Procès des libertés d’expression et de presse dans une démocratie en crise

N’en déplaise à l’exécutif, au législatif et au judiciaire ;  la presse n’est pas seulement un quatrième pouvoir.  Du point de vue organisationnel et directionnel ils passent avant elle certainement mais en termes d’influence sur l’opinion, qui est la chose la plus déterminante  dans la conduite des affaires de l’Etat, elle leur tient la dragée haute.

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C’est pourquoi toute atteinte à elle portée crée réaction et réprobation  en régime démocratique.

Notre société se déchire sous nos yeux et il serait irresponsable de ne pas se le dire. Elle se déchire parce que les forces politiques au niveau du législatif, les représentants du peuple n’hésitent plus à brouiller les cartes et les pistes, préoccupés qu’elles sont à se repositionner avantageusement à tout moment. Notre société se déchire  aussi en raison des  crises sociales à répétition qui ne cessent de secouer  l’Exécutif et, par ricochet, le pays entier. Le judiciaire perd la confiance du peuple, parce qu’il est  en rupture d’exercice trop souvent alors qu’il est le dernier recours du citoyen. La récente crise  entre la presse, l’Exécutif et la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication est venue en ajouter à la situation déjà précaire. Et comme si tout cela ne suffisait pas, cerise sur le gâteau, les frictions  entre  différents organes de presse se font jour ; accusations et dénonciations se succèdent et  synthétisent bien les crispations qui congestionnent le climat social dans lequel nous vivons. Mais qu’en est-il de la liberté d’expression et de la liberté de presse dans  cette tourmente ?

La liberté d’expression et ses contours

L’être humain naît avec la liberté d’expression à tel point qu’on n’a pas besoin de la  solliciter chez le  nourrisson. Avant d’être civile et politique la liberté est naturelle ; c’est un droit naturel S’exprimer librement est donc  naturel ; la liberté d’expression permet à chacun de révéler sa pensée à autrui notamment par l’idée ; elle est donc  une liberté fondamentale et discursivement la première liberté politique lorsqu’il s’agit de  gestion des affaires publiques. Après la Révolution Française de 1789, le législateur en a fait un droit pour éviter que l’on n’y  porte jamais atteinte   Elle est par ailleurs devenue un phénomène qui s’impose à nous avec l’apparition, depuis la fin du siècle dernier, de nouveaux modes de communication tel internet. La liberté d’expression  s’impose donc à tous égards. Elle a toujours été  défendue à travers les temps et les âges et a fait l’objet de plusieurs textes dont nous rappelons l’essentiel et elle est protégée par le droit international. Que ce soit la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui est la référence mondiale en matière de libertés ; que ce soit la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948  qui tire sa substance de la précédente ; que ce soit le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies ; que ce soit notre propre Constitution, ils disposent cumulativement des principes suivants :« Tout individu a droit à la liberté de pensée, d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions même religieuses et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées de toute espèce par quelque moyen d’expression que ce soit  dans le respect de l’ordre établi par la loi et les règlements.» La liberté d’expression est donc un phénomène de régime politique démocratique ; son antithèse, la censure ou toute entrave des autorités étatiques à son exercice, est un phénomène de régime totalitaire.

Mais il y des restrictions à cette liberté. Tous les textes cités ci-dessus  la promeuvent tout en y apportent une limitation : celle de ne pas troubler l’ordre public établi par la loi. La loi française du 29 juillet 1881 limite la liberté d’expression par l’instauration d’un régime répressif en prévoyant des incriminations pénales pour  diffamation et injure. La diffamation y est définie comme étant « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » et l’injure comme étant « toute expression outrageante, termes de mépris ou invectives qui ne renferme l’imputation d’aucun fait. ».   Le pacte international de 1966 quant à lui  impose le respect de la vie privée des gens.

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La pratique de la liberté d’expression dans notre pays

Pour rester dans une période assez récente la liberté de presse a été mise à mal  particulièrement sous le régime révolutionnaire du parti de la révolution populaire du Bénin ; sévèrement réprimée au nom de l’unicité de la  pensée marxiste. La méfiance était réciproque et généralisée ; toute parole qui n’était pas conforme à la ligne était dénoncée et son auteur systématiquement brimé de diverses manières ; dénonciations à qui mieux mieux et confessions publiques ; c’était ainsi ! De nos jours certains communicateurs ont tendance à oublier tout ce pan de notre histoire de la liberté d’expression lorsqu’ils se montrent nostalgiques du passé en cette matière. Il convient de ne pas faire preuve d’amnésie lorsque nous voulons transmettre un héritage culturel honnête à nos descendants. La période que nous avons connue entre 1972 et 1990 a été en termes des libertés civiles et politiques  la pire qui soit. Et ce n’est pas parce que les  autorités qui géraient le pays alors, ont changé leur fusil d’épaule  après avoir repris du service  six années plus tard par le biais du  jeu démocratique, qu’elles sont devenues des championnes de  la liberté d’expression même si de bonnes choses avaient été faites par ailleurs. Ce n’était point par vertu à respecter les droits  fondamentaux de l’être humain; non ! C’était tout simplement parce que la Conférence nationale souveraine était passée par là.  Il convient alors de faire la part des choses ; de  rétablir la vérité dans son intégrité et ne pas l’escamoter quand bon nous semble ; cela n’est pas de la bonne information. Je connais plus d’une chaîne de télévision qui n’aurait pas vu le jour à cette époque-là. Alors, ne prenons pas des raccourcis avec l’histoire ;  n’occultons pas  le mal qu’elle a connu pour ne retenir que le bien ; l’histoire c’est toute l’histoire ou elle n’est pas.

Cela étant, les autorités actuelles devraient s’accommoder de l’idée que la liberté d’expression ne vaut pas seulement pour les  informations qui leur conviennent ou qui sont neutres parce que inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : c’est la rançon du pluralisme, de la tolérance et de l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’y a pas de  société démocratique. Mais il y a des quiproquos sur la liberté d’expression qu’il convient de relever. En les priant de bien vouloir nous  excuser de les citer nommément, considérons les deux cas qui ont défié la chronique récemment : celui de l’honorable  Azanaï et celui de Maître  Agbo.  Prenant le premier cas, une certaine presse fait valoir que  c’est liberté d’expression et courage  que d’être dans un parti, de s’en réclamer officiellement et de le critiquer vertement au risque de faire amplement le jeu de l’opposition qui ne manque pas l’occasion de récupérer tels agissements. Dans notre entendement,  la liberté d’expression revêt intrinsèquement une connotation morale, une éthique  dont il sied de ne point se départir. Nous  concevons clairement qu’en fonction de la liberté d’opinion, il puisse se  dessiner, au sein d’un parti politique, un mouvement qui rassemble des personnes ayant des points de vue différents des positions officielles du parti avec à sa tête un leader. Mais lorsqu’un partisan  s’écarte du parti et fait cavalier seul, la chose ressemble fort à une ‘’transhumance’’ tactique ; la fondamentale étant le changement de camp à l’intérieur même de l’Assemblée nationale trahissant l’électeur qui  y a envoyé son représentant ; Toutes les deux sont politiquement incorrectes ; c’est notre opinion même si l’on à tendance à légitimer la chose en considérant ce qui se trame ces jours-ci. Nous avions déjà suggéré dans une réflexion antérieure de légiférer pour interdire le phénomène.

En ce qui concerne, Maître  Agbo, ancien Conseiller du Chef de l’Etat la situation nous parait à différents égards simple et complexe à la fois. Simple, lorsque l’on se pose les questions suivantes : Maître Agbo a t-il  troublé l’ordre public ? La réponse est simplement  non. A-t-il enfreint  une loi lui interdisant de faire des déclarations publiques relatives à ce  dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions de Conseiller du Chef de l’Etat ? La réponse est tout aussi simplement, non. Alors que lui reproche t-on objectivement ? A  t-il diffamé ; a-t-il calomnié avec l’intention de diffamer ou l’intention de  calomnier ? Nous ne savons répondre à la question ; il appartiendra à la justice d’en connaître et de déterminer s’il y a délit. Mais, juridiquement parlant, est-ce diffamation ou calomnie de dire que quelqu’un est au courant de malversations qui se font autour de lui ? Il est vrai que politiquement parlant l’assertion a une autre connotation.  Mais l’on devrait se féliciter de la réaction de ceux qui, s’estimant diffamés ou calomniés, ont saisi la justice pour faire les choses dans le bon droit. Il valait mieux encore cela  qu’autre chose; nous sommes en régime démocratique dans un pays de droit. Complexe, le cas l’est aussi lorsque l’on se pose honnêtement la question de savoir de qui ou de quoi sied t-il de faire le procès si tant est que quelqu’un devra être poursuivi dans cette affaire. D’un côté, ferons-nous le  procès de Maître  Agbo pour s’être prévalu de la liberté d’expression alors qu’il n’aurait pas dû ; quand bien même en l’absence de tout texte lui intimant spécifiquement  le devoir de réserve après avoir occupé de hautes fonctions politiques à la présidence de la république ?  Ou alors ferons-nous le procès de l’organe privé qui a diffusé ses déclarations pour l’avoir fait  intégralement sans l’écrémer d’autant que la diffusion était en différé ? Pour poser le problème autrement, ferons-nous un procès à Maître  Agbo parce qu’il a fauté notamment en prenant inopinément, il faut bien le reconnaître,  le Chef de l’Etat à témoin  des malversations qui se trameraient autour de sa personne ou parce que  ses propos ont été largement diffusés ? En bref s’agira t-il d’une affaire de liberté d’expression ou de délit de presse ?

La liberté de presse et ses contours

La liberté de presse est la matérialisation de la liberté d’expression avec laquelle elle va de pair. La liberté de presse est  la liberté pour un propriétaire de journal ou de chaîne de télévision de dire ou de taire ce que bon lui semble dans son organe. Elle repose sur la liberté d’opinion et d’expression qui est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques. La Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; la  loi française sur la liberté de presse  du 29 Juillet 1881 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, l’UNESCO  et notre Constitution défendent cumulativement les principes suivants : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf   abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » L’UNESCO défend particulièrement la liberté de la presse et encourage l’indépendance et le pluralisme des médias notamment en faisant prendre conscience aux gouvernements, aux parlementaires et autres décideurs de la nécessité de garantir la liberté de la presse.

La restriction essentielle à cette liberté de presse a trait aux cas de diffamation et de calomnie pour lesquels les organes de diffusion sont susceptibles de  répondre devant les tribunaux. La liberté de presse subit également une limitation lorsque les bonnes mœurs ou la vie privée des gens sont  en jeu ; lorsqu’elle présente un danger en raison de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciale.

Liberté de presse et incompréhensions entre l’Etat  et la chaîne Canal 3

Les manifestations de cette incompréhension sont patentes. Le Chef de l’Etat s’est fâché contre cette chaîne privée. Il a estimé qu’elle profanait des insultes à son endroit et qu’elle le malmenait ; il a dit, on ne peut plus clairement que cette chaîne était sous influence et sous contrôle. Son Conseiller aux affaires politiques a également fustigé Canal 3 sur son plateau  en lui reprochant de  donner des informations qui ne sont pas toujours exactes et qui entachent l’image de l’Exécutif et du Chef de l’Etat en particulier ; de se livrer à des commentaires désobligeants envers l’Exécutif et des propos  démobilisateurs en direction du  citoyen. Il lui a reproché de ne pas toujours œuvrer en faveur de la nécessaire unité nationale ; de ne pas accompagner ni d’encourager les efforts du gouvernement. La chaîne aurait reçu par ailleurs des avertissements de la part de la HAAC et aurait écopé d’une suspension de ses émissions. Sur ces entrefaites  des frictions à caractère technique apparemment ont fait jour entre elle et l’ORTB, l’organe de service public, avec dénonciations et accusations  publiques qui ne fait honneur à aucun d’entre nous. Un conflit politique et un conflit technique alors. Et c’est encore à cette occasion qu’il   nous a été révélé   tout bonnement  qu’il y a des milliards en souffrance quelque part qu’une structure aurait dû payer à l’Etat et  qu’elle n’a  jamais payés ; nous dirions plutôt qu’elle n’a pas jamais  été sommé de payer ; le résultat étant le même, du reste. L’essentiel est que la bonne gouvernance économique et financière ait raison de cette situation et qu’elle prévale finalement.

Le point de vue du citoyen ordinaire

De prime abord il convient de relativiser le conflit à caractère politique entre Canal 3 et l’Etat; ce n’est vraiment pas la fin du monde. Même les vieilles démocraties en connaissent ;  la presse française, pour prendre à témoin le pays qui nous sert habituellement de référence,  a eu maille à partir avec le Président Sarkozy. En maintes occasions il n’a pas hésité à prendre à partie des journalistes  même en  direct sur les chaînes de télévision. L’on se souvient qu’en  2009 la télévision suisse romande avait diffusé  un documentaire traitant du pouvoir de Nicolas Sarkozy sur les médias français, usant de la peur et de sanctions pour les contrôler. Il y a été dit que la France était devenue le premier pays européen en termes de perquisitions dans les rédactions et de journalistes mis en examen ou placés en garde-à-vue. C’est dire que le ciel ne va pas nous tomber sur la tête parce que nous connaissons, à notre tour, ce genre de conflit qui paradoxalement est signe de vitalité d’une démocratie. La question c’est pourquoi ce conflit est survenu et les enseignements qu’en tirer.

Est-ce parce que l’Exécutif n’est pas prêt à accepter les critiques ou les trouve t-il injustifiées ? Nous disions plus haut que  les autorités actuelles devraient comprendre que la liberté de presse ne vaut pas seulement pour les  informations qui leur conviennent, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Notre exécutif est-il dans cet état d’esprit ? Nous ne saurions le dire avec assurance. Toujours est-il qu’au cours de l’entretien avec le Conseiller du Chef de l’Etat aux affaires politiques, plusieurs fois ancien ministre de la République, ce dernier a sportivement reconnu le bien-fondé de certains critiques de Canal 3 et lui en a su gré ; n’est-ce  tout de même pas bonne preuve d’ouverture d’esprit ? Est-ce parce que les journalistes de Canal 3 en font un peu trop ou que la manière leur fait défaut ?

Je ne sais ce que ressent le Conseiller devant Canal 3 les matins mais en ce qui nous concerne nous dirons que lorsque le journaliste s’invite,  pénètre et s’installe ne serait-ce que  pour un temps dans nos ménages par le petit écran, il devrait prendre toute la mesure de son influence sur nous mais aussi celle de la responsabilité qu’il porte ce faisant. D’abord il s’impose à nous par la force des choses; nous le voulons alors le plus accommodant possible. Puis le téléspectateur ne fait pas qu’écouter ce qu’il dit comme à la radio ; il a le regard fixé sur le sien en permanence notant et interprétant ses attitudes qu’il intègre dans le message qu’il reçoit. Le journaliste parle autant par sa voix que par le ton qu’il donne à sa voix et ton de Canal 3 est  annoncé par celui que lui confère l’éditorial qui peut être mesuré ou rageur contre l’Exécutif ; nous le préférons mesuré, détendu et critique des actions de l’Exécutif ; c’est lui qui donne le tempo. Mais il faut reconnaître que les journalistes de  Canal 3 ont fait du chemin ces derniers mois pour garder le juste milieu. La table ronde des matins qui est une merveilleuse idée vise certainement à refléter le pluralisme d’idées ; il convient de veiller à ce que cet objectif soit au rendez-vous à chaque émission et en toutes circonstances d’autant qu’il parait être la force dominante de la chaîne. Il arrive par ailleurs que Canal 3 fasse appel à des confrères extérieurs pour co-animer certaines émissions ; cela  nous parait également une excellente  initiative. Mais un invité ne peut pas se laisser  paraître inaperçu ; autrement pourquoi l’aurait-on invité ?  mais cela entraîne quelques fois,  la surenchère et  Canal 3 elle-même se retrouve débordée sur sa  gauche pour ce qui est de la critique des actions gouvernementales. C’est parce que nous nous comptons au rang de ceux qui tiennent le plus à cette chaîne qu’à la suite d’une émission qui nous a paru de très bonne facture sur les logements sociaux construits à grands frais sur dons étrangers et en panne d’occupant, nous nous sommes permis d’adresser à son Directeur général un message dont il nous plait de partager la substance avec le lecteur. Nous écrivions alors en conclusion : «… Car c’est vraiment ce que nous attendons de  votre chaîne: l’esprit critique, des critiques et encore des critiques mais dans le calme avec hauteur et dignité comme j’ai vu ce matin. Je souhaite beaucoup de courage à vos journalistes pour qu’ils continuent ainsi de préserver et de conforter les talents qui ne leur font aucunement défaut et, ce faisant, d’établir définitivement la bonne renommée de votre chaîne. Je vous prie de bien vouloir leur communiquer la teneur de mon message.» Pour la petite histoire nous  confessons qu’au moment où nous rédigions le message en question nous nous figurions  bien qu’il se pourrait  que la poubelle du Directeur à portée de main ne soit pas  encore pleine  mais nous le lui avons envoyé quand même. Pouvait-on jamais savoir ? Canal 3 jouit  d’une grande popularité, non pas au détriment des autres chaînes qui, chacune avec son cachet, donne le meilleur d’elle-même, mais parce qu’elle s’est faite la réputation d’être un organe critique et que  la critique a toujours été populaire sous tous les cieux.

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