Proposition de loi sur les Unités Administratives locales en République du Bénin : quelle place pour les archives nationales ?

Depuis quelques semaines, l’actualité nationale est marquée, du côté du palais des gouverneurs à Porto Novo, par la remise au goût du jour de la proposition de loi « portant création, organisation, attribution et fonctionnement des Unités Administratives locales en République du Bénin ».

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Si le projet aboutit, c’est non seulement l’administration territoriale nationale qui en sera modifiée, mais c’est aussi le quotidien des citoyens qui en sera affecté. Il s’agit par conséquent d’une entreprise à mener avec tout le soin et le sérieux nécessaires qui soient dépourvus de toutes tentatives opportunistes.  Les honorables députés ont-ils alors pris le recul indispensable pour s’inspirer du passé du Bénin en cette matière ? Quelle place font-ils aux archives nationales qui sont les seuls témoins infaillibles de ce qui s’est fait en matière de gestion de l’administration territoriale depuis les temps coloniaux ?

L’ambition des parlementaires béninois est d’autant plus noble que, à en croire les propos du Pr Mathurin NAGO, Président de l’Assemblée nationale, c’est malheureusement pour « la première fois, depuis l’accession de notre pays à la souveraineté nationale [c'est-à-dire en un peu moins de cinquante-trois ans "d’indépendance"] que le législateur s’intéresse à cette question qui relève pourtant du domaine de la loi…». Mais disons tout de suite  qu’il serait regrettable que cette montagne qui pousse du côté de Porto Novo accouche d’une souris ou pire, que la montagne accouche d’un monstre. Le monstre serait alors que nos députés votent une loi, qui soit in fine, inapplicable, comme c’est le cas de celle ayant doté le Bénin de douze départements dont six le sont seulement de nom depuis qu’ils ont été créés.

Mais les députés se sont-ils entourés des garanties nécessaires pour nous éviter le fiasco au bout du rouleau ?

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Au-delà des doutes, fondés ou non, sur la période choisie pour conduire le projet, période qui serait favorable plus à des visées politiciennes qu’à de réelles ambitions de développement pour le Bénin, il me semble plus qu’une urgence d’adresser cette exhortation aux représentants de la nation : tout comportement tendant à faire comme si l’administration territoriale au Bénin a commencé à partir de 1960 et comme si le recueil d’informations sur le terrain auprès des élus locaux, quel qu’ils soient, était suffisant pour avoir une loi satisfaisante, sera une garantie d’échec à ce projet pourtant louable et salutaire. Plus que jamais, l’adage populaire qui veut qu’on tisse la nouvelle corde au bout de l’ancienne doit servir. Et pour cela, rien de telles que les archives nationales du Bénin, gardiennes de notre passé, pour nous renseigner sur ce qu’a été l’administration territoriale au Dahomey avec le colon, puis au Bénin. En tant qu’archiviste et ayant consacré des travaux de recherche à l’administration territoriale au Dahomey colonial de 1890 à 1960 à travers les actes législatifs et réglementaires, je puis dire que le colonisateur a laissé au Bénin un héritage précieux en termes d’archives liées à l’administration territoriale. Et ce serait très regrettable pour le Bénin de ne pas tirer parti des immenses documents d’archives conservés aux Archives nationales du Bénin sur ce sujet. Légiférer aujourd’hui sans tenir compte de ce passé serait faire preuve d’une myopie coupable et préjudiciable aux intérêts nationaux comme c’est déjà arrivé dans des situations où on a appris à regrets que les archives auraient pu préserver des patrimoines à jamais perdus.

En effet, qui a oublié ce cinglant revers qu’a enregistré le Bénin le 12 juillet 2005 devant la Cour pénal international de la Haye dans le différend territorial qui l’a opposé à son voisin du Nord-Est, le Niger ? Malgré les sommes faramineuses dépensées pour aller consulter les archives nationales du Bénin, soit à Dakar, soit à Paris ou ailleurs à l’étranger, nous avons perdu 16 îles sur les 25 revendiquées dont le précieux territoire de l’île de l’Été. Le Burkina-Faso nourrirait aussi des ambitions dans le même sens. Peut-être aussi les deux autres voisins que sont le Nigéria et le Togo. Le Bénin a-t-il à portée de main des preuves qui assurent ses droits à ses différentes frontières inter-Etats ? Peut-on espérer que la Commission nationale des frontières créée en 2009 et qui a compétence sur cette question s’y attèle ? Mais restons plus près de nous, plus près des préoccupations quotidiennes des Béninois : en avons-nous fini avec les disputes fratricides portant sur des frontières internes et conduisant à de nombreux conflits territoriaux qui opposent des départements, communes ou arrondissements à l’intérieur du Bénin ? Des conflits, hélas sanglants et meurtriers ! Par ailleurs, les contestations venant de citoyens ne se reconnaissant pas dans des choix de chefs-lieux de départements ou de communes sont légions et constituent des épines dans les pieds des administrateurs du territoire. Ces derniers ont visiblement du mal à fixer avec exactitude les ressorts territoriaux des différentes Unités administratives (départements, communes, arrondissements, quartiers de villes ou de villages) fautes de détenir les actes juridiques qui les situent. Voilà autant de problèmes, autant de situations d’inconforts et certainement d’autres encore, que devrait aider à résoudre la loi que les députés se préparent à doter le pays. Autrement son utilité resterait à démontrer à part les réponses qu’elle apporterait pour les préoccupations immédiates, partisanes et mineures des échéances électorales de 2013 et 2016.

J’ai parcouru avec attention « la méthodologie retenue » par le Président de l’institution parlementaire avec ses pairs : « l’engagement à rechercher par le dialogue, la concertation et l’écoute, le plus large consensus possible autour dudit dossier » selon les termes du Président dans son communiqué de presse en date du 03 octobre dernier. Cette « méthodologie » se décline par l’organisation de missions parlementaires à travers tout le pays pour « échanger avec les élus locaux et les populations de la nécessité de la création ou non de nouvelles unités administratives dans leurs entités territoriales et de les identifier le cas échéant ». Une fois les données collectées sur le terrain auprès des élus locaux, l’étape suivante est « d’une part d’associer tous les députés aux débats et, d’autre part, de discuter des propositions faites, localité par localité, en vue d’obtenir un large consensus sur le contenu du texte à soumettre à la plénière ». On le voit, l’essentiel de la matière qui servira à doter le Bénin « pour la première fois » d’une loi en matière de création et gestion des Unités administratives locales, « villages et quartier de ville », en République du Bénin, sera issue des seules paroles des politiciens élus locaux !  Comme si ce qui s’est fait avant 1960 et consigné dans les archives nationales, entretenues à grands frais, ne comptait plus pour nous ! Ou comme si la mémoire humaine est si fidèle qu’on peut si fier entièrement sans avoir besoin de recourir à des actes matériels non falsifiables ! A moins que la démarche annoncée par le Professeur NAGO sous-entend, sans que l’on ne s’en rende compte, ce recours nécessaire et indispensable aux archives nationales dont le propre est d’épargner à toute la nation de commettre des erreurs ou d’en répéter, faute d’avoir eu judicieusement recours à son passé.

C’est heureux que sous la pression, objective ou non, de certains députés, la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale ait retenu, (et l’on compte que ce sera vraiment le cas), de « saisir l’INSAE  pour recueillir son avis technique sur les propositions ».  Cela « au regard des projections démographiques » selon le même communiqué de presse. Autrement, l’INSAE sera consulté aux fins que les députés ajustent la loi sur les réalités futures du Bénin. Mais sais-t-on seulement que si le présent aura certainement d’impact sur le futur, il n’en demeure pas moins vrai que ce présent sera hypothéqué de même que le futur que l’on vise à protéger si le passé est négligé et oublié ?

Aucun malheur n’arrive jamais seul ! Si les députés ont été contraints (heureusement a-t-on envie de dire) d’attendre le 10 novembre 2012 avant de reprendre l’initiative sur cette loi, c’était une occasion pour eux de mieux peaufiner leur « méthodologie » afin de doter le pays d’un instrument juridique solide et définitif. Autant la consultation de l’INSAE est indispensable pour mieux penser le futur, autant la consultation des archives nationales, (celles de la période coloniale ainsi que celles allant de la date de "l’indépendance") est impérieuse et incontournable pour mieux apprendre du passé du Bénin, de l’histoire nationale. Et les Archives nationales sont à deux pas de l’hémicycle à Porto Novo;  elles ne sont pas dans le « Bénin profond », nécessitant de coûteuses missions « d’échanges et d’écoute sur le terrain » auprès des élus locaux qui se sont déjà exprimés, à juste titre. Messieurs les honorables députés, veuillez bien faire exprimer aussi les archives nationales ! Pour l’intérêt national ! C’est bien pour ça, surtout, que vous êtes élus !

Léon S. DJOGBENOU, Archiviste-Documentaliste
Email : sogodo08 @ gmail. com

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