Chronique des temps qui tanguent : Jamais la Haac n’a été aussi proche du pouvoir !

Le couperet de la Haac est encore tombé  sur nos confrères de la chaîne privée Canal3, suite à une plainte du chef de l’Etat, soi-même ! Eh bien ! Vous avez bien lu et entendu :

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le chef de l’Etat, ministre de la Défense,  chef des armées  et toutes les forces de sécurité et des services de renseignements de tout le pays ,  Le tout-puissant Patron  du Dg de la chaîne de service public et contractuel exigeant  de toutes les télévisions privées du pays, s’est plaint à la Haac à propos de deux émissions de Canal3.Et la Haac a encore frappé! Lourdement ! Et dans l’indifférence quasi générale , comme si tout cela allait de soi dans ce pays où la liberté de pensée a été obtenue de haute lutte. Où une chaîne de radio bien connue pouvait diffuser sans crainte des messages sur« les vraies couleurs du caméléon »avec des commentaires peu amènes sur le régime de Kérékou alors au pouvoir.  Tout le weekend est passé sans qu’aucun parti politique , aucune organisation de la société civile n’ait élevé la moindre protestation. :L’opposition béninoise, ou ce qui en reste, est tout simplement aux abonnés absents, depuis un certain temps. A la différence de l’opposition togolaise qui appelle carrément au départ de Faure Gnansingbé ou de la nouvelle opposition sénégalaise qui manifeste pour soutenir le fils –Wade. Il est vrai aussi que les premiers concernés les journalistes et associations professionnelles n’ont pas réagi. Prises au piège de ce qu’elles appellent pompeusement «  la co-régulation,»  elles assistent,  malgré elles,  impuissantes, à l’utilisation abusive de leur propre code de déontologie contre eux-mêmes. Tout se passe comme si les Béninois accablés par les problèmes du  quotidien ou/et blasés par les méthodes expéditives  du pouvoir(le passage en force permanent) ont perdu toute capacité de  protester , de manifester ou tout simplement de s’indigner. Faut-il s’en étonner? Certainement ! Mais au regard du climat délétère qui règne dans le pays depuis une certaine « tentative présumée d’empoisonnement du chef de l’Etat », on en est venu  à se demander si tout le pays ne marche pas sur la tête,  avec ce concert  sans fin de marches de soutien où des couches  importantes  de la société viennent parader devant le chef de l’Etat hilare  et le ton  faussement magnanime, dansant et chantant à qui mieux -mieux , comme les Togolais d’une certaine époque. Il faut se déciller les yeux pour se rendre à l’évidence qu’on est bel et bien au Bénin du Renouveau démocratique, à l’ère dite du changement et de la Refondation              .   

Curieusement, cette sanction est intervenue à un moment où la chaîne  a  sensiblement infléchi le ton de ses critiques à l’encontre du pouvoir. Comme la chaîne de service public dont tous les programmes sont ostensiblement et délibérément orientés vers le pouvoir, ou choisis pour ne pas le gêner, Canal 3 est devenue, depuis l’affaire toujours non élucidée  de » branchement frauduleux » sur les installations de l’Ortb, une chaîne comme les autres,  diffusant à longueur de journaux télévisés les audiences présidentielles  et autres marches de soutien. Aucun  programme n’est consacré aux activités de l’opposition ou de ce qui en tient lieu. D‘ailleurs,  ces derniers leur facilitent étrangement la tâche par leur apathie . Il y a quelque chose de pathétique dans l’attitude de nos  jeunes confrères naguère si diserts et si volubiles sur les sujets à polémiques, quand ils animent des émissions de débats et autres. On les sent moins sûrs d’eux,  plus crispés et plus frileux. Il est à craindre que les dernières décisions de la Haac  ne viennent les  inhiber davantage au point de les réduire à l’inaction de l’auto- censure librement consentie. Et c’est l’objectif principal de la dernière décision de la Haac et de celui qui  semble l’avoir  fortement inspirée. Et c’est là toute la gravité du danger qui plane !

De quoi s’agit -il ? La Haac a pris la décision d’interdire respectivement pour deux semaines et trois mois le forum de discussion de l’émission Actu –Matin et toute l’émission à palabres , au motif qu’ils(le forum et l’émission) ont violé l’article 8 du code de déontologie. La Haac a fait précéder sa décision de quatre « considérants » qu’on peut résumer comme suit : Le premier considérant fait état de la plainte du chef de l’Etat qui insinue que l’émission   trouble  l’ordre public et porte une accusation gravissime en comparant l’émission à « la radio mille collines de triste mémoire(sic), » sans que la Haac y trouve à redire. Le deuxième fait état d‘une séance de travail tenue avec les responsables de la chaîne,  suite à la plainte. Dans le troisième considérant, la Haac prend à son compte l’argument présidentiel de trouble à l’ordre public sur un sujet qui fait l’objet d’un procès en diffamation. Le dernier considérant n’apporte rien de nouveau à la plainte si ce n’est l’acte de repentir des responsables de la chaîne. La décision d’interdiction des émissions est motivée par l’article 8 du code de déontologie de la presse. Cet article s’énonce comme suit : « Article 8 : LA SEPARATION DES COMMENTAIRES DES FAITS : Le journaliste est libre de prendre position sur n'importe quelle question. Il a l'obligation de séparer le commentaire des faits. Dans le commentaire, il doit tenir le scrupule et le souci de l'équilibre pour règles premières dans la publication de ses informations ».Les émissions querellées  ne sont pas des émissions d’information ou de relation des faits. C e sont des émissions de discussion où la force des arguments est la règle .Et les auditeurs ou lecteurs ne sont jamais dupes.Il savent toujours où se touvent les arguments qui entraînent l’adhésion. Sur le forum de actu Matin,  ses journalistes font des commentaires sur le texte de leur chroniqueur, un texte qui est censé  avoir été discuté au sein de la rédaction. Dans une discussion, chaque journaliste a sa position. Qu’a-t-on à équilibrer , sinon d’avancer des arguments qui convainquent l’uaditoire. Un chaîne de télévision  est faite pour organiser des débats et non pour pérorer sur les réalisations du pouvoir.Si le président se sent blessé ou diffamé, il demande à exercer un droit de réponse qui devrait lui être accordé. Tout le monde connaît l’émission à palabres où les journalistes critiquent librement, ou à la commande,(peu importe !) dans un style un peu brouillon à la manière d’une célèbre émission de France2 de Yves Calvi  telle ou telle décision prise. Même dans ce cas , l’interdiction n’arrange rien, sauf à inhiber les acteurs des médias. La Haac gagnerait plus à en appeler simplement à une meilleure organisation du plateau de manière à  équilibrer l’information .Encore que ceux qui s’estiment diffamés peuvent porter plainte devant les tribunaux qui eux ont les moyens de tirer la vérité des mensonges. La Haac semble de ce fait endosser l’argument présidentiel de trouble à l’ordre public et d’atteinte à la cohésion nationale. Mais alors,  qu’a fait la Haac , lorsque tous les acteurs du monde politique et de la société civile ont dénoncé les propos prononcés par le chef de l’Etat un certain 1er Août2012,  propos de nature à fragiliser la cohésion nationale et l’harmonie entre les différentes régions du pays ?Qu’a fait la Haac , lorsque la chaîne de télévision nationale de service public a diffusé les propos haineux d’un proche de la mouvance présidentielle à l’égard de l’opposition, à une heure de grande écoute, dans la même période ?Que fait la Haac de manière générale depuis son avènement pour l’accès équitable de toutes les forces politiques aux médias de service public ? L a Haac est –elle sans savoir que les contrats occultes que le gouvernement Yayi a signés avec toutes les chaînes privées peuvent nuire à l’équilibre de l’information sur ces chaînes ?Pourquoi cette Haac est la seule depuis le Renouveau démocratique à n’avoir jamais rendu public dans le quotidien La Nation ,le tableau récapitulatif  mensuel  de l’utilisation des temps d’antenne à la radio et à la télévision de service public par l’ensemble des forces politiques ?

Depuis 2006, tous les espaces de liberté  ont été systématiquement et méthodiquement grignotés par le régime Yayi qui veut , comme sous le Prpb, instaurer chez le citoyen la peur d’exprimer librement ses opinions. La Haac qui a le souci l’équilibre de l’information ignore t- elle qu’à un moment donné un journaliste de la Nation a été littéralement éjecté de la rédaction pour ses commentaires  jugés défavorables au pouvoir ? Ce journaliste talentueux , parmi les plus brillants de sa génération,  est depuis , réduit à n’écrire que des compte rendus de séminaire et d’atelier de vulgarisation de « machin chouette ». Et la Haac le sait ! Et que dire de cette excellente émission matinale sur l’Ortb, dans  laquelle intervenaient des personnalités de tous bords ,une émission  animée par un autre jeune talentueux de l’audio visuel qui a été purement et simplement supprimée des programmes après moult pressions sur le pauvre journaliste qui a été depuis interdit de chronique sur la radio nationale ?

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Au total, il ne reste plus grand-chose  des libertés chèrement acquises par nos populations et réaffirmées  à la Conférence Nationale. Ni de l’affirmation renouvelée dans le code de déontologie de1999 du droit du public à l’information tout court. Les journalistes devraient se réapproprier les termes des premiers mots du préambule de leur code de déontologie qui réaffirme leur conviction que. «  les responsabilités, qui(leur) incombent  dans la mission d'information du public, priment tout autre responsabilité, en particulier à l'égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. »Et les honorables conseillers de la Haac devraient méditer l’article 4  de leur loi organique  : « La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication est une institution indépendante de tout pouvoir politique, de tout parti politique, association ou groupe de pression de quelque nature que ce soit. »C’est à cette aune-là que leur crédibilité sera jugée.

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