Bonne gouvernance en pays francophones d’Afrique : du nombre et de la qualité de nos ministères

«Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui». Alexis de Tocqueville

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Combien de ministères un gouvernement doit-il avoir ? Cette question mérite-t-elle d’être posée lorsque, en pratique, le président de la République a seul le pouvoir d’en décider? Le journal L’Autre Quotidien a publié, dans sa livraison numéro 1959 du 9 août 2012, un article fort intéressant et courageux, écrit par M. Simon-Narcisse Tomety : «De la crise systémique des valeurs à la crise cyclique des réformes au Bénin : Quinze propositions de sortie de crise». Cet article se lit comme un réquisitoire contre l’instabilité institutionnelle et contre la mal-gouvernance.

Reconnaissons-le: nombreux sont ceux qui, en Afrique francophone, déplorent les effets de l’instabilité institutionnelle, qui règne sur l’espace public. Que faire?

Mieux contrôler l’action de l’exécutif

Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont adopté des mesures constitutionnelles qui accordent à leur parlement le pouvoir d’accepter ou de rejeter le gouvernement qu’a composé le président de la République : celui-ci conserve le droit de nommer à la tête d’un ministère la personne qu’il juge la plus compétente ; cependant, il revient au peuple, à travers ses représentants élus, de confirmer ces choix.  C’est le principe que les américains appellent «advice and consent» (tout est dans le terme «consent»). Le Ghana, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone ont inscrit cette mesure dans leurs constitutions ; par ailleurs, la constitution de la Gambie et celle du Ghana fixent le nombre de ministères que leur gouvernement peut avoir : quinze pour la Gambie et de dix à dix-neuf pour le Ghana. Si les pouvoirs accordés au parlement de ces pays n’offrent peut-être pas de garantie absolue contre l’instabilité institutionnelle,  ils contribuent sans doute à réduire cette instabilité et donc à ralentir la fréquence des remaniements ministériels.

Aux États-Unis d’Amérique, le président nomme les ministres. Le peuple, à travers ses représentants au Sénat, accepte ou rejette la proposition du président.

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Les États francophones d’Afrique sont, malheureusement, plutôt loin de telles pratiques démocratiques. Dans nos pays, les outils de contrôle parlementaire de l’action du président sont relativement limités. Ainsi au Bénin, en matière de composition du gouvernement, le président informe simplement le Bureau de l’Assemblée nationale, pour «avis consultatif» (article 54 de la Constitution) ; au Burkina ou au Togo, le parlement n’est pas consulté (Burkina : article 46 constitution de 1997 ; Togo : article 66, constitution 2002).

Nous pouvons regretter que le parlement des pays francophones n’ait pas de moyen de contrôle à priori de l’action de l’Exécutif, comme par exemple l’obligation légale de procéder à un examen public des choix du chef de l’État en matière de formation du gouvernement, et le pouvoir de rejeter ces choix, si la personne désignée ne réunissait pas les compétences requises pour diriger le département ministériel qu’on a voulu lui attribuer.

Nous pouvons également regretter le fait que si le président d’un pays francophone d’Afrique décidait de créer du jour au lendemain trois, six ou neuf nouveaux ministères, personne ne pourrait s’y opposer. Il n’existe pas dans les pays francophones d’Afrique, de mécanisme constitutionnel permettant de lutter efficacement contre cette forme d’instabilité.

Nous pouvons, enfin, regretter qu’en plus du fait que rien n’empêche le président de créer autant de ministères qu’il le souhaite, il lui est loisible de les détruire après deux ans et de les re-créer dix-huit mois plus tard (je n’invente rien, les exemples sont malheureusement nombreux). Cerise sur la gâteau, pourrait-on dire : rien n’empêche le président de nommer son chauffeur ministre des Transports ou son garde du corps à la Défense nationale. On pourrait en rire, mais cela pose problème…

Est-ce alors un hasard si, dans l’espace de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements des pays francophones sont ceux qui ont le plus de ministères ? Fin 2009, j’ai examiné dans le cadre d’une étude, la liste des départements ministériels de quelques pays de la CEDEAO. Voici le palmarès que j’ai pu établir:

Burkina Faso : 34 ministères ;

Côte d’Ivoire: 32 ;

Niger : 32 ;

Sénégal : 31 ;

Guinée : 31 ;

Bénin : 30 ;

Togo : 30 ;

Mali : 30;

Ghana: 23;

Nigeria: 23;

Guinée Bissau: 22;

Sierra Leone : 21

Cap Vert: 20;

Liberia: 20

…Et hors d’Afrique, toujours en 2009 :

Danemark : 19 ministères ;

Russie : 18 ;

Espagne : 17 ;

États-Unis :15 ;

Japon : 15 (en 2012);

Pays-Bas :15

Il semble bien que, dans nos pays, l’inflation ministérielle soit devenue une maladie chronique à laquelle beaucoup se sont malheureusement habitué. Entre 2006 et 2008, le Bénin a créé huit nouveaux ministères, dont le Ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat, de la Réforme foncière et de la Lutte contre l’Érosion côtière (MUHRFLCEC, 2006-2011). Le 8 avril 2006, le Bénin avait 23 ministères ; le 21 novembre 2006, 24 ministères ; le 18 juin 2007, 27 et le 22 octobre 2008, 31.

Les États-Unis d’Amérique ont aujourd’hui quinze ministères. Il y a dix ans, ce pays avait quinze ministères, les mêmes qu’aujourd’hui. Les premiers responsables de ces structures (on les appelle «secrétaires»), une fois choisis par le président, ont tous dû se présenter devant le Sénat, défendre leur programme et «vendre» leurs compétences. Dans ce pays, les séances où les sénateurs interrogent une personnalité choisie pour diriger un ministère, sont publiques et télédiffusées.

En quoi sommes-nous si différents?

Nous pouvons donc nous poser au moins deux questions: Quelle est la particularité qui justifie que la gestion des pays francophones d’Afrique nécessite souvent jusqu’à dix ministères de plus que pour la plupart des pays non-francophones? Pourquoi les personnalités choisies pour diriger ces ministères ne sont-ils pas interrogées par les représentants du peuple avant de prendre fonction?

En France aussi, le président n’a besoin d’aucune autorisation particulière pour procéder à un remaniement ministériel. Et l’on assiste même à des changements de portefeuille à l’intérieur d’un même gouvernement : ainsi en juin 2012, un ministre français est passé de la Justice à l’Écologie, alors que  celui qui s’était vu attribuer l’Écologie un mois et trois jours plus tôt devenait ministre du Commerce extérieur. Ceci pourrait-il se produire aussi facilement dans un pays où les ministres, spécialistes du domaine qui leur est attribué, doivent défendre leur programme devant les représentants du peuple avant d’entrer en fonction (si le parlement les y autorise)? Y aurait-il en la matière propension au mimétisme entre la France et ses anciennes colonies?

Nombreux sont les français qui se plaignent de l’instabilité institutionnelle et du caractère pléthorique de leur gouvernement. La liste des  ministères et secrétariat d’État français éphémères ou insolites est relativement longue: en 1981, on créait un ministère chargé… du Temps libre (supprimé deux ans plus tard) ; en 2007, le Secrétariat d’État chargé des Affaires étrangères et des Droits de l’homme ;  en 2012, les ministères du Redressement productif, de l’Éducation populaire ou de la Réussite éducative. Le monde francophone a, semble-t-il, une compréhension du mot «ministère» qui diffère assez largement de celle qu’en ont les anglo-saxons. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle nous parvenons à changer régulièrement la dénomination et le mandat de ces structures, qui ne durent d’ailleurs souvent que quelques saisons.

Certains défenseurs du gouvernement à géométrie variable prétendent que, à mesure que la société évolue, il faut bien créer de nouveaux ministères pour résoudre les «nouveaux» problèmes qui naissent de cette évolution. On pourrait leur répondre que plusieurs gouvernements, et non des moindres, n’ont pas jugé bon de multiplier le nombre de leurs ministères, malgré le fait que la société «évolue» partout sur la planète et ce, depuis fort longtemps.

Le principe de subsidiarité…

Une autre raison qui pourrait expliquer le nombre extraordinairement élevé de nos ministères est que les gouvernements des pays francophones ont tendance à (vouloir) s’occuper de tout, alors que la société civile pourrait fort bien gérer plusieurs domaines qualifiés aujourd’hui de «ministériels» : droits de l’homme, personnes âgées, personnes handicapées, sports, loisirs, artisanat, tourisme, temps libre, etc. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les budgets de certains de ces ministères atteignent difficilement les 1% du budget national (exemple : le budget du ministère sénégalais des Technologies de l’Information et de la Communication pour l’année 2011).

Nous rendrions nos sociétés civiles plus dynamiques, si nous les laissions gérer des domaines confiés, mécaniquement ou par simple mimétisme, aux ministères. Appliquons chez nous ce qu’ailleurs on appelle «principe de subsidiarité», à savoir : «le souci de veiller à ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut l’être avec plus d’efficacité à une échelle plus faible, c’est-à-dire la recherche du niveau pertinent d’action publique». (http://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_subsidiarit%C3%A9)

Le 15 mai 1931, le pape Pie XI publiait la lettre Encyclique Quadragesimo Anno sur la justice sociale (à l’occasion du quarantième anniversaire de l’Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII), où il énonce clairement le contenu du principe de subsidiarité : «… de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice… que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes… Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir ….»

Source : http://www.laportelatine.org/bibliotheque/encycliques/PieXI/Quadragesimo_Anno.php

… Implique qu’un ministère soit nécessairement durable

Si l’on considère donc qu’un ministère est une structure chargée de gérer un domaine de la vie publique que la société civile n’est pas en mesure d’assumer avec le même degré d’efficacité, on peut alors comprendre que dans certaines grandes démocraties du monde le nombre des ministères reste modeste (de quinze à vingt) et que la dénomination de ces institutions ne change que de façon exceptionnelle.

Sans devoir nécessairement organiser sur la question un débat d’envergure nationale, nous pouvons, nous aussi, dresser une fois pour toutes la liste de nos ministères et l’inscrire dans une loi. Au Ghana et en Gambie, comme nous l’avons vu plus haut, c’est dans la Constitution que l’on a fixé le nombre des ministères; le Cap Vert a promulgué une loi pour se prémunir contre l’inflation ministérielle et ainsi, mieux gérer ses finances publiques.

Dans certains pays francophones, la loi fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale (exemple, article 52 de la Constitution togolaise de 2002). Le nombre et la dénomination des ministères ne pourraient-ils être eux aussi objets d’une proposition ou d’un projet de loi ? Au Burkina, l’organisation générale de l’Administration est un des sujets régis par la loi (article 101, constitution de 1997). Dans la mesure où les ministères de ce pays font partie intégrante de l’Administration, alors il semble bien que l’Assemblée nationale pourrait valablement proposer une loi fixant le nombre des ministères et précisant leur dénomination. En d’autres termes, en observant le principe de subsidiarité, le législateur peut établir la liste de la quinzaine de grands domaines de la vie publique dont le pays a besoin et que la société civile ne peut pas gérer efficacement.

Les pays francophones de la sous-région, en rationnalisant, c’est-à-dire en réduisant, le nombre de leurs ministères, parviendraient à:

1. accroître la maîtrise par l’État des dépenses publiques, et réduire ces dépenses;

2. réduire le problème d’instabilité institutionnelle et accroître le degré de stabilité des relations avec les partenaires internationaux ;

3. dynamiser et responsabiliser davantage la société civile en l’aidant à investir des domaines autrefois dévolus aux ministères.

En donnant à l’Assemblée nationale mandat de choisir, à travers un processus public et à partir d’une proposition émanant du chef de l’Exécutif, les meilleurs candidats pour occuper des postes ministériels, le peuple contrôlerait de façon plus sûre certains des pouvoirs confiés à celui qu’il a élu et qui reste son serviteur : le président de la République.

Relisons la Déclaration de Bamako, adoptée en novembre 2000 par les pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie : «La démocratie implique la participation des citoyens à la vie politique et leur permet d’exercer leur droit de contrôle».

Prenons garde, cependant : un tel processus de désignation et confirmation des personnalités chargées de diriger nos ministères n’est pas sans danger ni limite. Nous devons prévoir qu’il engendrera dérives et tentatives de blocage orchestrées par des acteurs malveillants. L’important est que cette forme de contrôle parlementaire se fasse dans la plus grande transparence. Le peuple doit être tenu parfaitement informé, à toutes les étapes, des progrès de ce processus démocratique.

Eric Tevoedjre
(Docteur en sciences politiques Directeur-associé du Centre Panafricain de Prospective Sociale – Institut Albert Tevoedjre)

 

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