L’équation de la fraude

La fraude. Nous retenons du mot la définition ci-après : "Acte accompli dans l'intention de porter atteinte aux droits et aux intérêts d'autrui". La fraude fleurit dans notre pays comme la jacinthe d'eau prospère dans la lagune de Porto-Novo. Et le prétexte est tout trouvé pour qu'il en soit ainsi.

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On estime que celui qui n'a rien peut tout se permettre. On croit que dans un environnement de misère et de pauvreté la débrouille se légitime d'elle-même. L'expression goun de "Na dunu bé", à savoir "J'ai le droit de manger" est érigée en raison suprême. Elle sert à excuser toutes les aberrations. Elle permet de justifier tous les brigandages. Sous ce rapport, la fraude est vue comme une activité vertueuse, le fraudeur comme un citoyen vertueux. Il ne manquerait plus qu'à lui dérouler le tapis rouge.

Qu'est-ce explique que, tout d'un coup, deux postes de fraude mobilisent l'attention universelle ? Pourtant, le ver était dans le fruit depuis longtemps. Le premier poste concerne la cybercriminalité dans notre pays. Grosse émotion accompagnée, ici et là, de son bouquet de commentaires, suite à la publication des photos, noms ou pseudonymes de 200 supposés cybercriminels béninois. Le deuxième poste concerne la vente de l'essence de contrebande dite "Kpayo". Le Chef de l'Etat soi-même veut prendre la tête de la croisade anti-fraude. Il a promis que dans un mois, le "kpayo" ne sera plus qu'un souvenir dans son pays.

Applaudissons la volonté politique de fermer ces deux "guichets" de la fraude. La puissance publique s'y engage. Voilà un bâton qui paraît assez gros pour faire espérer une grosse et belle prise. Mais laissons-nous cependant nous étonner par ce réveil aussi brutal que soudain. Comme si c'est seulement aujourd'hui que nous percevons avec clarté et netteté les dangers de l'essence de contrebande et de la cybercriminalité.

La vente du "Kpayo", depuis plusieurs décennies, s'est organisée en une activité structurée, tolérée, sinon encouragée. La fraude, ici, a pignon sur rue. Elle se fait au nez et à la barbe de tous. Elle occupe des milliers de nos compatriotes. Et la chaîne du "Kpayo", qui va  du grossiste, le milliardaire invisible, au détaillant visible le long de toutes nos voies, est archi connue de tous.

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Quant à la cybercriminalité, nous en déplorons les méfaits tous les jours, au rythme des agressions perpétrées contre la personne d'honnêtes citoyens. C'est à croire que nous avons totalement démissionnés. C'est à croire que nous avons livré le pays aux "gay mens" qui sévissent en toute impunité.

Enregistrons comme une avancée la volonté de lutter contre ces deux postes de fraude. Mais ces deux arbres, au cœur de toutes nos préoccupations du moment, ne doivent pas nous cacher la forêt des fraudes en tous genres et de toutes natures que nous couvons. Nous entendons, d'ici, les plaintes et les complaintes de nos artistes musiciens, littéralement assassinés par des pirates sans foi ni loi. La fraude qui touche les œuvres de l'esprit et la propriété intellectuelle est la pire de toutes. Par ailleurs, les faux médicaments déversés sur nos marchés et qui sèment la mort à tour de bras ne relèvent-ils pas d'une forme de fraude ? Et que dire des aliments importés, mais périmés ? Le fallacieux prétexte des "Soldes et liquidations" de fin d'année organisés par les plus véreux d'entre nous les mettent à la portée de toutes les bourses.

Ces quelques exemples montrent que les fraudes que nous déplorons et qui gangrènent notre économie sont plus nombreuses que nous ne le pensons. En cibler deux n'autorise pas encore de bomber le torse et de crier victoire. Qui n'a coupé que deux arbustes dans la forêt équatoriale n'a pas fait mieux que celui qui s'est débarrassé de deux petits poils d'une barbe fournie et garnie.

Pour dire que la question de la fraude en général, nous ramène à la question fondamentale de l'informel. Voilà la source de toutes les fraudes. L'hydre de Lerne, dans la mythologie, c'est ce serpent à sept têtes qui repoussaient sitôt coupées. L'essence de contrebande "Kpayo" et la cybercriminalité sont comme deux des sept têtes de l'hydre de Lerne. Pour qu'aucune tête du serpent ne repousse, il n'y a plus qu'à le tuer. Pour résoudre durablement le problème de la fraude au Bénin, il n'y a qu'à s'attaquer franchement à l'informel. On ne soigne pas un cancer à coup de cachet d'aspirine. Au plus fera-t-on baisser la fièvre. Mais le mal persistera. Mais le mal empirera.

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