Cela n’arrive pas qu’aux autres

Tournons les pages noires d’un bien triste livre. Celui-là qui nous conte au quotidien l’enfer sur terre, l’affreuse condition à laquelle se trouvent réduits des milliers de nos compatriotes. Nous nous préoccupons de grandes réformes. C’est bien.

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Mais  avons-nous le droit de fermer les yeux sur les ruines humaines qui nous entourent ?  Elle est pourtant là, sous nos yeux, à portée de nos nez, la décharge publique de nos malheurs. Elle  charrie la boue de nos misères.

Zanmènou a été un agent permanent de l’Etat. Il aura fait l’offrande de trente ans de sa vie à la grosse machine qu’est l’administration. Mais quatre ans après son départ, aucune nouvelle de sa pension de retraite. La lenteur administrative eut raison de lui. Ayant manqué du minimum nécessaire pour vivre, Zanmènou fut  terrassé par une sévère hypertension. Il ne s’en était jamais remis. Il s’éteignit sans avoir touché le moindre kopek de sa pension. Ils sont légion les Zanmènou dans toutes les régions et familles du Bénin.  

Eblémakou, la vingtaine souriante, est apprenti mécanicien dans un obscur garage-auto de Cotonou. Mais tous les beaux projets qu’il déclinait sur l’écran de ses rêves se sont fracassés un après midi. Il est fauché par un camion fou. L’hôpital, sans des gages financiers sûrs quant à sa prise en charge, l’abandonna à lui-même. Il se vida de son sang sous le regard indifférent de deux portiers. Ils ont reçu des ordres. C’est vrai que les robots ne réfléchissent point. « Nul n’entre ici s’il ne peut payer ses frais d’hospitalisation et de soin». Ce n’est écrit nulle part, mais c’est tout comme.  

Trois frères, las de mener une vie terne et sans relief dans leur village natal, se laissèrent charmer par le chant des sirènes de la grande ville. Une habitation sommaire, genre «entrer-coucher», les accueillit. Deux mois après leur installation, alors que leurs économies avaient déjà fondu comme beurre au soleil, le propriétaire de leur «entrer-coucher» décida d’augmenter le loyer. C’était à prendre ou à laisser. Et ils n’avaient que trois jours pour s’exécuter. Sinon, ils étaient bons pour la rue. Commença pour eux une errance sans fin dans les quartiers insalubres de la ville. Le benjamin s’en retourna au village avec les corps sans vie de ses deux frères. L’un fut foudroyé par une crise aigue de dysenterie. L’autre fut emporté par un méchant palu.

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Tobias ne sait plus combien de temps il a déjà passé en prison. Deux ans ? Trois ans ? La prison, sous nos latitudes tropicales, broie son homme de prisonnier. Il faut mentalement se convertir à une vie de chien pour survivre aux conditions inqualifiables offertes à des êtres humains. Dire que la plupart de ceux-ci sont présumés innocents. Leurs dossiers, depuis des années, sont attente d’être instruits. Que restera-t-il d’une vie brisée, que fera-t-on d’un avenir compromis? Des questions qui trottent dans la tête de Tobias visiblement à bout.

Evoquons sommairement trois cas qui donnent à réfléchir. Premier cas, celui de ce jeune médecin, bac + 12. Il n’en finit plus d’attendre un tout premier emploi stable et valorisant. Deuxième cas, celui de cette jeune fille tirée de son village natale, vendue comme une marchandise et livrée à l’appétit de ses seigneurs et maîtres. Troisième cas, enfin, celui de ces malades du VIH sida Ils savaient, et ils en étaient heureux, que l’on ne meurt plus de cette redoutable maladie. La trithérapie leur donne, désormais, des raisons de croire et d’espérer. Alors qu’ils s’y attendent le moins, on vient leur chuchoter à l’oreille de se préparer à mourir : rupture de stock des médicaments qui sauvent.

Tout cela se passe dans notre société. Nous en sommes des témoins complaisants ou indifférents. Mais cela n’arrive pas qu’aux autres. Alors, que faire ?  Un observatoire attaché à suivre tous ces bobos faits à notre vie quotidienne serait le bienvenu. Nous devons bénéficier du privilège de tout voir, de tout savoir, d’être au courant de tout. On veillera à faire la plus large publicité des résultats de nos observations. A l’image des rapports d’Amnesty International et de Reporters sans frontières. Un concours de presse, privilégiant les genres reportage et investigation, pourrait utilement compléter cette action. L’occasion serait ainsi donnée à nos journalistes d’aller poursuivre la misère dans ces derniers retranchements. Ce qui aurait l’inestimable avantage, par la diffusion des œuvres primées, de nous introduire, au cœur du mal. Pour une prise de conscience salutaire.

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