La Haac, ne peut sanctionner au motif du «Trouble à l’ordre public»

Par décision n° 12-035/HAAC du 20 novembre 2012, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) a procédé à la suspension du forum de discussion sur « actu matin »  et de l’émission «  A palabre » de la Chaine de télévision Canal 3 Bénin

Publicité

Cette décision qui est prise à la suite d’une plainte en date du 19 septembre 2012 du Président de la République avait pour fondement le « trouble à l’ordre public ».

Les justifications de la Haac

La HAAC, à travers une analyse « troublante », rend une décision de suspension en évoquant les raisons suivantes :

Article 1er : « Les forums de discussion sur l’émission « Actu Matin » de Canal 3 Bénin au cours desquels les animateurs vont tous dans le même sens, acquiescent ou renchérissent le point de vue du chroniqueur sur des sujets politiques, sociaux et économiques à polémique, violent le code de déontologie de la presse béninoise en son article 8, notamment l’exigence de l’équilibre dans le commentaire ».

Article 2 L’émission « A palabre » du dimanche 16 septembre 2012 a violé le principe de l’équilibre sur le sujet des limogeages relatifs à l’affaire dite du « port sec de Tori » Si la HAAC, dans sa décision du 20 novembre 2012, a eu le mérite d’indiquer dans l’article 2 de sa décision que c’est l’émission « A palabre » du dimanche 16 septembre 2012 qui a violé le principe de l’équilibre dans le commentaire, l’article 1er est resté muet sur la date de l’émission « forum de discussion de l’émission Actu-Matin ». Affirmer qu’au cours des  forums de discussion sur l’émission « Actu Matin » de Canal 3 Bénin,  les animateurs vont tous dans le même sens, acquiescent ou renchérissent le point de vue du chroniqueur sur des sujets politiques, sociaux et économiques à polémique, n’est pas juste si l’on s’en tient à cette émission. Il arrive pour nous qui suivons cette émission matinale que certains journalistes du forum ne soient pas de l’avis du Chroniqueur. Il suffit pour la HAAC de reprendre l’enregistrement de certaines émissions pour s’en convaincre.

Publicité

Une décision déséquilibrée et discriminatoire

La rigueur professionnelle qui doit être attachée à la décision devrait amener les membres de la HAAC, à affirmer clairement dans leur décision, comme ils ont su le faire dans l’article 2 de la décision du 20 novembre 2012,  les forums de discussion de l’émission actu-matin qui sont constitutifs de déséquilibre de l’information. Ne pas le faire ainsi semble donner raison à ceux qui estiment que les décisions que prennent notre Autorité de régulation sont déséquilibrées et discriminatoires, étant entendu que sur la chaîne publique, nous assistons aussi souvent à ce déséquilibre de traitement,  sans que l’Institution ne prennent des mesures similaires.

Bien que, déjà dans la forme, la décision du 20 novembre 2012 pose problème, il n’est pas superflu d’affirmer que dans le fond aussi, notamment la raison de « trouble à l’ordre public » évoquée par le requérant, il y a à dire.

Précisions sur la notion d’ordre public

Etymologiquement  du latin ordo, ordre, disposition, arrangement, règle, régularité, l’expression «Ordre public» désigne l’ensemble des règles obligatoires qui permettent la vie en société et l’organisation de la nation. Sans ces règles édictées dans l’intérêt général, les sociétés humaines ne sauraient survivre. L’ordre public couvre des notions générales comme la sécurité, la morale, la salubrité, la tranquillité, la paix publique. Le trouble à l’ordre public est une situation où la paix publique est atteinte de manière significative. (Ex : tapage nocturne, exhibitionnisme, attroupement ou émeute…) En droit administratif, l’ordre public est l’état social idéal caractérisé par « le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique. » Le but de la police administrative est d’en prévenir les troubles. Il existe deux types d’ordre public :

• l’ordre public de direction, qui protège l’intérêt général ;

• l’ordre public de protection, qui protège les plus faibles.

Cette notion d’« ordre public » est toujours restée, partout ailleurs, une notion vague sans définition précise. C’est pourquoi, elle  ne saurait être le fondement d’une décision de suspension d’une liberté, qu’une Institution constitutionnelle de régulation est censée garantie garantir. Est-il nécessaire de rappeler que l’ambigüité de cette notion ne date pas d’aujourd’hui. Même dans une grande démocratie comme la France, la question est encore d’actualité. En effet, on peut rappeler la question écrite n° 20867 de M. Hubert Haenel (Haut-Rhin – UMP) publiée dans le JO Sénat du 02/12/1999 – page 3921 où ce dernier demandait à Madame le garde des sceaux, ministre de la justice, de bien vouloir préciser la réponse apportée à la question écrite nº 18049 du 22 juillet 1999, par laquelle il lui demandait de lui indiquer quelle(s) définitions(s) elle donnait de l’ordre public. Dans sa réponse, Madame le ministre se contente de dresser un inventaire, qui ne peut pas être exhaustif, des domaines dans lesquels cette notion est utilisée. Elle précise, en outre, de quelle manière la notion doit être interprétée selon les domaines dans lesquels elle est invoquée. Cependant, elle ne propose aucune définition de l’ordre public. Il lui demande donc de définir ce « concept traditionnel et fondamental du droit « tel qu’elle l’a utilisé au cours du débat sur le projet de loi renforçant la présomption d’innocence.

En clair, la HAAC ne saurait évoquer la notion d’ordre public pour suspendre des émissions ; car cela ne relève pas de sa compétence. Partout ailleurs, l’ordre public est du ressort de la police administrative. En France par exemple, le maintien et le rétablissement de l’ordre public relève relèvent du ministère de l’Intérieur. Ils sont assurés par la Police nationale et la Gendarmerie nationale.

Pourquoi alors faire de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC) une police Administrative?

L’auteur de la lettre adressée à la HAAC en est conscient qu’il affirme lui-même que « Etant donné qu’il s’agit d’une question sensible de trouble à l’ordre public, l’absence d’une prompte réaction de votre part m’obligerait à prendre les mesures appropriées pour garantir l’ordre, la tranquillité et la sécurité de notre peuple. C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons que le gouvernement  avait déjà été amené à faire cesser l’émission «Bonjour Citoyen» sur la Chaîne de Télévision  nationale ORTB ».

L’extrait de cette lettre N ° 834 /PR/CAB/ SP- e du 9 septembre 2012 montre clairement que la prise d’une décision sous le fondement de « trouble à l’ordre public » ne relève pas de la compétence de la HAAC puisque l’auteur lui-même l’affirme en indiquant clairement que l’absence de réaction l’obligerait à prendre les mesures appropriées comme il l’a déjà fait pour faire cesser l’émission «Bonjour Citoyen» sur la Chaîne de Télévision  nationale ORTB.

Pourquoi inviter la HAAC à prendre une décision si l’on sait que de toutes les façons l’on peut soi –même prendre les « mesures appropriées » en la matière?

Quelle valeur accordons-nous à notre Institution en charge de la régulation des médias lorsque l’on l’invite de cette manière -là à prendre des sanctions  et à suspendre des émissions pour éviter le trouble à l’ordre public ?

Quelle raison les acteurs de cette institution constitutionnelle qu’est la HAAC peuvent nous donner lorsqu’ils décident de suspendre des émissions sur une demande dont le moyen fondamental est le « trouble à l’ordre public » ?

Redorer le  blason de la haute institution

Comme la lettre du 9 septembre 2012 l’a si bien mentionné, l’appréciation de « trouble à l’ordre public » relève de la compétence du gouvernement. La HAAC n’est nullement compétente pour y fonder sa décision.

Certainement que dans les jours qui viennent, nous aurons la position de la Cour Constitutionnelle, « garante des libertés publiques », sur cet aspect de la décision, étant donné qu’elle sera saisie pour nous édifier. La HAAC, garante de l’exercice de la liberté de presse et de communication, devrait se déclarer à tout point de vue « incompétente » pour les raisons soulevées dans la plainte qui a fait l’objet de la décision du 20 novembre 2012.

Trois missions constitutionnelles sont confiées à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, conformément aux dispositions des articles 24, 142 et 143 de la Constitution. Il s’agit de :

– de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse, dans le respect de la loi ;

– de veiller au respect de la déontologie en matière d’information et l’accès équitable des partis politiques, des associations  et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication ;

– de garantir l’utilisation équitable et appropriée des organismes publics de presse et de communication audiovisuelle par les institutions de la République, chacune en fonction de ses missions constitutionnelles, et d’assurer le cas échéant les arbitrages nécessaires.

Quelle garantie assurons-nous à la presse béninoise lorsqu’à tout moment ce sont des sanctions de suspension et même de radiation à vie de l’exercice de journaliste qui sont prises par cette institution ?

Que fait-on de la mission constitutionnelle de la HAAC prévue à l’alinéa 4 de l’article 6 de la loi organique N°92-021 du 21 août 1992 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (H.A.A.C.) qui dispose que la HAAC doit « garantir l’autonomie et l’impartialité des moyens publics d’information et de communication » ?

Pourquoi voulons-nous à tout prix assurer l’impartialité des moyens privés d’information et de communication alors même que la loi organique l’exige que pour les moyens publics d’information et de communication?

N’est-ce pas au Bénin, que la première autorité de l’Etat a menacé ouvertement des jeunes journalistes de l’émission actu-matin. Et pourtant l’article 1er de la loi 92-021 du 21 août 1992 relative à la HAAC dispose que : « La Communication Audiovisuelle est libre. Toute personne a droit à l’information. Nul ne peut être empêché, ni interdit d’accès aux sources d’information, ni inquiété de quelque façon dans l’exercice régulier de sa mission de communicateur s’il a satisfait aux dispositions de la présente loi.

N’est-ce pas une suite normale des choses lorsqu’après ces menaces de la première autorité de l’Etat, l’on en vient à la suspension de l’émission pour trouble à l’ordre public ?

Une déstructuration constitutionnelle à l’horizon

Pour nous, notre pays le Bénin semble sombrer dans un processus que j’appelle « déstructuration constitutionnelle » des Institutions de la République.

N’est-ce pas au Bénin que dans une affaire qui oppose un privé au gouvernement, tous les premiers Responsables de nos Institutions Constitutionnelles reçoivent ce dernier à la Haute Cour de justice à Porto-Novo. Ce que l’autre a appelé « Intolérable dérive » !

Quel article de notre constitution permet un pareil regroupement des premiers responsables des  institutions Constitutionnelles de notre pays dans un régime de séparation des pouvoirs avec un organe régulateur qui est la Cour Constitutionnelle ?

Dans le système constitutionnel actuel, que vaut le Président d’une institution comme la Cour Constitutionnelle sans les six autres membres ? Idem pour le Président de l’Assemblée Nationale vis-à-vis des honorables députés ! Les acteurs de nos Institutions constitutionnelles doivent prendre la mesure de ce qu’ils font, pour ne pas être « négativement » cité dans l’histoire de notre pays. Notre République ne mérite- t-elle pas mieux que ce qui s’y passe actuellement en matière de fonctionnement des Institutions  Constitutionnelles ? Nos Institutions constitutionnelles ne sont pas en place pour rendre service mais pour faire grandir notre démocratie à travers des décisions justes, objectives, équitables, professionnelles, sans parti pris et qui honorent notre démocratie.

N’est-ce pas justifier ce que notre compatriote M. Francis KPATINDE a dit dans sa réflexion « Bénin, une démocratie qui part en vrille » publiée dans courrier international n° 1150 du 15 au 21 novembre 2012  en ces termes « Au Bénin, le Rubicon est déjà franchi » ?

Arrêtons avec cette forme de gestion qui veut dire qu’on peut tout se permettre dans la République, dans la mesure où on est là. Aucun pouvoir n’est éternel et comme j’aime bien l’écrire aussi souvent « la roue de l’histoire tourne et personne ne saurait l’arrêter ».

N’est-ce pas au Bénin qu’on a adopté la loi 2011-20 du 12 Octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin qui a prévue en son article 21 que     « … le délai de prescription des délits est de vingt (20) ans  et que les crimes  économiques sont imprescriptibles ». ?Si nous savons que cette loi a prévu des infractions telles que : – le trafic d’influence (les articles 50 à 52) – l’abus de fonction (article 53), l’on doit savoir raison garder dans les services qui sont demandés et rendus dans notre République.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité