Quand la grande Amérique nous donne des leçons d’humanisme

Voilà une semaine que j’ai foulé le sol de ce grand pays. Grand sur tous les plans ; géant je dirais, à côté de mon Bénin natal, petit pays de 8millions d’habitants.

Publicité

«Le Benin entier, c’est la population de l’Etat du Massachuset dans lequel se trouve la ville de Boston», m’a-t-on appris. «Quoi ! Mon pays tout entier se retrouve dans un seul de vos 52 Etats?», ai-je répondu à ce jeune prof qui essayait de m’informer des Etats Unis sur le plan administratif. Joyce HOPE, mon amie éclairait chaque jour ma lanterne sur le fonctionnement de ce vaste pays dont les fuseaux horaires varient d’une région à une autre.

Quand tu partiras la semaine prochaine au Texas, tu découvriras des populations différentes, des mœurs et pratiques aussi différentes de celles que tu as trouvées ici, à Boston. Ma ville est la première dans toute l’Amérique, sur le plan éducatif. Nous avons près de vingt universités privées et une seule publique…

Ah bon ! Ca veut dire que les pauvres qui n’ont pas de place au public ne peuvent guère effectuer des études supérieures par ici? (toujours ce penchant pour la défense du lumpenprolétariat).

Pas du tout ; non seulement l’université publique offre un enseignement de qualité, mais l’Etat et des particuliers donnent des bourses aux enfants de parents démunis, pour qu’ils aient des chances de réussite scolaire et universitaire. La plupart sont d’anciens étudiants de nos universités qui ont réussi dans les affaires, ou occupent des postes internationaux. Ils apportent leur contribution à la formation de la relève. C’est comme des placements qu’ils font en quelque sorte. Et puis, les étudiants travaillent aussi pour payer leurs études, ou font des prêts bancaires qu’ils payent sur de longues années.

Publicité

My god ! Où suis-je là? On m’avait parlé d’une société très individualiste où le chacun pour soi dominait tout. Mais depuis mon arrivée ici, je tombe des nues. Si tu savais combien j’avais des appréhensions avant d’arriver : coût de la vie, haute sécurité, racisme…

Et qu’as-tu vu, chère Ad.?

Qui n’a pas fait l’enquête n’a pas droit à la parole, a déclaré l’autre. Comme beaucoup d’autres étrangers, j’étais arrivée dans ce pays munie des idées toutes faites, apprises lors de ma formation scolaire et universitaire, sur le Ku Klux Klan, le racisme à l’égard des Noirs, la misère atroce dans laquelle ils vivaient. C’est vrai que je ne suis pas allée à New York dans les quartiers qui leur sont réservés. C’est vrai que Boston est une ville universitaire multiculturelle qui a une population sélecte. Des maires noirs et des quartiers chics où vit une bourgeoisie noire qui a réussi à conquérir une place enviable dans le pays.

On a lutté pendant 400 ans, avant d’en arriver à ce point, m’apprend Joyce. Le mal chez vous, c’est que vous attendez l’Etat pour tout. Ce n’est pas possible! L’Etat ne peut pas tout faire. Nous, nous avons créé 100 universités, mille fois plus de lycées, collèges et écoles primaires ; des orphelinats et des maisons de retraite. On a tout fait avant que l’Etat ne nous vienne en aide. Si on avait attendu l’Etat, on serait encore là à mendier dans la rue.

«Comme les Noirs d’Afrique du Sud», ai-je pensé. J’ai visité ce pays à deux reprises et j’ai été envahie par un malaise. Les longues files de Noirs que je voyais à Durban, chaque soir, attendant les bus qui les ramènent dans leurs towships, m’a-t-on appris, me faisait douter du rêve de Mandela, à savoir, une société égalitaire. Toujours en quête d’information, je m’étais étonnée du salaire d’une femme de chambre qui avait passé toute la journée à travailler et était en train de finir sa corvée, lorsque j’étais rentrée de conférence. Elle m’informa que par jour, l’hôtel cinq étoiles lui payait l’équivalent de 5000 CFA. La révolte des miniers quelques semaines plus tard dans ce pays ne m’a guère étonnée.

Totale désillusion

La vision du monde américain diffère que l’on soit immigré ou national. Ceux qui y vivent depuis des années ont une opinion différente de celle qu’on m’a présentée,  à savoir les demandes sont si fortes et les bourses en nombre insignifiant. Pourtant ai-je répondu à mes compatriotes rencontrés sur place : «Si nos jeunes avaient les solutions qu’on vous offre ici, à savoir : job sur le campus, dans les restaus, en usine, pompiste… etc ; sans oublier les prêts à rembourser sur dix ans pour financer leurs études, on ferait jaillir l’espérance dans leurs cœurs».

 Ce qui est sûr, l’expérience américaine ne s’est pas passée aisément pour tous les Béninois qui ont choisi la route de l’exil. J’ai retrouvé les traces d’un ancien élève, brillant jeune homme que j’avais gardé jusqu’en classe de Terminale tout au début de ma carrière. «J’ai dormi sous les ponts, Madame, dites-le à nos compatriotes, vous qui écrivez et parlez aux jeunes. Dites leur de ne se faire aucune illusion sur l’étranger». Aujourd’hui, après une longue traversée du désert qui a duré près de dix ans, il a trouvé du travail dans une structure étatique.

A quel prix, Madame, à quel prix? Si vous voyez combien j’ai vieilli… Je suis sûre d’avoir plus de cheveux blancs que vous! Si c’était à refaire, je ne le ferais pas. Dites à notre jeunesse de se battre pour créer son bonheur là où il vit, au pays. Le Bénin est une terre vierge; il y a tellement de potentialités. Avec une meilleure organisation, on s’en sortira!

Je n’en revenais pas. Ainsi, certains se sont cassé véritablement la gueule contre le rêve américain. Et pourtant, la plupart des jeunes ne veulent pas démordre; ils espèrent toujours tenter leur chance au pays de l’eldorado. Rien ne peut les en détourner.

Je les en ai dissuadés quand j’ai fait un tour au pays, en mars dernier, renchérit R. A. mon ancien élève, un garçon intelligent, brillant et qui a perdu le goût de vivre dans ce pays. Ils m’ont rétorqué que si tout était si mauvais, moi, je ne serais pas resté. Chacun fera son expérience à coup sûr… Mais ce qu’on gagne vaut-il ce qu’on perd? comme disait la Grande royale.

Mes nuits servent en partie à réfléchir à tout ce que je vois et j’entends ici depuis une semaine que je suis là. Pourquoi nos gouvernants ne peuvent-ils pas insuffler le mouvement pour créer la richesse, et permettre à nos jeunes de travailler pour le développement du pays, les empêchant ainsi de courir après des chimères? Certains l’ont compris et ont décidé de plier bagage après un séjour plus ou moins long à l’étranger. «A l’étranger vous n’avez aucun parcours professionnel ; vous ne pouvez faire carrière», me dit l’un d’eux. Il enfonça le clou en ces termes. «Tous mes camarades de l’Enam ont déjà un bon poste et organisent leur vie. Ici, on peut à tout moment perdre son travail et se retrouver dans un Macdo après avoir porté la cravate derrière un ordinateur pendant des années. Etant dans une situation d’instabilité permanente, aucune raison ne peut nous motiver de rester à l’étranger, alors que tout reste à construire chez nous».

Ils n’ont plus besoin de nous ici, Madame. Ils ont déjà construit leur pays. C’est à nous de rentrer construire le nôtre, répétait à l’envi R.A. lorsque nous passions des heures au téléphone.

Il était tellement heureux de parler le fon ; tellement heureux d’ouvrir son cœur blessé à sa «maman». Il ne disait rien de son rêve brisé aux siens, de peur que sa pauvre mère ne meure de soucis. What a pity! Pas un ami en 12 ans, m’a-t-il confié. Le boulot, la maison, et encore le boulot. «Plus on achète, plus on en veut. Et plus on accumule le matériel, plus on est malheureux», m’a raconté cet homme de 45 ans ; dans ma tête, je voyais  toujours le jeune homme que j’avais gardé au collège. Et il se dit vieux. Quel gâchis! Qu’avons- nous fait de notre jeunesse?

L’amour comme solution à nos maux

Il m’a fallu convaincre l’épouse que son mari avait pris la meilleure des décisions. Il avait un atout de taille, sa jeunesse ; en outre, il pourra s’appuyer sur ses camarades de promotion avec qui il est demeuré en contact au quotidien. Chez lui, l’appel du pays a toujours été permanent. Pourvu qu’il ne reprenne pas encore le chemin de l’exil quelques mois plus tard, dégoûté par le climat délétère qui prévaut dans le pays et nos «béninoiseries». Tout le monde répète à l’envi : «Les Béninois ne s’aiment pas». Et personne ne fait rien pour changer les choses. Une dame que j’ai rencontrée sur le campus, qui a vécu longtemps dans la sous-région, m’a dit très sérieusement qu’au Bénin, les gens ne s’aiment pas. «Quand on marche dans la rue, on ne voit aucune différence entre vous. On ne sait qui est du nord, du sud, de l’est ou de l’ouest. Par contre ici, comme tu le vois, il existe une multi culturalité liée à la diversité de populations qui constituent les Usa. Chez vous, en Afrique de l’Ouest, tout le monde se ressemble et pourtant, vous ne vous aimez pas. Toujours en train de vous faire du mal l’un l’autre…Dans le quartier, on ne se parle pas. Même des frères et sœurs se détestent, s’envient et cherchent à se nuire». Elle me rappela la guerre civile en Côte d’Ivoire ; une guerre basée sur la haine de l’autre, faisant oublier à tous l’amour pour la patrie et ses intérêts à défendre.

Que pouvais-je répondre face à de telles accusations? Celle qui parlait apparemment connaissait toute la sous-région, parlait encore un français approximatif et voulait échanger avec moi sur ce continent qu’elle a beaucoup aimé, qu’elle aime toujours, vu l’histoire qui nous unit.

C’est le manque d’amour qui a entraîné l’esclavage ! Nous, on vous  a pardonné ; mais on ne vous pardonne pas de mal gérer l’Afrique et de pousser nos frères, vos enfants à l’exil. Ca nous fait très mal de les voir souffrir en Occident, quand ils ne meurent pas dans la mer. Vous n’avez pas d’excuses ; nous on a travaillé dur, à l’aveuglette pour arriver aux résultats où nous sommes. Mais vous, vous avez la chance d’avoir des modèles de pays qui ont réussi autour de vous… Ghana, Cap Vert, Guinée Equatoriale… and so one. Pourquoi vous ne faites pas comme eux? Une meilleure gestion de vos ressources serait la solution. Surtout que l’amour guide tous vos actes, au risque de disparaître tous ensemble.

Je ne pipai mot ; je ne pouvais la démentir, au risque de me voiler la face. Etant moi-même un condensé de l’injustice et de la haine injustifiées de certaines personnes qui, fortes de leur pouvoir d’un moment, m’ont créé tellement de problèmes sur mon parcours universitaire et professionnel. Mais l’eternel est mon berger ; je ne manquerai de rien. A cet instant même, je mesurai l’image négative que notre société envoie aux autres et j’eus très mal.

Tout n’est pas rose chez nous non plus, renchérit AL, le frère de mon amie quand je lui demandai le lendemain comment leur société perçoit ces femmes voilées (certaines ont un tchador j’en reviens pas), que nous venions de dépasser.

Selon lui, aucun problème ne se posait car, elles viennent même sur le campus avec leur foulard. «Après tout, c’est leur culture et il faut accepter les autres avec leurs différences. Et chacun vit en paix.  Nous autres minorités, nous avons un repli identitaire. On aime bien rester entre nous et nous entraider. Parfois, lorsque l’un des nôtres subit une injustice de la part de quelqu’un qui est plus puissant, c’est à ce moment qu’il y a des clash. Tout n’est pas rose ; mais on se serre les coudes pour s’en sortir».

Une grande leçon d’amour

J’avais noté une grande complicité entre le frère et la sœur ; à l’image de Michelle OBAMA et son frère. Celui – ci n’était jamais loin, lorsqu’on présentait sa sœur lors d’un meeting, d’une interview… Le soir du débat du 16 octobre, il était là ; comme si sa présence  rassurait Michelle et son mari président. AL et Joyce étaient si «tie up», accrochés qu’ils avaient un dialecte (genre créole qui provient de leur région d’origine), qu’elle me dit de ne pas essayer de comprendre.

Des Noirs américains qui ont un dialecte comme en Afrique ! me suis-je dit. Mais ces gens-là n’ont jamais rompu avec leurs racines alors!

Quand je pense qu’au Bénin, des frères et sœurs «même père, même mère» se détestent cordialement, s’en veulent au point que l’un souhaite la mort de l’autre. Parce que celui-ci a percé et l’autre survit difficilement avec sa famille. Quand je pense que des familles entières se sont désintégrées parce que l’un d’eux, en évoluant, a tourné le dos à tous ses parents qui sont devenus soudain infréquentables, puisque now, lui, il tutoie les grands de ce pays ! Un pays qui ne diffuse pas l’amour entre ses enfants est condamné à vivre dans la misère. Rien ne marchera si un sursaut patriotique ne nous ramène sur le chemin de l’amour, l’amour qui dirigeait toutes les actions de nos ancêtres. Qu’avons-nous fait de tous ces enseignements laissés par nos parents, ces valeurs qu’ils nous ont léguées? Aujourd’hui, c’est la course à l’argent, au bien-être individuel, au détriment du plus grand nombre? A réfléchir à tout ceci, je sens ma tête éclater. Comment remettre l’amour au cœur de notre peuple, afin que l’homme ne soit plus un loup pour l’homme? Partager, partager, n’a cessé de clamer  Babatundé Olofindji dans son émission sur Golfe TV, en septembre dernier.

« Avec mon frère, on partage tout. Il voyage beaucoup ; et quand il n’est pas là, il sait que sa famille peut compter sur moi à tout instant», m’a confié mon amie.

Tout ce préambule pour raconter cette histoire qui s’est passée sous mes yeux et qui me remue encore les entrailles. Après avoir acheté ce jour-là mes produits à la pharmacie, AL sortit ouvrir le capot pour chercher la panne qui l’empêchait soudain de démarrer sa voiture. De guerre lasse, il revint me rejoindre à l’intérieur du véhicule, une fine pluie ayant décidé de nous compliquer les choses. Quelques minutes plus tard, il ressortit encore et, muni d’un kleenex, entreprit de nettoyer je ne sais quel endroit du moteur. Un homme d’un certain âge le rejoignit ; il revint armé d’un long tuyau avec un étrange appareil au bout et réussit à faire démarrer la voiture. J’observais la scène bouche bée lorsqu’un couple vint se poster à côté d’eux ; l’homme leur parla quelques minutes et s’en alla. Je voulus savoir de quoi il retournait ; AL me répondit que le monsieur était revenu s’excuser du fait qu’il ne l’avait pas aidé, alors qu’il était en panne. Certes, il l’avait vu penché sur son moteur, mais pensait qu’il voulait y retirer quelque chose…

My brothers! They can’t leave me alone ! dit-il en démarrant la voiture.

C’étaient effectivement des Noirs qui sont venus porter secours à un des leurs. Quand je pense que même les petits enfants dans les rues de Cotonou te réclament des sous, après avoir dégagé ton véhicule de l’eau boueuse, durant la saison des pluies! Qu’avons-nous fait de nos valeurs? Comment les retrouver, mes chers compatriotes? L’Amérique capitaliste m’a donné des leçons d’humanisme et d’amour que je ne suis pas prête d’oublier. Vous non plus, j’en suis sûre, mes chers compatriotes!q

Par Adélaïde Fassinou Allagbada
(Depuis Boston,  Usa)
Professeur de Lettres- Ecrivain

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité