Elections décanales à l’université : recours en inconstitutionnalité de Joël Aivo contre le ministre de l’enseignement supérieur

Nous avons reçu du professeur Joël Aïvo le texte ci-dessous objet de son recours en inconstitutionnalité contre l’arrête pris par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Arrêté qui soulève des vagues dans le milieu universitaire (lire notre article p7).

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Dans cet avertissement en guise d’avant propos attaché au texte du recours, il donne des précisions sur ses motivations.

« Je vous envoie pour publication mon recours en inconstitutionnalité contre l’arrêté du Ministre de l’Enseignement supérieur qui règlemente les élections des Doyens, Directeurs, Vice-Doyens et Directeurs-adjoints des Facultés et Ecoles des Universités Nationales du Bénin.

 Je signale que je ne suis pas candidat, ni au poste de Doyen, ni à celui de Vice-doyen de la Faculté de Droit. C’est mon collègue Joseph DJOGBENOU, candidat au poste de Doyen qui fait les frais de la manipulation des textes. D’autres Doyens, notamment à la FSS et à Parakou succombent également à la manipulation.

 Ce recours est donc motivé par le refus de la manipulation des règles de droit à des fins de règlement de comptes, de favoritisme et d’exclusion. Quand on ne combat pas l’injustice quand les autres en sont victimes, elle finit par vous frapper vous-même un jour. »

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A Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers
Cour Constitutionnelle
Cotonou

Cotonou, le 17 décembre 2012

OBJET : Recours contre l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique portant règlementation de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche des universités nationales en République du Bénin.

Monsieur le Président,

Je voudrais très respectueusement déférer devant la Haute Juridiction, pour contrôle de constitutionnalité, l’article 20 de l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique portant règlementation de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche des universités nationales en République du Bénin.

En effet, dans le cadre de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints, plusieurs textes ont été pris par les autorités de l’enseignement supérieur. A l’analyse, leur compatibilité avec la constitution du 11 décembre 1990 reste problématique. Et l’application qui en a été faite conforte le sentiment que cet Arrêté ministériel dans ses modalités, restreint la liberté garantie par notre loi fondamentale aux citoyens béninois, notamment en matière électorale et porte atteinte à l’idéal de « l’Etat de droit et de démocratie pluraliste » auquel notre peuple a solennellement affirmé son attachement dans le préambule de notre constitution.

Deux points méritent d’être relevés : Le premier point de ma requête porte sur la violation de la sécurité juridique que doit garantir tout système juridique aux citoyens et la violation des droits acquis. Le second point révèle une contrariété entre l’article 20 de l’Arrêté ministériel n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 et plusieurs dispositions de notre bloc de constitutionnalité.

Concernant le premier point, le 12 novembre 2012, par Arrêté n°039-12/UAC/SG/SA, le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, sur le fondement de l’Arrêté ministériel n°2009-023/MESRS/CAB/DC/SGM/DRH/SP-C du 10 novembre 2009 a fixé le calendrier du déroulement de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche de l’Université d’Abomey-Calavi. L’on considère dès lors que le jeu électoral est ouvert et sera régi en toute logique par les textes en vigueur au moment de la fixation du calendrier électoral. En l’occurrence, il s’agit des Arrêtés ministériel n°2009-023/MESRS/CAB/DC/SGM/DRH/SP-C du 10 novembre 2009 et rectoral n°039-12/UAC/SG/SA du 12 novembre 2012.

Seulement, sans que l’Arrêté du Recteur du 12 novembre 2012 ne soit régulièrement rapporté par l’autorité compétente, et alors que le jeu électoral a été régulièrement ouvert, les règles électorales seront quelques jours plus tard profondément et drastiquement modifiées. La première modification a été apportée par l’Arrêté ministériel du 19 novembre 2012 portant réglementation de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche des universités nationales en République du Bénin et la seconde par l’Arrêté ministériel du 20 novembre 2012 portant calendrier du déroulement de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche des universités nationales en République du Bénin.

Monsieur le Président, Messieurs et Mesdames les conseillers, la prise de ces deux Arrêtés par le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique, les 19 et 20 novembre 2012, surtout après l’Arrêté du Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, le 12 novembre 2012 porte clairement atteinte aux droits acquis par les candidats et les électeurs sur la base des textes préalablement en vigueur et sur le fondement duquel le Recteur a ouvert le jeu électoral. Par ailleurs, cette nouvelle réglementation, alors que le jeu est officiellement ouvert laisse croire à une volonté de manipulation des règles électorales en faveur de certains candidats et contre d’autres. La preuve est qu’après la signature de l’Arrêté ministériel du 19 novembre, certains Doyens en fonction, candidats à leur propre succession et déjà en campagne, en application de l’arrêté du 10 novembre 2009, ne peuvent plus l’être. L’article 15 du nouvel Arrêté prescrit qu’un Doyen ou Directeur ayant déjà fait deux mandats au poste de vice-Doyen ou de Directeur-adjoint ne peut exercer qu’un seul mandat de Doyen ou de Directeur, alors que l’Arrêté du 10 novembre 2009 ne posait aucune restriction en la matière.

Dans ces conditions, la règle de droit perd son caractère impersonnel et général et semble être désormais taillée à la mesure de certains et en conséquence dirigée pour exclure d’autres de la course aux responsabilités. Toujours dans cet ordre d’idées, il me plait d’attirer votre attention sur le fait que si l’on devrait même faire abstraction de cette irrégularité et se référer aux dispositions de l’arrêté du 19 novembre 2012 contesté, l’installation de la commission de supervision des élections n’a pas été faite dans le respect strict du délai de trente-cinq (35) jours imparti par votre Arrêté.

Sur cette première observation, fondée sur la violation des droits acquis, mais aussi sur l’insécurité juridique en raison des textes multiples, je sollicite qu’il plaise à la Haute juridiction de déclarer l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 contraire à la Constitution.

Le second point de ma requête révèle une violation directe de la Constitution. Il s’agit de l’incompatibilité de l’article 20 de l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 d’une part, avec le préambule et les articles 15 et 23 de notre Constitution, et d’autre part, avec les articles 11 et 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

En effet, en instituant le scrutin de liste pour ces élections, l’article 20 de l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 a, en premier lieu, rendu plus sévères les conditions de jouissance de la liberté garantie par les articles 15 et 23 de la Constitution aux citoyens béninois. En second lieu, l’Arrêté a mis le processus électoral en cours dans nos universités en marge de l’idéal « d’Etat de droit et de démocratie pluraliste » auquel notre peuple a solennellement affirmé son attachement dans le préambule de notre Constitution. En troisième lieu, en réglementant plus sévèrement que l’Arrêté de 2009, l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 a méconnu l’obligation déjà opposable au législateur, de produire des règles de droit en renforçant les droits fondamentaux et non en restreignant les conditions de leur jouissance, bref, en régressant.

Monsieur le Président, Messieurs et Mesdames les conseillers, en matière électorale la liberté se dédouble d’une part, en liberté de la candidature et d’autre part, en liberté de vote. Outre les conditions d’éligibilité ordinairement requises pour se porter candidat à une élection, ou pour en être électeur, la jouissance d’une telle liberté, c’est-à-dire celle de se porter candidat à une charge élective est d’abord et avant tout individuelle. Elle ne peut être collective. Et tout mécanisme visant à conditionner la candidature d’un citoyen à un poste à celle d’un autre citoyen à un autre poste, différent du premier, porte sans aucun doute atteinte à la liberté garantie par les articles 15 et 23 de la Constitution du 11 décembre 1990, mais aussi et surtout aux articles 11 et 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981.

Monsieur le Président, Messieurs et Mesdames les conseillers, je voudrais faire remarquer, contrairement à l’analyse répandue, que le scrutin de liste institué par l’Arrêté du 19 novembre 2012 n’est pas comparable à ceux en cours dans notre pays pour d’autres élections, notamment législatives ou communales. Celui qui résulte de cet Arrêté et qui s’applique aux élections des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche des universités nationales en République du Bénin, est particulier. Il complexifie l’élection et aggrave par deux éléments, les conditions de jouissance de la liberté de candidature propre aux régimes démocratiques et garantie dans notre droit positif à tous les Béninois. Les deux éléments qui rendent le scrutin de liste institué par l’Arrêté du 19 novembre 2012 incompatible avec l’organisation d’élections libres et pluralistes sont les suivants : Il s’agit premièrement du critère de grades universitaires, absent de toutes les élections nationales et locales et deuxièmement des partis politiques qui sont destinataires de ce mode de scrutin.

Concernant le premier critère, je voudrais signaler que le scrutin de liste de l’arrêté du 19 novembre 2012 intervient dans un cadre où il est requis, en plus des critères individuels, ceux exigeant la qualification préalable des candidats aux grades de Professeur Titulaire, de Maître de Conférences, de Maître-assistant. Or, concernant les élections nationales et locales pour lesquelles le scrutin de liste s’applique déjà dans notre pays, il n’est requis aucune autre qualification en dehors des critères ordinairement exigés. En conséquence, les citoyens remplissant ces critères relevant du droit commun des élections peuvent parfaitement se mettre ensemble sur une liste. Ceux-ci n’auront donc pas besoin de trier sur le volet, comme c’est actuellement le cas des enseignants avant de trouver les candidats désireux de se présenter.

Le second élément de différenciation des deux scrutins de liste est que celui en vigueur pour les élections politiques, s’applique aux partis politiques. Les partis politiques sont une association politique, composée des citoyens regroupés librement par affinités idéologiques, politiques ou morales. Sa vocation naturelle est de s’organiser pour conquérir et gérer le pouvoir politique. Pour ce faire, l’on comprend qu’ils puissent disposer des ressources humaines nécessaires à la constitution de listes aux élections politiques. Tel n’est pas la vocation d’un Enseignant et il semble donc inapproprié de le contraindre au regroupement et pire encore d’en faire un élément de validité de l’expression de sa liberté de candidature.

On voit bien que l’actuel système restreint la jouissance individuelle de la liberté, la rend collective en tant qu’il conditionne la candidature d’un enseignant au poste de Doyen à la volonté d’un autre d’être candidat au poste de vice-Doyen alors même que les deux postes ne sont ni uniques ni identiques.

La conséquence d’un tel mode de scrutin, banal ailleurs, mais aggravé dans nos Facultés et Ecoles, sont les suivantes :

– Un Doyen ou Directeur actuellement en fonction n’a pu se représenter faute de n’avoir trouvé aucun enseignant désireux d’être candidat au poste de vice-Doyen ou de Directeur-adjoint ;

– Un Professeur Titulaire, désireux d’être Doyen ou Directeur et remplissant toutes les conditions de grade, d’ancienneté et de rattachement administratif dans son entité, ne pourra cependant pas l’être si aucun autre enseignant, Maître de conférences ou Maître-assistant, ne souhaite être vice-Doyen ou Directeur-adjoint. Dans le même temps, deux Maîtres de conférences ou deux Maîtres-assistants pourront être candidats, l’un au poste de Doyen ou Directeur et l’autre au poste de vice-Doyen ou Directeur-adjoint, et se faire élire.

Et pourtant, les postes de Doyen ou de Directeur ne sont pas les mêmes que ceux de vice-Doyen et de Directeur-adjoint. Dans le même sens, les charges qui incombent au Doyen et au Directeur ne sont pas du tout les mêmes que celles qu’exercent le vice-Doyen et le Directeur-adjoint. Et pourquoi, un enseignant candidat au poste de Doyen ou de Directeur devrait-il être obligé de trouver un autre candidat au poste de vice-Doyen ou de Directeur-adjoint pour valider sa propre candidature ? Autrement dit, pourquoi un enseignant remplissant toutes les conditions individuelles requises pour le poste de Doyen ou de Directeur devrait-il renoncer à se porter candidat ou voir son dossier déclaré irrecevable parce qu’un autre enseignant n’a pas voulu être candidat au poste de vice-Doyen ou de Directeur-adjoint ? La décision de se porter candidat à un poste est fondamentalement individuelle. La candidature procède d’un acte de volonté individuelle qui elle-même est la manifestation de la liberté que notre constitution garantit à chacun et particulièrement à tous ceux qui remplissent les conditions d’éligibilité à un poste de responsabilité. Elle ne peut être collective et le refus des uns de se porter candidat à un poste, par ailleurs différent, ne peut pas avoir de conséquence sur la volonté des autres de servir leur entité.

Au total, Monsieur le Président, Messieurs et Mesdames les Conseillers, si la volonté des uns doit avoir une incidence drastique sur celle des autres, si la volonté des uns de se porter candidat à un poste B doit déterminer voire conditionner, la volonté des autres de se porter candidat à un poste A, plus précisément, si le refus d’une personne de se porter candidat au poste de vice-Doyen ou de Directeur-adjoint doit restreindre voire compromettre la jouissance par les autres de leur liberté de candidature pour se porter candidat au poste de Doyen ou de Directeur, je voudrais très respectueusement inviter la haute juridiction à constater que l’article 20 de l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 est contraire à la constitution.

Je voudrais également par la même occasion, inviter la Haute Juridiction à constater que, suivant une jurisprudence constante, l’on ne peut encadrer juridiquement la même matière en produisant des normes juridiques successives ou alternatives restreignant les droits humains, les libertés fondamentales et la démocratie. Or, il apparait clairement que l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 n’améliore pas la qualité de l’élection. Au lieu d’aménager le statut des candidats et des électeurs dans le sens du renforcement de leurs droits et libertés, au lieu de travailler à rapprocher ces élections de l’idéal « d’Etat de droit et de démocratie pluraliste » voulu par le constituant béninois, l’Arrêté ministériel du 19 novembre 2012 a quasiment conduit à des élections sans choix, quasi-monolithiques, non pas par faute de candidats, mais bien parce que les dispositions de cet Arrêté font barrage au pluralisme et la candidature d’enseignant remplissant pourtant toutes les conditions individuelles de candidature.

Il est de tradition, en contentieux constitutionnel, que le législateur ne puisse légiférer, en modifiant son œuvre, sur la même matière qu’en avançant notamment sur les droits humains, les libertés fondamentales et la démocratie. La liberté de légiférer, reconnu au législateur en démocratie est ainsi conditionnée par l’obligation de bien légiférer, c’est-à-dire l’obligation de légiférer en avançant, mais jamais en régressant sur les droits fondamentaux. Or il apparait très nettement que l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 qui est pris par le même Ministre en remplacement de l’Arrêté n°2009-023/MESRS/CAB/DC/SGM/DRH/SP-C du 10 novembre 2009, impose des conditions plus drastiques et compromet la liberté de candidature et le pluralisme du scrutin. De ce point de vue, l’Arrêté ministériel du 19 novembre 2012 doit être considéré comme une régression par rapport à l’Arrêté ministériel de 2009 dont les dispositions sont plus libérales et plus favorables au pluralisme et à la diversité des offres de service propre à toute élection démocratique.

Je voudrais, en conséquence, inviter la Haute juridiction à constater et dire que, dans les mêmes conditions que le législateur, le pouvoir réglementaire ne peut se soustraire dans son œuvre à l’obligation de bien règlementer, c’est-à-dire d’exercer le pouvoir réglementaire, qu’en avançant dans la garantie des droits humains, des libertés fondamentales et de la démocratie pluraliste, mais jamais en régressant.

Au regard de ce tout ce qui précède, je voudrais requérir de la Haute Juridiction de déclarer contraire à la Constitution, l’Arrêté n°2012-624/MESRS/DC/SGM/DRFM/DRH/R-UAC/R-UP/SA du 19 novembre 2012 du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique portant règlementation de l’élection des Doyens, Directeurs, vice-Doyens et Directeurs-adjoints des établissements de formation et de recherche des universités nationales en République du Bénin.

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