La lutte contre la pauvreté peine à donner des résultats probants alors même que les moyens y consacrés restent importants.
Dans une toute récente réflexion nous avons suggéré que le Programme des Nations Unies pour le Développement qui accompagne le gouvernement pour ce faire donne une nouvelle dimension à son action contre la pauvreté dans notre pays en accordant une assistance , sous une forme qui reste à déterminer, à une politique d’Etat de création d’entreprises, meilleure manière, dans notre entendement, de générer la croissance économique et de réduire discursivement la pauvreté. Il s’agira alors, pour l’institution, d’une nouvelle orientation de ses activités qui devrait être étudiée au niveau du plan cadre des Nations Unies pour l’assistance au développement (Undaf) où s’élaborent ses politiques d’intervention, avec la participation de ses partenaires stratégiques et du gouvernement.
Dans la présente réflexion nous faisons état de ce que nous estimons être les insuffisances de la stratégie suivie jusqu’alors. Une lutte efficace contre la pauvreté ne saurait être la seule affaire des ministères directement concernés, du Programme des Nations Unies pour le Développement et de ses partenaires. La lutte contre un fléau aussi social que la pauvreté requiert des prémisses sociologiques déterminantes autrement elle ne sera pas participative et son efficacité en souffrira conséquemment.
Une stratégie non participative
A voir les choses de près, l’on n’a pas le sentiment que les personnes les plus démunies participent effectivement à la lutte contre l’état de pauvreté menée en leur faveur. Cette lutte donne plutôt l’impression d’être conçue et conduite par un triptyque : Gouvernement-Pnud-Partenaires stratégiques, qui cherche à apporter des solutions pour venir à bout d’une situation dont les affectés eux-mêmes ne prennent pas toute la mesure ; ils ne se considèrent pas comme acteurs mais plutôt comme bénéficiaires. Ils ne nous paraissent pas, lorsque l’on s’entretient avec eux, animés du sentiment d’être au cœur d’une stratégie d’action. Le cas du très efficace réseau Caritas parait une exception dans le système. Et des ingénieurs agronomes, responsables de projet avec qui nous avons eu à discuter du sujet nous ont confié qu’il leur est arrivé d’être confrontés à la résistance des villageois, pour diverses raisons bien des fois saugrenues, au cours de la phase d’implantation de projets de développement. Qu’ils émanent du gouvernement, du Pnud ou des organisations non gouvernementales, la lutte contre la pauvreté ne peut se concevoir sans l’implication en amont de ceux qui sont sensés en bénéficier. Les bénéficiaires manquent par ailleurs de repères normatifs ; ils n’ont pas une conscience claire du fait qu’ils ont un retard à rattraper sur le bien-être du citoyen moyen. Bref, la sensibilisation initiale fait défaut à bien d’égards. Dans ces conditions la lutte contre la pauvreté ne peut être participative et nous estimons qu’aucune stratégie visant à juguler un phénomène d’envergure aussi nationale que la pauvreté ne peut atteindre les buts escomptés avec de tels handicaps préliminaires
Défaut de sensibilisation des bénéficiaires
Techniquement il n’est pas possible de réduire la pauvreté lorsque le taux de croissance démographique est supérieur à celui de la croissance économique ; et cela devrait faire l’objet d’une sensibilisation fondamentale si l’on veut enrayer méthodiquement la pauvreté. L’on pourrait objecter avec raison qu’en ce moment même, les médias télévisés, avec l’appui de l’Us-Aid, diffusent des spots publicitaires sur le planning familial. Nous répliquerions de même manière que la campagne publicitaire en question ne sensibilise absolument pas la population au lien de cause à effet qui existe entre l’augmentation de la population et la persistance de la pauvreté. Elle ne lui fait pas comprendre la corrélation directe qu’il y a entre les deux paramètres. Elle ne lui fait pas admettre que lorsque l’on fait beaucoup d’enfants, la pauvreté ne peut reculer ni dans le ménage ni au niveau national. La politique de planning familial souffre du manque de cette dimension. Elle est plutôt présentée, sans plus, comme un palliatif aux grossesses non désirées ; elle ne met pas en exergue son impact sur la réduction de la pauvreté. La Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté (Scrp) devrait en tenir compte ; les actions publicitaires aussi. En réalité et en bomme stratégie, pensons-nous, une politique nataliste conséquente devrait être conçue et diffusée pour accompagner la lutte contre la pauvreté. La République populaire de Chine a résolu le problème de façon très autoritaire il est vrai, en imposant la règle «un couple un enfant» avec menace de pénalisation en cas de non respect de la mesure. Mais ce n’est point pour que nous en arrivions là que nous avons évoqué la manière chinoise ; c’était tout juste pour faire valoir la nécessité d’établir définitivement dans les esprits la relation de cause à effet qui lie la croissance économique à la croissance démographique. Si non ce sera, et il l’est déjà du reste, un autre handicap à la lutte contre la pauvreté.
Afin que ceux pour qui le triptyque lutte se sentent vraiment impliqués, il conviendrait de leur faire toucher du doigt les éléments qui déterminent leur pauvreté et les en convaincre non pas en adoptant d’emblée la seule approche monétaire mais en prenant également en considération celle de la dignité de la personne humaine qui se matérialise par son bien-être personnel. Il est vrai que lorsque l’on est pauvre, la préoccupation première c’est de chercher à manger à sa faim ; gagner de l’argent pour pouvoir acheter à manger. Et voilà qui justifie l’approche monétaire. Mais pour que la lutte contre la pauvreté soit efficace et perdurable, elle devrait tenir compte également de l’approche non monétaire qu’est la dignité de la personne humaine. La référence à la dignité est le point de repère personnel du pauvre. Généralement ce dernier ne court pas après le superfétatoire ; il aspire seulement à vivre décemment avec les commodités classiques qui lui permettent de ne pas rougir de sa personne pour raison d’insuffisance du minimum. En définitive les deux approches devraient être menées de front, la non monétaire confortant et perpétuant la monétaire d’autant plus qu’en termes de pauvreté elles tendent à se rapprocher l’une de l’autre : les dernières données statistiques disponibles indiquent que la pauvreté monétaire implique 37,4% tandis que celle non monétaire atteint 40,2% de la population. La stratégie utilisée jusqu’alors parait orientée essentiellement sur une approche monétaire. L’approche non monétaire est pourtant un élément important dans la psychologie des ruraux : le pauvre est sensible à tout ce qui concourt à sa dignité personnelle ; pauvre mais digne il veut être et les sociologues devraient savoir comment introduire en bonne place l’élément dignité dans la stratégie de lutte contre la pauvreté.
Défaut de sensibilisation de masse
Pour être efficace, toute lutte à caractère social nécessite de quelque manière une adhésion de masse, la mobilisation de toute la population par devoir de solidarité nationale et le sentiment de responsabilité collective qui devrait en découler. La pauvreté dans notre pays étant un phénomène de masse, la lutte contre elle ne peut être concluante si l’ensemble de la population n’y est sensibilisée, ne s’y intéresse, ni ne la soutient ; ce devrait être une croisade. Une croisade du même style que nous avons suggéré contre la légendaire méchanceté béninoise à la faveur de l’analyse de la tentative d’empoisonnement présumé du Chef de l’Etat. Conscience devrait être donnée à l’ensemble de la population qu’il y a pauvreté dans les rangs de la grande majorité des citoyens. Les plus fortunés devraient admettre que des concitoyens ont faim autour d’eux et - il n’est pas malséant de le dire - que c’est, en grande partie, sur la pauvreté de ces gens-là qu’ils bâtissent leur fortune. Les plus fortunés devraient admettre que des enfants, aussi innocents que les leurs, s’en vont au lit la faim au ventre au grand désespoir et à la grande humiliation de leurs géniteurs. Sauf insuffisance d’information toujours possible de notre part, les programmes de lutte contre la pauvreté ne prévoient spécifiquement aucune sensibilisation impliquant l’ensemble de la population alors qu’elle nous parait déterminante. Peut-être pourrait-on avoir raison de cet autre handicap en instaurant une journée nationale de lutte contre la pauvreté.
Une journée nationale de lutte contre la pauvreté
Nous avons institué et nous respectons bon nombre de journées tant nationales qu’internationales mais, chose vraiment curieuse, nous négligeons l’essentiel qui nous concerne: la lutte contre la pauvreté alors même qu’elle est l’axe de notre politique de développement. Ce paramètre sociologique important manque également à la stratégie de lutte que mènent le gouvernement et le Programme des Nations Unies pour le Développement. Afin de remédier à cet état de chose, ce que nous suggérons est tout simple : l’instauration d’une journée nationale de lutte contre la pauvreté, non pas pour nous divertir ni danser comme cela nous prend en plus que maintes occasions mais une journée qui nous fasse vraiment réfléchir sur la pauvreté ; qui fasse prendre conscience du phénomène à l’ensemble des citoyens. Une journée qui soit l’occasion de sensibiliser l’ensemble de la population sur le phénomène notamment par des conférences, des projections de films documentaires, des spots publicitaires, des références aux généreux préceptes que prônent toutes les religions sur le sujet tels la charité et le partage ; l’occasion d’organiser des actions de bienfaisance en faveur des plus démunis aux fins, non pas de leur donner des espèces mais de créer pour eux et avec leur participation, à l’échelle de communautés bien définies, des structures de production ou de leur fournir des outils et autres moyens matériels, tous susceptibles de leur permettre d’entreprendre des activités génératrices de revenus ; l’occasion d’éveiller une conscience de responsabilité collective. Bref, l’opportunité de populariser une lutte qui a besoin d’un second souffle. Chacun de nous devrait acquérir la pleine conscience que la lutte contre la pauvreté est la sienne et qu’il a une partition à jouer dans le concert. Une conscience collective sur le sujet devrait naitre à tout prix ; elle nous parait même être la condition sine qua non pour gagner la bataille que nous livrons contre la pauvreté.
Et c’est dans cette optique que nous proposons la création d’une structure du bien-être qui servira de support à cette journée nationale et qui réunira toutes les instances impliquées dans ce noble objectif de réduction de la pauvreté notamment : les ministères ‘’partenaires d’exécution’’ du Pnud, le Président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le Directeur du Centre National Hospitalier et Universitaire ; les représentants de toutes les organisations nationales non gouvernementales ; du Corps de la paix et aussi des organisations privées telles le Rotary Club et le Lion’s Club. Ce sera un forum, un espace thématique où l’on pourra discuter et échanger des points de vue sur l’amélioration du bien-être du béninois. Ce sera au demeurant la bonne opportunité pour chaque instance de présenter les actions qu’elle a entreprises en faveur du bien-être du béninois et aussi d’exposer ses projets en ce sens ; la bonne occasion aussi pour le gouvernement d’insuffler, d’orienter, de coordonner et même de contrôler les actions de toutes ces instances sur l’ensemble du territoire afin d’éviter les dérives, le cas échéant. Pour lui donner quelque aspect officiel nous suggérons d’appeler telle structure le Conseil national du bien-être. Au demeurant elle pourrait être présidée, faute de mieux par le Haut Commissaire à la Solidarité. L’occasion faisant le larron, nous la saisissons pour attirer l’attention sur le fait qu’aucun département ministériel n’a en charge la lutte contre la pauvreté et l’amélioration du bien-être des gens dont la solidarité est du reste le maillon fort, alors que c’est le pivot autour duquel tourne toute notre politique de développement. Nous proposions déjà dans notre ouvrage ‘’Questions directes ou le manifeste social’’ que cette fonction soit rattachée au Ministère de la Santé car c’est lui qui est en grande partie responsable du bien-être social. Trêve de digression qui devrait avoir tout de même son utilité, nous suggérons à présent que le Conseil national du bien-être se réunisse une fois l’an à date fixe qui serait précisément consacrée journée de la lutte contre la pauvreté. Peut-être conviendrait-il que la primature introduise une communication en Conseil des Ministres en ce sens. Le but visé, c’est l’engouement de la population entière pour ce défi qu’est la réduction de la pauvreté ; c’est la prise de conscience de l’interdépendance de toutes les couches sociales de la Nation ; c’est l’esprit de croisade contre ce fléau. Que chacun d’entre nous prenne conscience du fait qu’il se doit d’y apporter sa contribution et qu’il y va de son intérêt; que chacun de nous réalise que nous sommes tous interdépendants dans l’ordre et par la force des choses ; Que tout un chacun se sente concerné et agisse en conséquence à sa manière ! En définitive il nous parait évident que l’élément participatif, l’élément psychologique par une approche non monétaire de la cause défendue et le facteur adhésion de masse sont les paramètres déterminants dans l’aboutissement heureux d’une lutte aussi titanesque que celle que nous livrons à la pauvreté. Gageons qu’elle changera de visage, qu’elle se régénéra et qu’elle se portera beaucoup mieux avec l’adhésion de la Nation entière. Ce n’est donc pas une journée de divertissement ni une journée sans lendemain que nous proposons ; ce n’est pas une journée pour danser, répétons-le ; ce n’est pas une journée de plus. Nous aimons à penser que le PNUD aidera à en en financer le coût compte tenu de son utilité et de son impact. Puissent les Autorités politiques et les medias en pérenniser l’esprit ! Il y va de leur responsabilité citoyenne et républicaine.
Par Candide Ahouansou
Ambassadeur Président de l’Ong Groupe d’Actions pour une Meilleure Qualité de Vie (Gamqv)