Liberté d’expression et d’information : le Bénin sur une pente glissante!

« La presse privée béninoise est l’une des plus dynamiques en Afrique. Elle est à l’image de la démocratie du pays. Mais si on n’y prend garde, la réglementation de facto ou de jure de la police, de la justice et de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication risque de l’étouffer ».

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S’exprimait ainsi Charles MOUMOUNI, Professeur au département d’information et de communication de l’Université Laval (Québec) dans « Les Cahiers du journalisme n o 9 – Automne 2001»

Plus loin, il ajoute que : «Si la presse privée béninoise récolte parfois les honneurs du gouvernement, elle n’est pas pour autant à l’abri des velléités dictatoriales des représentants des pouvoirs publics. Les actes de bâillonnement de la presse s’accumulent au fil des mois et des événements»

Regards sur le passé…

Si en 2001, notre compatriote s’inquiétait des dérives liées aux comportements des autorités politiques vis-à-vis de la liberté d’opinion et d’expression, l’actualité au niveau de notre pays ces temps derniers nous oblige à attirer l’attention des uns et des autres sur la chute grave qu’on observe au niveau du respect de ce principe fondamental des systèmes démocratiques.

En dehors des procès initiés par le pouvoir en place pour cause de diffamation, d’offenses au Chef de l’Etat et à ses collaborateurs et les demandes de suspension d’émissions formulées par le Président de la République et traitées par la Haac, l’Institution, dont la mission première est de «veiller au respect des libertés, notamment la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse», s’emploie aussi à suspendre des émissions et des journaux.

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Rien que pour l’actuelle mandature de cette institution, on peut noter une volonté manifeste de jouer un rôle de «police» de la presse. Ce faisant, le Bénin dégringole dans les classements internationaux sans que les acteurs (organe de régulation, organisations professionnelles de la presse…) n’y prennent conscience pour initier des réflexions sur la question.

…Un joug policier pèse sur la presse

Pour certains, c’est le bégaiement de l’histoire, car dans un passé récent, notre pays a été caractérisé par la confiscation policière et militaire des libertés publiques et la “caporalisation des médias”. Pendant 18 ans, la presse béninoise a été l’otage d’une idéologie révolutionnaire marxiste-léniniste. Au cours de cette période, on notait la circulation unidirectionnelle de l’information, réduite à ce qu’on peut appeler « la propagande ».

Cette situation qu’on pensait s’arrêter  à la suite de la conférence nationale semble refaire surface. Aujourd’hui, on vit une autre forme de propagande.  On ne vient que pour dire ce qui va faire plaisir au Chef. Il est même qualifié de « demi dieu, de sauveur, de l’homme sans qui le pays serait dans l’impasse, l’envoyé de Dieu quelques fois plus rapide que Dieu en réactivité …».

Quelle autorité pour quelle régulation?

Les autorités morales qui dans le respect de leur charges étaient soigneusement dans leur temple, sont  régulièrement sorties par les « hommes politiques »  pour  s’excuser auprès du Président de la République du comportement « blâmable » de leurs fils. Nos valeurs qui jadis faisaient la fierté de notre nation, sont foulées aux pieds, on retrouve nos rois (gardiens de notre tradition) en pleine crise d’humeur sur nos chaines de télévision à cause de ce que vous savez !

Même si cette situation de propagande  a été un peu plus modérée dans la période révolutionnaire, aujourd’hui on assiste à d’autres formes d’expression dans ce sens, qui, à longueur de journée, est le quotidien de nos organes publics.

Quelques précisions sur la liberté d’expression et le droit à l’information

Pour nous, la liberté d’expression et le droit à l’information  sont d’origine divine et il est inconcevable de pouvoir en limiter l’usage par des mesures de représailles. Un verrouillage de l’information favorise et développe l’intolérance, l’exclusion, le culte de la personnalité et la culture du secret.

Doit-on encore rappeler que la Conférence nationale de 1990 est déjà venue briser ce carcan pour instaurer le pluralisme démocratique et libérer la presse ?

N’est-ce pas pour protéger cette presse que la Constitution du 11 décembre 1990 en ses articles 24, 142 et 143 a créée  la HAAC.

Devrons-nous rappeler que  l’une des décisions majeures prises par la Conférence Nationale des forces vives, est la mise en place par un Etat africain d’un organe autonome de régulation des médias ?

Le Bénin a d’ailleurs été suivi sur ce point par d’autres pays africains tels que le Niger, le Ghana, le Togo, le Mali,…

La Haac pour mettre de l’ordre…

La création de la HAAC est une initiative louable, certes, mais il convient de s’interroger sur le rôle de cette institution qui pourrait se retrouver à la limite de la réglementation étatique pure et dure de la presse. Si l’on n’y prend garde, la HAAC pourrait devenir un instrument de bâillonnement des médias privés. Car comme l’a dit l’autre,  les institutions ne valent que ce que valent les hommes et les femmes qui les dirigent.

N’est-ce pas ce que dénonçait notre compatriote dans son cahier « Les Cahiers du journalisme » n o 9 – Automne 2001  lorsqu’il écrivait que : « L’article 142 de la Constitution investit la HAAC, composée de neuf membres, de la mission « de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse, ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la loi » et de veiller « au respect de la déontologie en matière d’information et à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication ». Trois membres de cette institution sont désignés par les associations professionnelles des médias, trois autres membres par le bureau de l’Assemblée Nationale et les trois membres restants par le Président de la République. Ce dernier a, en outre, le privilège constitutionnel de nommer le président de la HAAC.  Il semble alors inquiétant de confier à une institution aussi fortement étatisée et politisée, fût-elle qualifiée d’autonome ou d’indépendante, la responsabilité constitutionnelle d’assurer le respect de la déontologie en matière d’information, y compris la déontologie professionnelle au sein des organes privés de presse.  Renforçant les attributions de la HAAC, la loi organique n° 92-021 du 21 août 1992 sur la HAAC, adoptée en vertu de l’article 143 de la Constitution du 11 décembre 1990, permet à la HAAC de prendre toute initiative et d’organiser toute action de nature à accroître le respect de la déontologie et de l’éthique ainsi que la conscience professionnelle.

La “juridiction” de la HAAC est si large qu’elle couvre aussi bien la presse audiovisuelle que la presse écrite, aussi bien la presse étatique que la presse privée. Si les attributions de la HAAC ont été définies en fonction de celles de ses homologues occidentaux, l’emprunt a été mal fait. Il faut noter qu’en France, aux États-Unis et au Canada, le domaine de compétence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), de la Fédéral Communications Commission (FCC) et du Conseil de la radiotélévision du Canada (CRTC) se réduit à l’audiovisuel et aux télécommunications. La presse écrite, de surcroît privée, ne relève de la réglementation d’aucun de ces organes. Il est à craindre que la HAAC ne gruge chaque jour le champ de compétence des journalistes et des associations professionnelles en matière d’éthique et de déontologie dans la presse écrite privée. Avec un peu de zèle, la HAAC pourrait en effet facilement glisser de son rôle d’organe de régulation de la presse audiovisuelle vers celui de police de la presse en général ».

…Ou pour semer le désordre?

Sommes-nous déjà dans ce glissement de police de la presse?

La réponse à cette question nous invite à analyser les indicateurs qui réglementent la question au niveau internationale.  En la matière, c’est le classement mondial de l’Organisation Internationale « Reporters sans frontières » qui nous interpelle. Fondée en 1985 à Montpellier (France), l’association reconnue d’utilité publique depuis 1995, est l’une des seules à présenter chaque année un classement qui nous permet de mesurer l’exercice de la liberté d’expression et d’information, qui reste la première des libertés dans le monde.

En effet,  comment lutter contre l’injustice, le massacre des civils, le fléau des enfants soldats, la mauvaise gouvernance, la corruption, et défendre les droits des femmes si l’on ne saurait exercer librement son pouvoir constitutionnel qui est le droit de s’exprimer librement ?

Comment préserver notre environnement si les journalistes ne sont pas libres de rapporter les faits, de dénoncer des abus et d’interpeller la conscience générale ?

Et c’est le Bénin qui régresse

Traditionnel bon élève de l’Afrique de l’Ouest, pionnier du multipartisme et modèle de démocratie moderne dans la région, le Bénin fait cependant face à certaines dérives en matière d’exercice de la liberté d’expression et d’information.

Sinon comment comprendre la chute que nous observons depuis un certain temps dans ce classement Reporters sans frontières.

91ème sur 179 Etats classés derrière le Niger (29ème), le Ghana (41ème), le Burkina Faso (69ème) et le Togo (79ème) dans le classement mondial de la liberté d’expression et d’information 2011-2012  (Reporters sans frontières), le Bénin notre pays a maintenu sa chute.

Tenez, en 2006, le Bénin occupait comme l’Allemagne la 23ème position sur le plan mondial devant la France (35ème), le Togo 66ème. Il était 1er sur le continent africain suivi de la Namibie (2ème) et l’Ile Maurice (3ème). Dans le classement 2010, le Bénin est passé 70ème après le Togo (60ème), le Burkina Faso (49ème). Ailleurs, cette chute devrait interpeller les différentes autorités de notre pays, notamment les membres de la HAAC. Mais sur le terrain rien n’est fait. Pendant que nous ne prenons pas des mesures pour arrêter cette saignée, l’exemple de la Finlande nous interpelle. Toujours premier au plan international dans ce classement (RSF), la Finlande a perdu cette première place en 2007 et 2008. La prise de conscience de ce pays et les mesures prises lui ont permis de reprendre sa première place en 2010, 2011 et 2012. Au Bénin, c’est le contraire qu’on observe. Un maintien malheureux de notre chute sans aucune action concrète des institutions constitutionnelles de notre pays pour remonter le cap.

Et pourtant c’est au Bénin que lorsque le classement « Doing business » nous indique notre position à la queue, l’on a mis en place une commission pour surveiller cet indicateur. N’est-ce pas cette mission assurée par le couple Nasser YAYI et Aurel HOUNGBEDJI du Secrétariat Permanent du Conseil Présidentiel de I’Investissement (SP-CPI) qui a arrêté la tendance baissière observée jusque-là dans ce classement Banque Mondiale ?

Pourquoi au niveau du classement relatif à l’exercice de la liberté d’expression et d’information de  Reporters sans frontières, rien n’a été fait pour améliorer notre classement ?

Que fait la HAAC pour l’amélioration de cette triste position du Bénin ?

Il ne faut pas banaliser ce classement. C’est un signe de la vitalité de la démocratie, basée sur la liberté d’expression et d’information. Les organisations professionnelles de la presse (Patronat, Syndicats, Odem…) doivent prendre ce problème au sérieux et éviter de faire de la HAAC, une institution de censure et de répression aux mains des politiques.

La Haac doit jouer son «bon rôle» : Sauvegarder la liberté de presse

N’est-il pas prévu à l’article 4 de la loi N° 92-021 du 21 août 1992 que « La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication est une institution indépendante de tout pouvoir politique, de tout parti politique, association ou groupe de pression de quelque nature que ce soit ».

La liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques, qui repose sur la liberté d’opinion, la liberté mentale et d’expression. C’est pourquoi dans l’article 11 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on peut lire que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

En tout cas, si rien n’est fait pour arrêter cette chute ne soyons pas surpris d’être classé sur la liste des « prédateurs de liberté de la presse », que Reporters Sans Frontières (RSF)  met au point chaque année. Faut il le rappeler que dans le dernier classement, nous notons la présence du feu Meles Zenawi, Premier ministre éthiopien, et du  président iranien Mahmoud Ahmadinejad.

Faisons attention dans nos décisions et actions  afin qu’une autorité de notre pays ou une institution constitutionnelle du pays ne soit pas retenue dans ce triste tableau mondial des « prédateurs de la liberté de la presse ».

Notre Démocratie qui est déjà en difficulté pour cause de « déstructuration constitutionnelle »  pourrait s’assombrir. Œuvrons donc tous pour sauver ce qui reste encore de notre démocratie mais qui est soumise à rudes épreuves : la liberté d’expression et d’information bafouées.

Par Serge PRINCE AGBODJAN
Juriste

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