A quel âge pourrai-je reposer mes vieux os?

Devant le débat suscité par l’âge de la retraite dans le monde, en France  notamment et ces derniers temps, chez nous, au Bénin, un groupe de femmes m’a interpellée pour demander mon avis sur la question. Le cri de détresse d’une collègue travaillant dans l’administration de son établissement résonne encore à mes oreilles :

–         Dis-moi Adé, quand pourrai je  reposer mes vieux os ? A quel âge exactement ? Puis qu’il parait  qu’une loi est désormais sur la table de nos députés  qui nous conduira à 60 ans et plus, peu importe le nombre d’années de services accomplies.

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J’avoue qu’ayant mon idée sur le sujet, je voulais que chacune dévoile sa position  qui peut être un échantillonnage sérieux sur l’opinion des femmes, tandis que celui des hommes est connue d’avance, puisqu’ils constituent le gros lot des personnes qui continuent de travailler, au terme des 30 ans reconnus par les textes. Toute les femmes que j’ai approchées sont unanimes sur le sujet, peu importe leur domaine d’activité. Elles attendent impatiemment le dernier jour de service pour reposer leurs vieux os.

–         Pourquoi nous les femmes sommes-nous si pressées de quitter  les choses, ai-je je demandé a la ronde ?

Les raisons sont diverses, mais toutes celles qui ont été émises rejoignent mes pensées et me rapprochent encore plus de mes soeurs. Cadres ou simples agents, elles sont unanimes à désirer s’en aller, « afin de laisser la place aux jeunes ».

En effet, qui n’a pas au sein de sa famille un enfant (fils ou fille, neveu ou cousine, etc.) qui, depuis la fin de sa formation a signé son contrat avec le chômage et le sous emploi ? Obligés de végéter dans la précarité pour le plus grand nombre, ou de pressurer les maigres revenus des parents, leurs pensions quand ils sont déjà à la retraite, les jeunes ne savent où donner de la tête. Impossible de faire des projets d’avenir, alors que le quotidien n’est pas assuré.

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Jeunesse, l’avenir de demain

Et pourtant, que de louanges ne fait-on pas à cette catégorie de citoyens, les jeunes, le soubassement même de l’édifice de notre pays au moment de sollicités leurs suffrages ! Que de promesses ! Et pourquoi refuse t’on de leur de leur accorder ce qui est essentiel dans la vie de tout homme ? Le travail… Lorsqu’un individu n’a pas de travail, il n’a pas d’existence. Tous, dans le pays reconnaissons que partout dans l’administration, le personnel est vieillissant. Qu’il faut du sang neuf  pour redonner vigueur,  santé, nouvel élan pour booster notre administration. Est-ce  à dire que seules les femmes ont besoin de repos après  les 30 ans de parcours d’un fonctionnaire ?

Les femmes au mille bras

            On ne le dira jamais assez, tout repose sur nos braves femmes : la maison, la famille, le boulot ou elles s’acquittent de leurs taches avec  conscience et abnégation. Heureusement, beaucoup d’hommes le reconnaissent aujourd’hui et sont prêts à nous donner notre chance. Quand la morosité économique rend difficile la vie au quotidien, les femmes ont le génie de continuer à faire vivre la famille jusqu’au dernier jour du mois. Emerveillés, nos hommes se demandent lequel de nos hormones accomplit tous ces miracles. C’est dans nos gènes d’avoir à cœur l’intérêt général, parfois, ou souvent au détriment du nôtre. Que les hommes m’excusent, si je les titille quelque peu, mais nous ne sommes pas formatées de la même façon et moi, je reçois beaucoup de manifestations de gratitude de mes sœurs quand je parle  de leurs soucis, lorsque je restitue leurs opinions, pour  m’arrêter en si bon chemin. Je le fais en toute modestie, et que personne n’en doute.

L’exemple des institutrices de Newtown

            On ne va pas refaire l’histoire, mais le monde entier doit se  saisir de l’attitude de ces institutrices de la ville américaine de Newtown. Ces femmes qui, face à un jeune désaxé, se sont offertes en holocaustes ou ont eu le génie de cacher les enfants qui leur sont confiés, pour leur sauver la vie. Certains hommes ont reconnu qu’ils prendraient la poudre d’escampette au premier coup de fusil. La femme qui est formatée pour donner la vie veut la protéger jusqu’au bout. «  Comment être heureuses quand nos enfants sont si malheureux autour de nous ? » «  Comment pouvons-nous continuer d’occuper des places qui leur reviennent de droit, alors que nous les parents avons de plus en plus de mal à nous lever le matin sans ronchonner, pour assumer nos taches au quotidien ? »

La précarité à la retraite

La peur de la retraite nait de la précarité dans laquelle s’enfoncent tous ceux qui y sont appelés. Certains meurent avant que le livret de pension ne sorte du long tunnel du circuit financier. Période très difficile qu’aucun être humain ne veut affronter. Mais il le faut car, autant le travail est une nécessité pour une vie équilibrée, autant le repos l’est pour une vie épanouie… à un certain âge. Il ne s’agit pas de faire des doyens des rebus de notre société. C’est bien autour de l’ancienne corde qu’il faut tisser la nouvelle, Jean Pliya nous rappelle ce dicton si cher à notre peuple. Comme l’a écrit Jérôme Carlos dans sa chronique du jeudi 20 décembre dans LNT n° 2466 : Il faut «  renouveler la chaine des générations », «  libérer la notion de retraite de sa gangue désséchante d’épouvantail, comme si la retraite était synonyme d’un assassinat administratif programmé ». Sans commentaire !

Le sourire aux lèvres

 Aller à la retraite le sourire aux lèvres, afin que les jeunes pousses de notre plantation  commune puissent croître et se développer grâce à la sève de nos expériences de doyen(nes). Que l’Etat nous offre les conditions idoines pour nous retirer à temps, la tête haute, et non le pied de nos enfants dans nos derrières. Il faut dire que cette bataille générationnelle n’est pas en notre faveur et ne donne pas une image positive, voire rassurante des doyens que nous sommes (les derniers recrutements de l’Etat PRPB datent de 1986). Mes camarades de cette promotion 2006, les femmes au moins attendent avec impatience de raccrocher après 30 ans de loyaux services. Car, comme l’a conclu ce cher J. Carlos, « il y a une autre vie, tout aussi riche, toute aussi valorisante après la retraite ».

Coursier avec Bac plus 5

            Au cours d’une discussion  à bâtons rompus, un ami de mon fils m’a interpellée en ces termes :

-Maman, tu as dit que lors de ton séjour aux USA, des jeunes Béninois t’ont confié leur intention de rentrer définitivement au pays ; et tu les as encouragés en ce sens. Leur as-tu présenté la réalité du chômage des jeunes au pays ?

-Mais bien sûr jeune homme ! Ils le savent mais ils disent qu’ils n’ont pas de plan de carrière là-bas à l’étranger…

-Plan de carrière ! Mais qui parle de plan de carrière aujourd’hui, alors que tous nous cherchons d’abord à survivre. Cette semaine, au bureau, nous avons reçu le CV d’un jeune qui a un Bac plus 5 et qui a postulé à un poste de coursier. Il est prêt à faire ce job pour gagner 25.000f, pourvu que ce  soit régulier à chaque fin de mois. Eh bien, voila nos plans de carrière, Maman ! En même temps, ceux la qui ont commencé leur carrière avant mon père, continuent de se lever chaque matin, pour  se rendre au bureau afin d’émarger au budget national et jouir jusqu’à leur mort des privilèges de l’Etat. Qu’avons-nous fait pour mériter ça Maman ? Porte nos voix vers eux, les dirigeants de ce pays, nos pleurs, nos cris. On à tué l’espoir en nous. C’est un génocide silencieux, Maman ! Il m’arrive d’avoir envie d’en finir avec la vie certains jours… ou de crier ma rage en m’immolant comme ce jeune Tunisien… Partir puisque rien ne m’attend ni aujourd’hui, ni demain… Dans un an, dix ans… qu’est-ce qui va changer dans nos vies ?

 Que dire face à tant de désespoir ? Quel commentaire énoncer devant ce cri de cœur ? J’avais tellement la gorge nouée face au désespoir de ce jeune et tous ses semblables qui ont gommé le mot espoir de leur existence.

–         Qu’avons-nous fait pour mériter ça ?

Ce cri de cœur m’a poursuivi toute la journée ; me poursuivra tout le reste du temps que je passerai à mon poste de travail. Il nous poursuivra tous, nous les parents qui n’avons pas su passer la main à temps  à notre jeunesse.

Le cas français

            En France, d’où nous tirons la plupart de nos réformes et lois judiciaires, le pouvoir en place depuis les élections de 2012 (présidentielle et législative surtout), se trouve obligé de mettre en route une nouvelle réforme sur les retraites en 2017. Alors que les travailleurs à qui ont a asséné le coup de grâce, en les renvoyant à une dizaine d’années en plus de leur date normale de départ  à la retraite n’ont pas  encore digéré ce diktat du régime Sarkozy, le nouveau pouvoir se trouve contraint de compléter encore les dates actuelles. Certains travailleurs  à 70 ans seront toujours obligés d’être au poste pour mourir dignement au front. Pauvres de nous les fonctionnaires ! À quel âge pourrons-nous enfin reposer nos vieux os ? Que notre Etat réfléchisse profondément avant de nous imposer du copie-coller français qui ne résout pas vraiment le problème des retraites.

            Lors de mon séjour aux U.S.A, j’ai vu une femme noire de 85 ans très dynamique qui organise la vie de son église et qui s’occupe des SDF blancs dans son quartier grâce aux moyens que sa communauté lui remet (loyer, nourriture, culte du dimanche). Face à cette expérience, je crois avoir découvert ma vocation prochaine : me rendre utile à mes concitoyens, dans le cadre de tout mécanisme d’une élection à la base. Mais devant les implications censitaires de notre système électoral, ai-je quelque chance de décrocher un mandat ? En attendant le plus urgent pour moi, c’est de retrouver le chemin du bureau par ma remise à disposition du ministère de l’Enseignement secondaire… Cela fait six mois que j’attends… et ma retraite s’approche à grand pas !

Joyeux Noël et Bonne année à tous !  

Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA
Professeur de lettres-Ecrivain

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