Nous sommes au Bénin. Tout et le contraire de tout peuvent arriver, sans que plus personne ne s’en émeuve. La sortie du député promoteur d’une chaîne de télévision privée, aujourd’hui sur la sellette, est l’un de ces faits qui n’étonnent plus personne.
On en a vu d’autres en plus de vingt ans de processus démocratique dont six ans de régime dit du changement ! Par le passé, ce député avait failli perdre son mandat pour les mêmes raisons ou presque. Le microcosme politique en a été fortement secoué et … tout s’est terminé par de petits arrangements qui ont débouché sur de grandes connivences. La formation du premier bureau de l’Assemblée Nationale a été le couronnement de ses petits arrangements. Le G13 que dirigeait le député s’y est retrouvé avec deux membres aux postes très enviés de 1er questeur et de vice président. Ce n’était pas rien !La lune de miel a pris fin avec la bataille de la désignation des membres de l’actuelle cour constitutionnelle. On connaît la suite ! Le député n’avait –il pas déclaré auparavant que c’est sur sa chaîne qu’a été annoncé le fameux K.O ? Aujourd’hui, sa chaîne de télévision, la seule à nous sortir du carcan de la pensée unique desséchante a été mise hors tension. Indignation générale. On passe la journée à s’interroger sur qui a pu donner un tel ordre. On ne tardera pas à le savoir. Le soir même, à une heure de grande écoute, le Dg, agent permanent de l’Etat, qui ne parle de lui-même et de la chaîne de service public qu’à la première personne du singulier, déclare , pince- sans –rire, que c’est lui qui a demandé… au gardien de l’office de couper les installations de la chaîne privée frauduleusement branchée sur les siennes. On tombe des nues ! La coïncidence avec les déboires d’un homme politique reçu ostensiblement sur la chaîne laisse planer quelques doutes sur les vraies intentions des commanditaires. En tout cas, dans la foulée, le ministre de l’Intérieur vient étaler à la face du monde les secrets de l’enquête diligentée par qui ? En tout cas, pas par un magistrat de l’ordre judiciaire. La seule question qu’on est en droit de se poser est, « pourquoi révéler maintenant ce que les initiés-y compris les tenants du pouvoir- savaient depuis longtemps ?» : les petits arrangements du régime Kérékou avec certains hommes d’affaires ! Les causes de la déconfiture de l’opérateur historique des télécoms sont de notoriété publique. La réponse à cette question préjudicielle se trouve dans la suite des déballages du ministre de l’Intérieur intervenant en direct sur le plateau du journal télévisé. On l’a entendu lancer à la cantonade une pique à l’adresse des « donneurs de leçons » qui avaient signé par le passé des contrats léonins pour gruger l’Etat. Et d’appeler à la mobilisation générale pour le recouvrement des dettes.
Toujours est il que le message a été capté 5/5 par le destinataire. L’histoire se répète. Entre-temps, la chaîne incriminée recommence à émettre avec du « matériel de secours », affirme-t-on du côté des premiers responsables. Entre-temps aussi, le Dg, auteur de la coupure est limogé pour…. complicité évidente et mauvaise gestion. La partie adverse, jubile jusqu’à l’extase : Les titres les plus dithyrambiques succèdent aux formules hyperboliques. Morceaux choisis : « le Yayi de 2006 est de retour ! », « le grand démocrate ! » On croit rêver ! On observe alors sur le terrain une légère accalmie. Plus personne n’évoque la suite sulfureuse annoncée par le ministre enquêteur… Jusqu’à ce weekend et cette déclaration surprenante. Pas dans la capitale économique mais dans le Bénin profond, là où les cousins des frères du grand oncle maternel et les petits frères des beaux frères de maman concoctent les petits arrangements pour de grandes connivences… sur le dos du contribuable. Avec, à l’appui, cette paraphrase cynique d’un homme politique français qui ferait pâlir d’envie le marquis de Sade et le Prince de Machiavel en même temps : « je n’ai pas créé (la chaîne) pour gagner de l’argent. Je l’ai créée pour m’appuyer là-dessus pour faire grandir mon réseau. » On ne saurait être plus clair ! Les démocrates et tous les « petits » opposants qui croient avoir trouvé l’exutoire de leurs frustrations apprécieront !! En attendant de voir sur quoi débouchera cette nouvelle alliance ( silence-radio sur les critiques acerbes d’une certaine opposition et soutien actif dans des projets de référendum ou de révision contre effacement de l’ardoise querellée et autres joyeusetés) ?L’avenir nous dira !).Force est de reconnaître que c’est ainsi que fonctionne le microcosme politique au Bénin où les professions de foi sur la moralisation de la vie publique n’émeuvent plus personne. Il n’y a qu’à voir le reportage de la cérémonie de passation de service du Dg limogé pour se convaincre de ce que les conclusions des commissions d’enquête resteront toujours lettre morte. Qui dit mieux ? Reste qu’on ne peut pas étouffer un organe de presse comme on peut étouffer ou interrompre les débats à l’Assemblée Nationale, sans nuire à la crédibilité du média. Ici, il est question de l’exercice et de l’expression des libertés publiques. Si la Chaîne de l’honorable député doit cesser d’être ce qu’elle est, un lieu de débats contradictoires et féconds sur les questions d’intérêt national, pour ne montrer que les audiences interminables du chef de l’Etat ou les reportages soporifiques long métrage des manifestations d’un seul camp, les téléspectateurs n’auront pas d’autre choix que de se rabattre sur les chaînes cryptées , en attendant d’exprimer ailleurs leurs frustrations refoulées.
(Avis aux lecteurs :Une mauvaise manipulation des fichiers nous a fait publier une version inachevée de l’éditorial :Lire ci-dessus la bonne version. Merci d’accepter toutes nos excuses pour les désagréments causés !)