit, il s’est éloigné de la direction de son Parti, à tel point que deux centres de décisions se sont progressivement formés, un au domicile de Gilchrist situé à Tokoin dans les quartiers chics de Lomé, l’autre dans le quartier populaire à Lomnava[1] .
Pour les élections présidentielles, Gilschrist Olympio a manoeuvré, pour refuser par la suite de se présenter, soutenant du bout des lèvres le candidat qui allait porter les couleurs de l’UFC, Jean- Pierre Fabre. Après les élections, Faure Gnassingbé a proposé une sorte de gouvernement d’union nationale où il aurait tout pouvoir quand les représentants de l’opposition n’auraient que des strapontins ; le seul but étant de montrer, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, que Faure Gnassimbé était un homme de rassemblement. Sans demander l’avis de personne, Gilchrist a accepté, accompagné de quelques affidés. L’essentiel des membres de son Parti refusèrent cette capitulation et fondèrent l’Alliance Nationale pour le Changement qui, depuis, mène sans relâche une politique combative contre la dictature. Après les élections elle a construit, avec d’autres   organisations politiques, un Front large (le FRAC) qui, depuis le résultat du second tour, appelle à des manifestions régulières contre le holdup électoral.

Un Pouvoir aux abois

Le Gouvernement n’a eu de cesse d’harceler l’opposition en démettant arbitrairement huit députés de l’ANC malgré les recommandations de la Cour de Justice de la CEDEAO. Ensuite il a mis sur pied une commission «vérité et de réconciliation», qui a surtout permis à ce que les criminels, qui ont agit pendant des années sous la dictature, ne répondent pas de leurs actes devant la justice. Puis il a confié à la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) un audit que le pouvoir a publié sur son site, en prenant soin d’expurger les cas avérés de torture dans les lieux de détention de l’Agence Nationale du Renseignement. Après que le vrai rapport ait été publié et largement diffusé, le pouvoir a réagit en confiant la mise en place de réformes … aux principaux accusés. A l’intérieur du clan Eyadema une lutte fratricide, au vrai sens du terme, s’est déroulée en 2009 quand Faure à accusé son demi frère, Kpatcha Gnassingbé, d’une tentative de coup d’état et l’a emprisonné avec une trentaine de personnes. Au bout de deux ans d’emprisonnement un procès est en train de se dérouler et déjà les principaux accusés font état de torture à leur encontre. Aujourd’hui les mobilisations redoublent contre le projet de la réforme électorale pour préparer les élections locales et législatives. Une fois de plus le gouvernement togolais, de manière unilatérale a pris les décisions, celles là mêmes qui vont lui permettre d’assurer son succès électoral. Décidément la vitrine démocratique, qui plait tant à l’Union Européenne et à la France, cache mal la dictature de l’arrière boutique pour peu que l’on ait la volonté d’y jeter un coup d’oeil. Changement ou continuité?

La France en soutien

Comme scellé par un pacte de sang après l’assassinat d’Olympio, la France va demeurer un indéfectible soutien à la dictature au Togo, comme le souligne d’ailleurs la haute administration française :«Après avoir été délaissé par les bailleurs de fonds pendant une dizaine d’années (à l’exception de la France qui a toujours gardé un volant d’aide au développement avec ce pays)».[2]
L’UE, elle, va financer en partie les élections de 2011 et, tout de suite après, lever les sanctions malgré les fraudes électorales massives et les multiples atteintes aux droits de l’Homme. La politique de l’UE est simple, les dictatures amies doivent être soft,

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Nouvelles du continent

C’est-à-dire des élections truquées et une répression discrète. Une fois ces conditions remplies, l’Union européenne peut recommencer son aide au développement, l’accompagnant de quelques commentaires sur l’amélioration de la gouvernance. Les meilleurs avocats du gouvernement togolais vont être Louis Michel, ancien ministre belge des affaires étrangères, qui s’est spécialisé dans la défense des dictatures africaines et la France. Cette dernière est récompensée, en effet en 2011 les entreprises de l’hexagone ont exporté pour plus de 247 millions d’euros. De plus, les multinationales françaises sont particulièrement implantées au Togo. Ainsi le port, principale ressource économique du Togo, où transitent près de huit millions de tonnes de marchandises, est aux mains du groupe Bolloré et de la GETMA. D’autres multinationales comme la CFAO, Total, Accor ou des entreprises togolaises qui appartiennent à des Français, telles l’African West Cargo, entreprise de cargo aérien, ou  les transports routiers comme Renaldo et STTR plus une myriade de PME. Pour résumer : Jackpot pour les   multinationales « Le Togo reste un client fidèle de la France en dépit d’un environnement concurrentiel  toujours plus serré. Les  importateurs togolais continuent d’avoir le « réflexe français » lorsqu’il s’agit pour eux de rechercher un produit ou un équipement. Notre commerce avec ce pays connaît donc une certaine résistance et donc une relative stabilité », [3]
Enfin le Togo reste un refuge pour les Français qui sont en délicatesse avec la justice de leur pays, le plus célèbre d’entre eux, Richard Debasch, sorte d’éminence grise de Faure Gnassimbé, qui s’est chargé d’habiller juridiquement son coup d’état.

Une lutte importante

Par son ampleur, la lutte des populations togolaises et la situation similaire de maints pays africains francophones peut rapidement s’élargir. En effet des mobilisations importantes, notamment menées par la société civile, se déroulent au Gabon contre les trucages électoraux et la prise du pouvoir par le fils Bongo. La lutte au Togo a pris une ampleur inégalée et est conduite de manière unitaire. L’opposition politique et la société civile militante, en tout 17, se structurent et se retrouvent dans un même cadre organisationnel : le «Collectif sauvons le Togo». Affiche du collectif pour la vérité des urnes-2010 Notre solidarité doit être entière avec cette lutte. Déjà nous devons exiger que la France cesse immédiatement ses aides et projets sécuritaires. La France, comme le rappelait  fièrement Alliot-Marie disposée à prêter main forte à la dictature de Ben Ali lors de la révolution tunisienne, a un savoir faire inégalable dans le «maintien» de l’ordre. C’est elle qui s’est chargée d’équiper, via FCI (France Coopération International), les 6000 gendarmes et policiers en faisant travailler les sociétés françaises : Protecop  pour l’équipement individuel, Soicex pour le matériel radio et la CFAO pour les véhicules 4×4, tout cela pour la bagatelle de 500 000€ payés, en grande partie, par l’Union Européenne[4].

Ces mêmes policiers et gendarmes qui, fort de leur équipement et formation, dispersent avec brutalité les tentatives de rassemblement, matraquent et gazent les manifestants. Déjà on compte deux morts. Les dirigeants de l’opposition sont soit arrêtés, soit comme Jean-Pierre Fabre, assignés à résidence. Il est donc important que les organisations progressistes en France exigent du gouvernement l’arrêt de cette coopération et le départ des huit policiers et militaires français présents au Togo. Ce serait un premier signe démontrant que la France ne  soutient plus les gouvernements illégitimes en Afrique, comme François Hollande s’y est engagé.

Paul Martial
Source : Afrique en lutteno18 juillet 2012

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