Ramadan, Pain au chocolat, Viande Hallal ou Kacher

Aussi loin que remontent mes souvenirs de jeunesse, l’école est la meilleure des choses qui me soit arrivée dans ma vie de femme.

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Je me souviens de ce jour où mon père m’a déposée dans cette hutte qui prolonge la maison des Adjagba située en face des Habitations économiques où nous demeurions à Porto-Novo, un «Tron wégbé magbojè» du quartier, afin que je colle la paix à ma mère, moi, la plus turbulente et bavarde des enfants qu’elle a eus. Cette école depuis lors a fait du chemin ; et moi aussi.

S’il y a quelque chose de positif à mettre à l’actif du gouvernement du Président Yayi Boni, c’est bien sûr l’instruction gratuite des filles. A l’école, j’ai appris à lire et à compter, mais surtout à raisonner. Comprendre le pourquoi et le comment des choses, et décider de mes choix, en toute liberté. C’est fondamental dans la vie de tout être. C’est une question de dignité et c’est non négociable. Heureusement que Monsieur Yéyé est revenu sur sa théorie du mot dignité. On reste digne en tout temps, et en tous lieux, quel que soit l’enjeu, sinon on perd sa valeur d’homme.

Aux racines du djihadisme

Si j’ai fait ce petit détour, c’est pour en arriver à mon sujet du jour, qui nous mène directement dans les banlieues françaises. Ce qui se passe là-bas devrait nous faire réfléchir tous, car aujourd’hui, s’il y a une réalité tangible, la planète terre est devenue un petit village. Où tout se transporte, et se démultiplie lorsque les mêmes causes produisent les mêmes effets. Invitée par une université privée américaine dans le cadre d’échanges interculturels, je devrai présenter des communications sur les femmes africaines, la femme béninoise entre rêves et réalités, mon combat pour ses droits et les Droits de l’homme dans mon pays. Et bien sûr l’impact de mes livres sur notre société. Ayant déjà voyagé sur le Québec en 2008, je sais que le voyage est long, très long, une véritable odyssée, qui part de Cotonou, Paris, New York avant de me déposer à Boston, mon terminus. Je m’étais pourvue en lecture, mon occupation favorite. Je me suis toujours demandé ce que font les gens qui n’aiment pas lire, en dehors de passer des heures devant leur poste téléviseur. Des quotidiens raflés sur les présentoirs de l’aéroport de Roissy et à l’intérieur du vol qu’il a fallu attendre quatre heures trente pour défaut technique de la machine volante, (l’heure de Dieu est la meilleure), aux revues payées de ma poche, tout y est passé. Et j’ai beaucoup appris. J’ai mieux appréhendé le sens de la mission que j’effectuais aux States, le pays d’Obama, en pleine campagne électorale.

Deux articles ont surtout retenu mon attention. A savoir : « Ramadan, pain au chocolat et sucreries », tiré de Libération, du lundi 15 octobre, écrit par Philippe DELACOTE, chargé de recherche à l’Inra ( un institut agronomique) et Moi Samir, Islamiste repenti, témoignage présenté dans VSD, magazine français N° 1833 du 11 au 17 octobre. Cela m’a fait comprendre une fois encore comment l’exacerbation des frustrations, des stigmatisations, de la haine de l’autre, peuvent conduire toute une race, un peuple, une communauté à la révolte. Et cette révolte se traduit de plusieurs manières : Guerre civile, guérilla, djihadisme et tous ses corollaires. Samir, comme la plupart de ses camarades qui ont été récupérés par les extrémistes est un jeune homme de vingt ans qui n’a pu faire des études normales dans sa banlieue française. Petit délinquant à la semaine, il a plongé dans la drogue, comme tous ses camarades, l’alcool et bien sûr, le désœuvrement. « Un jour, sur l’ordi, je suis tombé sur Le Silence des mosquées, des chants en français qui incitent les jeunes à entrer dans l’islam »… « J’ai lu le coran et puis j’ai commencé à fréquenter des salles de prière dans les caves ». Et les Ayatollahs se sont chargés de lui farcir le crâne de théories fumeuses sur l’islamisme et le djihad. Lui et tous les jeunes qui viennent vers eux, des jeunes sans repères, embastillés à qui on instille la haine du Blanc, des mécréants. Parlant de leurs maîtres à penser, une élue à Sévran dit : « Ils essayent de capter les lycéens décrocheurs, fragilisés dans leur parcours scolaire, et qui cherchent un soutien qu’ils ne trouvent ni dans leur famille, ni à l’école… dans les quartiers, majoritairement musulmans, le voile ou la barbe sont devenus un signe de conformisme social ».

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Samir confirme ces propos : « J’ai commencé à déconner au lycée. Mais moi, mon truc, c’était les émeutes. J’avais beaucoup de haine à évacuer». De la haine contre la société dans laquelle il vit, Samir et sa bande en avaient beaucoup à évacuer. A dix huit ans, il écope de cinq ans avec sursis pour avoir incendié un super-marché. L’Islamisme serait-il une planche de salut pour les exclus de la société française ? Comment en est-on arrivé là ?

La dernière campagne électorale a été une foire d’empoigne entre les deux candidats en France. Ici aux Etats Unis, cela se passe avec toute l’élégance anglo-saxonne qu’on connaît. Hier, Obama et Romney étaient invités à un dîner de charité où ils se sont envoyé des blagues lors des allocutions, ce qui a fait mourir de rire toute l’assistance. Ici, il n’y a pas de viande Hallal, ou Kacher.  Aucune communauté n’est stigmatisée, rendue responsable des maux dont souffre la société américaine. C’est ensemble, comme un seul homme que le peuple américain combat l’ennemi commun, Al qaïda. C’est ensemble qu’ils luttent contre la crise, le chômage, l’intégrisme, le racisme, les inégalités sociales. Tout le monde est concerné. Parce que l’histoire a uni dans ce pays des peuples de divers horizons, et ils constituent aujourd’hui une mosaïque, les Etats Unis d’Amérique.

« Quand tu vas dans chaque région des USA, tu rencontres différentes populations, avec leurs cultures, leurs mœurs, leurs particularités. C’est ça la diversité de notre pays ; et c’est une richesse », renchérit Joyce Hope, mon amie américaine à qui je dois mon séjour  à Boston, pour apporter aux étudiants américains une ouverture sur l’Afrique. Mais alors, pourquoi ces enfants musulmans qui à l’origine n’étaient pas pratiquants, nés en France, et qui, pour la plupart vivaient comme de véritables petits Français ont viré dans l’islamisme radical ? Le ver est dans le fruit. Et les pouvoirs publics français doivent faire leur propre autocritique.

Philippe Delacotte, chargé de recherche à l’Institut national de recherche agronomique, nous apprend que : «Moi, petit blanc catholique et bon élève en classe, mes souvenirs ne se résument pas à une bande de voyous me privant de goûter. (Allusion aux propos de J.F. Copé, candidat à la présidence de l’UMP qui déclarait que dans certains quartiers, les petits Français se voyaient arracher leur pain au chocolat pendant le Ramadan). Delacote continue son témoignage : « Moi, petit blanc catholique et bon élève en classe, je me rappelle plutôt de Sami qui apportait à ma famille le couscous sans prévenir, certains dimanches. Je me rappelle Mohamed, qui prenait de l’eau dans sa bouche et la crachait dehors les jours de match de basket. Plus tard, en fac, je me rappelle de Karim, de retour de weekend, distribuant les excellentes pâtisseries de sa mère. Je me souviens des grappes de dattes… Oui, je multipliais les repas pendant les ramadans hivernaux).

Où est donc passé cette fraternité entre petits Blancs français et arabes. Quand le cordon a-t-il été coupé ? Comment et par qui ? Delacote présente sa vie de petit Français à la peau claire au collège, en fac où les populations de milieux divers étaient mélangées. Aujourd’hui les temps ont changé. « Ce qui n’est plus pareil, c’est que ces jeunes ont eu, pour la plupart des parents qui avaient un travail et une famille stables. Ce qui n’est pas pareil, c’est qu’ils ont pu réussir à l’école et dans leur vie professionnelle… Et aujourd’hui, ces jeunes sont devenus des hommes et des femmes éduqués, ouverts et tolérants, et musulmans. Leur religion ne les a nullement empêchés de devenir analystes financiers, comptables, informaticiens, éducateurs, chauffeurs de taxi, enseignants ou inspecteurs du travail. Elle n’a pas été un frein à nos amitiés, elle ne les a pas coupés de la société française. Ils forment la société française, autant que moi, et j’en suis très heureux », confie-t-il dans son article.

Cet intellectuel français a, à travers ces lignes diagnostiqué la source des maux dont souffre la société française contemporaine : le chômage des parents, le divorce, la cassure entre les divers groupes sociaux. Mais moi je complète la liste en y ajoutant la stigmatisation. En diabolisant ces jeunes musulmans, en les rendant responsables de tous les péchés d’Israël, les autorités françaises ne font que les radicaliser davantage. Ils se sentent atteints dans leur âme, leur dignité en prend un coup. Et puis, qu’est-ce qu’un homme politique du  rang de Copé a à s’occuper du goûter des petits Français ? Il n’a pas trouvé mieux pour intéresser l’électorat à son sort ? A diffuser ainsi de la haine à chaque saison, on ne peut que générer la haine en face.

La différence, sources de richesse

Or, il est important de pénétrer de l’intérieur ces populations que l’histoire a déposées en France, de mieux intégrer ces jeunes qui n’ont nulle part d’autre où aller, afin d’en faire des citoyens à part entière. Tous ces réseaux islamistes, ces drames familiaux tel celui d’Echirolles où deux jeunes innocents ont subi la vindicte d’un gang pourront être évités. Qu’on n’entende plus parler de viande Hallal, viande kacher et autres pains au chocolat jetés pendant le ramadan. L’islamisme disparaîtra comme par enchantement, n’ayant plus de terreau où germeront ses semences. Connaître les autres peuples de l’intérieur permettra à l’humanité de guérir de beaucoup de maux. Elle deviendra ainsi plus tolérante ; ma mission aux Etats-Unis prend tout son sens, face aux nombreuses questions que suscitent mes communications. Sans voyager vers l’Afrique, mes interlocuteurs en apprennent beaucoup, m’ont-ils dit sur notre continent. Ils ne connaissent du Bénin que son drapeau que j’ai vu aux côtés de beaucoup d’autres dans la salle où j’étais en conférence jeudi, tels ceux du Ghana et de l’Afrique du Sud ; des pays partenaires à leur université. Ici, face à ce public multiculturel composé de Blancs, Noirs, Asiatiques, Latino, Indiens … etc, je me sens valorisée à travers mon art. Quand je pense que le ministère de la Culture de mon pays n’organise même pas une fois par an, une tournée intérieure aux écrivains béninois pour aller à la rencontre des jeunes lecteurs de nos établissements scolaires et universitaires, je ravale mes frustrations et j’explique aux Américains pourquoi je dois continuer d’écrire, malgré le désintérêt total des pouvoirs publics de mon pays.

Je dois continuer d’écrire pour espérer diffuser la flamme de l’espérance dans les cœurs de tous ceux-là qui, à travers le monde entier sont méprisés, humiliés, marginalisés du fait de leur diversité. S’il y a une leçon à retenir de ce grand pays que je visite de l’intérieur, c’est que nous Béninois, Africains en général nous devons savoir que nos différences sont notre richesse et, au-delà de nos particularités, le Bénin qui nous rassemble doit être au centre de tout. Se battre non pas pour ma région seule, mais pour le développement du Bénin tout entier, telle doit être notre raison de vivre. Si une telle gageure a été remportée par ce grand pays à 300 millions d’habitants, qu’en est-il des huit millions que nous sommes ? Question de volonté politique et  de vision  nos dirigeants. L’Amérique me donne ici chaque jour des leçons d’humanisme que je tiens à partager avec vous mes frères et sœurs demeurés de l’autre côté de l’Atlantique.q

Detroit, le 19 octobre 2012
Par Adélaïde Fassinou Allagbada
(Depuis Boston,  Usa)
Professeur de Lettres- Ecrivain

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