Les deux Républiques du Bénin

La constitution du 11 décembre 1990 proclame en son article 8 que «La personne humaine est sacrée et inviolable. L’État a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger.  Il lui garantit un plein épanouissement.

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A cet effet, il assure à ses citoyens l’égal accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi ». Mais dans les faits, rien de cela n’est vrai. Il existe encore chez nous deux Républiques qui se côtoient et s’imbriquent dans une imparfaite cohésion nationale. La première est la République des « opprimés ». Elle est majoritaire et est composée du Béninois lambda, anonyme, qui gagne sa vie difficilement et ne bénéficie nullement des avantages du pouvoir, du favoritisme d’Etat et du « culte du patronyme » en vogue ici. Ces Béninois sont ceux que l’on retrouve tous les matins sur la route nationale Godomey- Pahou, chevauchant des motos pétaradantes, et cherchant à dribler  avec une habileté inouïe les nombreux nids de poule et les crevasses qui jalonnent cette voie. Les plus malchanceux y perdent leurs vies aux termes d’accidents qu’ils pouvaient éviter si la voie était en bon état. Les plus chanceux s’en sortent au bout de plusieurs années de dur travail, pour s’acquérir des lopins de terre dans les bas-fonds et les terrains marécageux de Cococodji, Pahou, Hêvié… Et là encore, bonjour les litiges domaniaux. Le terrain qu’il a acheté après des années de tontine ou de cotisation et sur lequel il a déjà investi pour bâtir une maison, est revendiqué par plusieurs autres propriétaires. Commence ainsi pour lui les vicissitudes du propriétaire terrien. Il doit courir entre tribunal, siège d’arrondissement, commissariat et domicile de chefs de quartier. S’il ne perd pas son titre de propriété et voit sa maison démolir un jour par des bulldozers envoyés par des huissiers, il s’en sort difficilement de ce litige en perdant assez de plumes. Ils sont de ceux qui, sans grand moyens, demandent toutes les fois l’indulgence des directeurs d’école pour le paiement des contributions scolaires. Ce sont ces femmes que l’on voit à Dantokpa s’échiner dans le petit commerce. Les opprimés, c’est ceux qui mangent à peine, souffrent le martyr dans nos hôpitaux et meurent du manque de soins. C’est aussi le cultivateur béninois qui se lève tous les matins à 5 heures, parcoure parfois une dizaine de kilomètres pour se retrouver dans son champ de maïs, de mil, d’arachide, de coton, et rentre tard et bien éreinté. Eux n’attendent rien de l’Etat et ne comptent que sur leur force de travail ou leur effort personnel pour s’en sortir. C’est eux qui sont persécutés devant leurs étalages d’essence frelatée. Quid de ces millions de Béninois anonymes brimés par la Sbee, la Soneb, les forces de l’ordre, incapables de se faire entendre et qui ruminent dans le silence leurs amertumes. Eux aussi sont de la race des « opprimés » de la République. C’est la République des faibles sur lesquels l’Etat met la pression pour ponctionner l’essentiel de ses ressources.

La deuxième République est celle des « privilégiés ». C’est la minorité qui écrase la majorité du pays. C’est le Bénin des hommes d’en haut. Du Chef de l’Etat, des ministres, des députés, des Dg de sociétés, des hauts cadres, des hommes d’affaires et des politicards qui vivent de prébendes gouvernementales. Ce sont les « intouchables » de la République. Eux, ils sont au dessus de tout : des institutions, des lois et des autres Béninois.  Ministres, ils dirigent toujours leurs sociétés par des hommes-liges et prennent des marchés de l’Etat. Députés, ils perçoivent encore des primes  à la Marina et se font aussi attribuer des marchés pour leurs sociétés. Ce sont les opérateurs économiques qui bénéficient des faveurs de l’Etat, des marchés juteux.  Ce sont des hommes politiques qui s’accaparent indûment des biens et des domaines de l’Etat, des prévaricateurs qui se cachent sous l’immunité parlementaire à l’Assemblée Nationale. Le délit d’initié, le favoritisme sont leurs sports favoris. C’est parmi eux qu’on trouve ceux qui doivent à l’Etat et aux banques, ceux qui prennent l’argent de l’Etat sans jamais exécuter le travail. Parmi eux se trouvent les plus grands prévaricateurs de la République, qui amassent des milliards et vont se mettre à l’abri dans des pays limitrophes. Et quand il leur arrive de rendre compte, ce n’est jamais avec la rigueur exigée. Quand ils sont arrêtés, ils passent peu de temps derrière les barreaux, paient des cautions et sont libres de leurs mouvements quelques jours après. C’est cette République des « privilégiés » qui dirigent le Bénin depuis 1960, dont les enfants et les parents peuvent se taper les emplois les plus confortables du pays, par un simple coup de fil ou un message écrit derrière une carte de visite. Les jérémiades des travailleurs et des masses populaires n’ont pu, hélas, changer la donne. Encore moins les efforts du gouvernement Yayi pour aider les plus démunis à travers des mesures sociales comme les subventions pour l’enseignement primaire, les soins de santé aux enfants de moins de cinq ans, la césarienne…  Il ne s’agit pas ici d’un antagonisme politicien entre « Béninois du Bénin profond » et ceux d’ici, entre « Nordistes » et « Sudistes ». Il s’agit d’une République inégalitaire que favorisent nos pratiques politiques séculaires et notre culture du raccourci.  Cette République d’injustice qui, hélas, empoisonne notre démocratie et hypothèque le développement du Bénin.

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