Pour la médecine traditionnelle

Connaissez-vous les "baba"? Ce sont ces thérapeutes, ces guérisseurs surgis de toutes parts. Ils ont trouvé auprès de nos radios notamment un bon filon pour proposer leurs services et pour vendre leurs médicaments.

Publicité

Ils se réclament de nos savoirs endogènes. Ils se proclament les héritiers de nos traditions multiséculaires en soins de santé. Personne, a priori, ne peut en douter, l'Afrique n'ayant jamais été un désert dans le traitement de toutes sortes d'affections. Mais on peut douter que tous les "baba" soient  de bons praticiens, de bons thérapeutes. Et tant qu'on n'a pas séparé le bon grain  de  l'ivraie, la suspicion plane sur un type de médecine que le colonisateur avait déjà disqualifié et déclassé. Quand nos thérapeutes n'étaient pas des sorciers ou des charlatans, ils étaient tout simplement assimilés à des bonimenteurs.

C'est de bonne guerre: le colonisateur avait autant intérêt, hier, à imposer son école et sa langue que nous, nous avons intérêt, aujourd'hui, à réhabiliter nos valeurs culturelles. Le colonisateur se prévalait d'apporter la civilisation aux sauvages que nous serions. Mais de quoi nous prévalons-nous, cinquante-deux ans après l'accession de notre pays à l'indépendance ? Si, comme le dit Aimé Césaire "L'heure de nous-mêmes a sonné", qu'avons-nous fait depuis, sous l'angle de la réappropriation de notre identité, pour donner un nouveau statut à ce qu'il convient d'appeler, faute de mieux, notre médecine traditionnelle?

La vérité, c'est que nous gérons l'ambigüité, un peu comme nous le faisons ailleurs, à travers ce mariage douteux, sinon incestueux entre le formel et l'informel. En somme, l'art de ménager la chèvre et le chou, l'art de mélanger les torchons et les serviettes. Nous tardons à nous décoloniser. Nous marquons le pas sur le chemin de notre libération mentale.  Nous singeons les autres sans savoir exactement qui nous sommes. Nous récitons un catéchisme écrit par d'autres, abandonnant à la poussière de l'oubli la somme de nos savoirs.  Il n'est que temps d'arrêter le massacre.

Publicité

Avant toutes choses, nous devons faire tomber l'idée selon laquelle la médecine occidentale est le modèle accompli dans l'ordre des approches des soins de santé. Des lunettes idéologiques peuvent faire voir les choses ainsi. En fait, la santé est une. Mais les voies qui y conduisent sont plurielles. Chacune d'elles, selon son contexte d'émergence, ses conditions d'évolution, n'est qu'une variante d'une seule et même préoccupation: la santé. A savoir ce bon état  d'équilibre et d'harmonie, à la fois physiologique et psychique, auquel aspire tout être vivant. Si l'Afrique avait été un Sahara en matière de soins de santé, le colonisateur aurait établi son système de domination et d'exploitation sur un désert.

Comme on le voit, nous sommes conviés à un véritable travail d'archéologues pour mettre au jour des savoirs, des techniques, des pratiques authentiques. C'est une course contre la montre qui est engagée, compte tenu de la réduction, jour après jour, du cercle de ceux qui en sont les légataires, de ceux qui en sont les dépositaires légitimes. C'est pourquoi, au plus haut niveau de l'Etat, des initiatives doivent être prises, des actions doivent être diligentées.

Il faut organiser ce que nous appelons la "médecine traditionnelle" en un corps de discipline faisant l'objet d'un enseignement théorique et pratique dans le cadre d'une faculté. Cela appelle un corps d'enseignants, une matière ou une discipline à enseigner, des curricula de formation à déployer, des sujets à former, des recherches à conduire, des titres à décerner, des grades à conférer, voire des diplômes à délivrer. La médecine traditionnelle doit être mise au jour et à jour.

La médecine traditionnelle ainsi introduite dans la "normalité",  n'exige point qu'on bouscule la médecine dite moderne. La coexistence entre les deux médecines est de l'ordre d'une nécessité. C'est un enrichissement. Se posera la question de la collaboration entre ces deux médecines. Des ponts seront à établir. Des passerelles seront à construire. Une académie, regroupant les sommités des deux types de médecine, coifferait l'ensemble. Il faudra y voir l'instance d'une réconciliation, l'espace privilégié d'un dialogue des cultures. La différence n'est pas un handicap dès lors qu'elle peut être source de complémentarité créatrice. Pierre Teilhard de Chardin ne dit pas autre chose: "Tout ce qui monte, converge".

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité