À la tombée de la nuit, et le plus souvent jusqu’au petit matin, des jeunes mécaniciens s’installent sur les trottoirs de quelques principales artères de la ville de Cotonou pour réparer des motos en panne. Enquête dans un milieu où véritables mécaniciens, réparateurs occasionnels et voleurs se confondent parfois.
Vêtu d’un t-shirt Lacoste, un pantalon jean noir déchiré aux genoux, cure-dent à la bouche, Edmond, dit Caïman, la vingtaine révolue, est accroupi à côté d’une moto de marque Honda et de type Bajaj. Pinces en main, il s’affaire à redresser sa chaîne. Son matériel de travail, clé bougie, tournevis, clés à boulons de différentes catégories, est disposé sur un sac étalé à même le sol sur le pavé. Une dizaine de minutes plus tard, la panne est réparée. Brève discussion entre le propriétaire de la moto, un zémidjan (conducteur de taxi moto), et Caïman. Le coût de la prestation est estimé à 200 fcfa.
Stade de l’amitié de Kouhounou, à Cotonou. Il est un peu moins de minuit, ce mercredi 31 octobre. Comme Caïman, rencontré à cette heure tardive, ils sont de plus en plus nombreux ces mécaniciens qui s’installent sur les trottoirs des principales artères de la ville de Cotonou pour offrir des services de réparation légère aux motocyclistes. On les rencontre à Kouhounou (Stade de l’amitié), Vedoko, Étoile rouge. Redresser une chaîne, nettoyer ou changer une bougie, changer une ampoule, régler un carburateur, serrer un boulon dévissé … Voilà les réparations qu’ils effectuent. Peu instruits, ils sont, pour la plupart, issus de «familles pauvres» et se «débrouillent pour vivoter ou survivre».
Des sauveurs…
Ces mécaniciens de nuit sont soit des jeunes en apprentissage ou en fin d’apprentissage, soit des chefs d’ateliers. «J’ai appris la mécanique avec mon grand frère. Et j’ai mon diplôme. J’avais mon atelier le long de cette rue. Mais avec l’arrivée du Pape Benoît XVI en novembre 2011, la mairie a démoli les hangars construits au bord des voies. Mon atelier a été détruit», raconte Caïman en langue locale Fongbé. Il a à la bouche une cigarette. «Après qu’on ait été chassé, poursuit-il, je suis devenu zémidjan. Ça ne marchait pas comme je le voulais. Je suis donc revenu à la mécanique, mais cette fois je travaille la nuit. Je commence autour de 19 heures et je rentre à la maison vers minuit». Originaire de Sèhouè, dans le département du Mono (Sud-ouest du Bénin), Caïman vit à Abomey-Calavi avec son cousin, un Zémidjan.
Le cas de Benjamin, «18 ans, niveau CMI», rencontré à quelques mètres de caïman est quasiment semblable. À quelques différences près. Benjamin vit en famille, avec Papa et maman. Il a son atelier à Godomey gare pour la journée et s’adonne à cette pratique de mécanique nocturne «pour faire face à l’oisiveté». «Quand ça marche je reste souvent jusqu’à 2 heures, mais quand ça ne marche pas, c’est minuit», déclare-t-il, occupé à réparer le patin du frein arrière d’une moto.
Contrairement à Edmond et Benjamin, Angelo n’a pas encore eu son attestation de fin d’apprentissage. «Je suis venu d’Allada pour apprendre la mécanique. Mon patron sait que je viens ici les nuits.» Si la qualité du travail fait par ces mécaniciens de nuit est diversement appréciée par leurs clients, ils apparaissent quand même aux yeux de ces derniers comme des sauveurs.
…Parfois dangereux
Un avis que ne partage pas Apollinaire Amouzou, chef mécanicien dont l’atelier se trouve à Vêdoko. Il n’a pas du tout une bonne image de ces mécaniciens de nuit. Il reproche à la majorité d’entre eux de n’avoir pas encore achevé l’apprentissage. «Après avoir fait entre 6 mois et 2 ans, explique-t-il, ces jeunes pensent maîtriser le métier, deviennent indisciplinés, se rebellent contre leurs patrons et disparaissent.» Il révèle qu’une fois partis, certains se font passer pour des mécaniciens la nuit pour voler des motos. Il raconte: «Il y a quelques mois, un soir autour de 22 heures un monsieur âgé que je connais est venue ici les larmes aux yeux. Il a raconté comment un jeune, supposé mécanicien, a emporté sa nouvelle moto de marque Sanili. Selon son récit, la scène s’est produite au niveau du carrefour Agontinkon, à Vêdoko autour de 19 h. La bougie de sa moto a eu un problème. Après l’avoir nettoyée, le mécanicien lui a proposé de faire un essai. Et quand il est parti, il n’est plus revenu. Le vieux nous a dit qu’il a attendu jusqu’à 22 heures en vain. Ces jeunes ternissent l’image de notre profession».
«C’est vrai», reconnaît Angelo. «Cependant, clarifie-t-il, tous ces mécaniciens de nuit ne sont pas des voleurs de moto ou des apprentis indisciplinés ayant tourné dos à leur patron. Il y a dans le lot des gens sérieux qui font la mécanique de nuit pour se faire de l’argent.» Il ajoute que certains apprentis sont contraints de quitter leur patron parce qu’ils ne sont pas bien traités. Parfois, c’est le patron qui refuse de les laisser à la fin de la période d’apprentissage pour ne pas perdre un ouvrier gratuit.
Pour sa part, un officier de police judiciaire (Opj) du commissariat de Vodjè, dans le XIe arrondissement de Cotonou, reconnaît sous anonymat n’avoir reçu cette année que deux plaintes de vols de moto par des supposés mécaniciens. Il souligne qu’au niveau de leur commissariat, ils n’ont pas encore été face à un cas de flagrant délit en la matière.
Note
Cet article a été réalisé dans le cadre d’une formation organisée par l’ambassade de France à l’intention d’une quinzaine de journalistes de la presse écrite béninoise sur le « dossier et l’enquête ». C’était du 30 octobre au 03 novembre dernier à l’Institut Français du Bénin (IFB), ex-Ccf.
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