Interview de Joel Aïvo : «On n’est pas obligé de réviser notre Constitution…»

Agrégé des facultés de droit, Joel Aïvo fait partie des fines fleurs de la Faculté de droit et de sciences politiques de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac).

Publicité

Mais aussi l’un des rares universitaires béninois, qui, remonté contre le mode de gouvernance actuel du pays, ont refusé de garder leur langue dans leur poche. ce professeur de droit public, président de l’Association béninoise de droit constitutionnel et ancien directeur de cabinet d’Adrien Houngbédji, Président du Parti du renouveau démocratique (Prd) qu’il a quitté contre toute attente en 2011, refuse d’être complice de «la conspiration du silence». Et il dit les choses telles qu’elles sont et telles qu’il les voit. Sans ambages. Tout comme son collègue, le professeur Joseph Djogbénou. Il y a quelques mois, en octobre dernier, il a publié un «brulot» contre le système actuel, un texte intitulé «Qui gouverne le Bénin?». Ce mois de janvier, toujours à propos du Bénin, il se décharge une fois encore à travers son verbe. Cette fois, il l’a fait dans une interview qu’il a accordée à nos confrères du mensuel « Le Label». Le langage n’a pas changé. Si contrairement à certains acteurs politiques, il affirme que «le Bénin n’est pas  en crise politique», il reconnait par contre que «la crise de gouvernance et morale» est une réalité.  S’il déplore «la relation incestueuse entre le politique et l’économique», il est plus dur avec le culte de la personnalité du Président de la République qui s’érige en norme. Et « invite avec respect le président Boni Yayi à y renoncer». Le Citoyen qu’il est, avoue «sa satisfaction et sa fierté» que le Président Yayi «ait conduit un mandat exemplaire à la tête de l’Union Africaine», mais veut que ce mandat «finisse très vite pour qu’il (Boni Yayi) vienne se consacrer aux affaires internes.»  Le professeur Aïvo est l’un des membres de la commission Gnonlonfoun qui a siégé l’an dernier pour faire des propositions au Gouvernement sur la révision de la Constitution. Un sujet toujours d’actualité après l’échec de la tentative jugée «exclusionniste» de l’an  dernier. A ce propos, le constitutionnaliste est clair : la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 ne doit pas être  «d’urgence». Elle doit être «consensuelle» et de «consolidation». Et revoilà le professeur Joël Aivo! (Léonce Gamaï)

Par Dorice Djeton

Le Label : Professeur Frédéric Joël Aïvo, partenaires techniques et financiers, hommes d’affaires, avocats, religieux et hommes politiques sont mécontents de la manière dont le Bénin est actuellement dirigé. En quels termes se posent les problèmes de gouvernance en ce moment au Bénin?

Je fais partie de ceux qui restent très exigeants sur la qualité de notre gouvernance. J’ai un regard très aigu sur notre participation individuelle et collective aux tâches de développement de notre pays. Je suis encore plus exigeant, plus critique, je dirai même intraitable voire impitoyable avec ceux et celles que nous avons élus pour trouver des solutions aux problèmes qui se posent à notre société. Et je trouve que les pouvoirs publics ne font que le service minimum alors qu’ils pourraient être plus entreprenants. Il ne s’agit pas d’être irréprochables, d’être des gouvernants sans défauts, mais nous attendons que les dirigeants politiques tentent tout, qu’ils sollicitent toutes les formules, qu’ils abattent toutes leurs cartes et qu’ils fassent preuve d’audace, de créativité on pourrait même dire de fermeté et d’autorité pour changer la société et nous faire prendre les plis favorables au progrès.

Publicité

Et face à ce tableau qui n’est pas complètement vide tout de même, mais qui n’est pas ce qu’il aurait dû être dans tous les domaines, les partenaires techniques et financiers de notre pays ont raison d’avoir des réserves sur la pertinence des options que le gouvernement a faites ces dernières années. Les partenaires de notre pays sont un baromètre crédible d’appréciation de l’état de notre pays. Mais il y en a un autre qui est encore plus crédible, c’est le sentiment des Béninois. L’opinion publique béninoise est un thermomètre qui renseigne efficacement sur la justesse de l’action du gouvernement. Et là, l’insatisfaction est générale. Non pas que le gouvernement ne fait rien ou que le Président Yayi n’a rien fait de bon. Personne ne peut nier que depuis sept (7) ans, voire dix ans, il y a eu des efforts et des résultats. Quiconque dirait le contraire ne sera ni crédible ni sérieux.

Mais j’observe à titre personnel que sur plusieurs plans, le Président de la République était en situation de faire mieux et de faire réaliser à notre pays des bonds significatifs et qualitatifs. A vrai dire, on n’a pas régressé. Pour faire gentil, je dirai qu’on stagne. Mais le fond de ma pensée rejoint ce que soutiennent tous les économistes, les planificateurs du développement, bref tous les hommes pragmatiques et de bons sens de notre pays. Je pense que nous devrions aller plus loin, nous pourrions aller plus vite avec des résultats plus probants. Ce qui nous manque c’est l’audace, la créativité, la cohérence de nos choix économiques et parfois la vision. Mais quand je dis « nous », il est évident que sont directement en cause, nos gouvernants qui s’illustrent dans un laxisme inacceptable, un laisser-aller troublant et un déni de gouvernance qui tranche avec le niveau de responsabilité et d’engagement que l’on voit ailleurs. Par la façon d’agir de nos gouvernants, j’ai fini par comprendre pourquoi il est si facile d’être Ministre ou Maire et pourquoi n’importe qui se retrouve aux plus hautes charges de l’Etat. Parce qu’en réalité, on peut ne rien faire en étant à ces postes. Juste présider des réunions, ouvrir des séminaires, recevoir des vœux du personnel à la Télé, signer ces parapheurs. Juste administrer son ministère, mais sans innovation, sans action majeure, je n’ose même plus parler d’impact social ou de réformes, c’est un gros mot, une arlésienne, tout le monde en parle, mais personne ne l’initie, ne la conduit.

J’ai compris que vous n’êtes pas jugé à ces postes par rapport à vos idées, vous n’êtes pas obligés d’en avoir, par rapport à votre action, vous pourriez ne pas en avoir. Vous vous débrouillez quoi. Sinon comment comprendre qu’on paie autant pour un ministère qui ne distribue que des bassines, des houes et râteaux à des groupements de femmes, des enveloppes après des drames ou la naissance de triplés ? comment comprendre que l’on paie encore depuis 2006 le budget de fonctionnement d’un ministère chargé de la réforme administrative et institutionnelle et qui n’a conduit aucune vraie réforme de l’administration, pire toutes les autres réformes institutionnelles ont été initiées en dehors de lui et conduites sans lui ?

Je n’ignore pas les contraintes auxquelles un chef d’Etat peut être confronté. Ce que l’on appelle en science politique, les pesanteurs du pouvoir. J’ai également en conscience les difficultés de l’action politique et l’impopularité qu’une action courageuse couterait à son auteur. Mais ce n’est pas parce qu’une œuvre est complexe et difficile qu’on renonce à l’attaquer. C’est pourquoi je considère que ce dernier mandat du Président Yayi aurait dû être un mandat courageux, audacieux, créatif. Mais, je le regrette, il a très vite perdu le souffle réformateur qu’il semblait avoir et l’ambition de la grandeur qu’il nourrissait dans les discours pour notre pays. Hélas. Je suis un des nombreux malheureux de la mort prématurée de cette belle idée de transformation de notre pays par la réforme totale. Comme certains amis, je nous voyais bien pionnier de la salubrité dont les pays africains ont besoin et pionnier de la renaissance de notre pays.

 

La tension est souvent vive entre les hommes d’affaires et le gouvernement. Qu’est-ce qui les oppose fondamentalement?

Il y a cette tension parce que certains hommes d’affaires béninois, les plus importants, n’ont jamais respecté la ligne rouge qu’il y a entre les affaires et la politique. Lorsqu’il y a une forme de compromission, une relation incestueuse entre l’économie et la politique, généralement, les affaires finissent dans les conditions que nous connaissons, que nous déplorons aujourd’hui, qui ne sont pas bonnes, ni pour les opérateurs économiques, ni pour l’économie nationale. Le jour où les acteurs politiques béninois laisseront les hommes d’affaires travailler normalement et que les chefs d’entreprise béninois garderont la bonne distance requise à l’égard de la politique, je pense que les deux milieux fonctionneront en symbiose, efficacement sans se compromettre.

Le malaise que l’on observe depuis quelques mois est la facture d’une longue période de relation inappropriée voire immorale entre les milieux d’affaires et les officines politiques. Le plus grave chez nous, c’est que ces relations alors qu’elles sont proscrites en démocratie et même sévèrement sanctionnées par la justice ailleurs, ces relations disais-je sont ouvertement entretenues, assumées par tous les acteurs. L’on peut ainsi entendre un homme d’affaire qui bénéficie d’importants marchés publics, souvent à l’excès, défendre publiquement qu’il finance tel homme politique, tel parti politique, tel ministre, parfois la campagne présidentielle de telle personnalité, pire, qu’il aide à l’achat de députés nécessaire à l’adoption du budget général de l’Etat ou de telle loi.

Ces propos et ces relations nous sont devenus familiers. Ils ne soulèvent la réprobation d’aucune obédience religieuse, ne suscitent la curiosité d’aucun juge, d’aucune inspection générale, ni des finances, ni de l’Etat encore moins d’une autorité de régulation. Et pourtant sont gravement en cause la sincérité et la transparence de tous ces marchés et contrats publics passés avec ces hommes d’affaires et dont on peut raisonnablement penser qu’ils sont destinés à compenser les services rendus. Ces actes graves mais banalisés par notre silence collectif et l’inaction des corps de contrôle vident notre démocratie de sa substance et la font passer pour une démocratie trompe l’œil ou un attrape-nigaud.

C’est justement l’addition de toute cette immoralité politique et économique que nous payons par l’éclatement de crises de personnes, des règlements de comptes, des désirs de vengeance, mais qui affectent la crédibilité de l’Etat et la bonne santé de l’économie nationale.

 

Lorsqu’on fait le tour des réformes en cours, réformes qui d’ailleurs ont montré leurs limites, en l’occurrence le Programme de vérification des importations (PVI), le guichet unique des formalités de création d’entreprise, la filière coton, on a le sentiment que la mal gouvernance affecte les bases structurelles de l’économie nationale. Quelles conséquences la situation actuelle peut-elle avoir sur l’économie béninoise d’ici à 5 ou 10 ans?

Je ne suis pas un économiste encore moins un spécialiste de la prospective. Je ne peux que parler des conséquences immédiates. C’est l’absence de résultat. Nous sommes dans une compétition régionale. Mais nous l’ignorons. Les économies africaines se battent pour se positionner. Et le Bénin ne peut plus se permettre de continuer à dormir sur son laurier de laboratoire de la démocratie quand un pays comme le Togo, qui a connu des années de crises successives retrouve peu à peu sa crédibilité, se repositionne et organise son envol. Le Bénin ne peut plus se permettre de ne pas agir efficacement lorsqu’un pays comme la Côte d’Ivoire, malgré la guerre civile et les conflits politiques, retrouve la croissance économique, quand le Rwanda, malgré le génocide sert de laboratoire de la bonne gouvernance et de modèle d’efficacité de l’Etat en Afrique, quand le Nigéria malgré le poids des menaces intérieures génère aussi de la croissance. Le Bénin ne peut pas se permettre de stagner alors les autres ont pris conscience de l’impératif du Progrès, y travaillent et obtiennent des résultats sous nos yeux. Je ne suis pas un économiste, mais j’ai toujours dit à mes étudiants que j’ai un bon sens économique. Pour avoir la croissance économique et espérer donner du travail à sa jeunesse, il faut tout de même préparer l’environnement favorable à la croissance. Cet environnement n’est pas qu’économique, il est aussi politique, social et culturel.

Qu’est-ce que ça veut dire? Que même les décisions purement politiques que nous prenons ont une vertu économique. Que si le Bénin n’est plus crédible au plan démocratique ou l’est de moins en moins, aucun investisseur étranger ne voudra mettre son argent ici. Si  le Bénin n’est plus une démocratie électorale crédible, pour faire simple, si l’organisation des élections, en l’occurrence les élections communales et locales, devient aléatoire, hypothétique, il est clair que l’attrait de notre pays pour les investisseurs baisse.

Dans le même sens, je suis persuadé que toutes ces photos du Chef de l’Etat qui poussent et fleurissent aux carrefours de nos grandes villes n’est pas compatible avec le modèle démocratique que nous avons construit au prix de sacrifice et d’efforts continus depuis 1990. 22 ans de démocratie devrait nous permettre d’asseoir des institutions fortes et non pas un homme fort. L’initiative de mettre le Chef de l’Etat partout dans la ville est une mauvaise décision. Je ne sais pas d’où elle vient cette décision et qui l’a prise, mais je sais que cette décision nuit au Chef de l’Etat lui-même, à l’image de notre pays et à la qualité de sa démocratie. Pour vous en convaincre, je rappelle que ce n’est que dans des régimes de dictature, où le pouvoir est confisqué par un homme, et personnalisé que l’on voit ce genre de pratique. Ça a pu se faire par exemple au Zaïre sous Mobutu, sous Gnassingbé père, ou encore sous Bokassa. Mais aujourd’hui les temps ont changé. Qui en douterait encore ? Et même les pays que nous sommes censés surclasser au plan démocratique ne le font même pas. Faure Gnassingbé, Joseph Kabila ou encore Paul Biya ne le font pas dans leurs pays. Et pourquoi le Bénin devrait-il le faire ? Les photos du Président Yayi à tous les carrefours, c’est une mauvaise décision. Cette pratique est rétrograde et fait passer le Bénin pour un pays à l’image de l’Ouzbékistan, de la Gambie et aucun investisseur ne veut mettre ses ressources dans un pays qui donne l’impression d’appartenir à son Président, de le glorifier et d’être sous son poids.

Je veux dire simplement que même une décision apparemment banale pour ceux qui renouvellent les photos du Président Yayi tous les week-ends à chaque coin de rue, est lourde de conséquence au plan économique. Elle est évidemment contre-indiquée pour l’image de notre démocratie mais surtout pour l’attractivité de notre pays aux yeux des agents économiques internationaux. J’invite avec respect le Président de la République à y renoncer. Elle ne lui apporte rien, au contraire, déforme son image et le faire passer pour quelqu’un qui pratique le culte de la personnalité que ni Nicéphore Soglo, ni Mathieu Kérékou n’a osé faire et qui en plus abîme l’image de notre pays.  Il en est de même de l’affaire de l’empoisonnement présumé du Chef de l’Etat. Sans préjuger du fond, cette affaire a également contribué à dégrader l’image du Bénin considéré jusque-là comme un pays modeste mais sobre et sérieux. Mais le sentiment d’intrigue, de complot et de vendetta qui se dégage de cette affaire nous renvoie à une période révolue. Il y a comme une envie de retour en arrière chez certains de nos responsables. Une forme de nostalgie des pratiques du passé qui n’ont pourtant rien donné, ni la démocratie, ni le développement. On ne peut s’empêcher d’y penser quand on met bout à bout certains actes de nos gouvernants. Et ce sentiment est davantage amplifié par l’acharnement du Gouvernement contre tous les programmes de télévision faisant de la place à la diversité de vues et d’analyses sur l’action du Gouvernement. La critique est dans l’essence même de la démocratie et nul ne peut comprendre ni admettre que sous le couvert de l’ordre public, de l’unité nationale et de la paix, le Ministre de l’Intérieur pourfende la liberté de la presse, enjoigne la Haac de suspendre des émissions critiques et menace à mots couverts, de représailles les chaines de télévision. Alors que le Bénin se targue d’être un modèle de démocratie, le résultat d’une telle traque contre le pluralisme dans les médias, est qu’aujourd’hui, l’on assiste à la réduction progressive des espaces de liberté et de débat sur la politique du Gouvernement.

Je ne reviens pas sur les réformes que vous avez-vous-même évoquées. Les conséquences au plan économique, de toutes ces réformes mal conçues et mal conduites, de ces décisions parfois brusques mais aussi des nombreuses indécisions du gouvernement, c’est la stagnation du niveau de croissance de notre pays, une érosion des ressources budgétaires. Au plan politique, l’incidence peut conduire à la diminution de l’aide étrangère en matière budgétaire. Les conséquences, c’est l’incapacité pour l’Etat de disposer de plus de ressources, de faire face aux charges sociales, à la préoccupation de l’emploi, aux impératifs de santé, de l’éducation. Le Pvi n’a pas réussi, les autres reformes au port et dans le coton non plus, parce qu’elles ont été montées avec beaucoup de légèreté, en ignorant au passage quelques règles élémentaires de droit ou de gestion. Mais il a surtout manqué à ces belles idées le professionnalisme des cadres qui au lieu de rester des technocrates qu’ils sont, s’illustrent honteusement dans un militantisme politique et un « griotisme » à l’égard du Président qui sans doute ne leur a rien demandé. Sinon, qu’est-ce qu’un Dg du Port cherche en politique ? Et le Dg de la Sonapra, vous pensez que sa place est dans les meetings politiques à Kandi et à Karimama, il en est de même du Dg de la Sobemap ou de celui de la Caisse Autonome d’Amortissement ? Ce dernier doit être un technocrate et les autres sont des chefs d’entreprises qui doivent faire du chiffre. Pourquoi sont-ils obligés de faire du zèle politique au lieu de gérer avec les règles de l’entreprise les sociétés qu’on leur a confiées ? Vous imaginez le risque qu’on ferait prendre aux citoyens si l’Etat devrait encore contrôler des banques et gérer l’épargne publique et le financement de l’économie ? On aurait des Dg de banque qui sortiraient de leurs rôles de Manager pour s’investir en politique. Voilà comment nous avons perdu la Bcb et la Bbd.

Malheureusement, la manifestation de l’échec de ces reformes conduit l’Etat à la remise en cause de certains principes. Par exemple, je ne partage pas la façon dont tout le gouvernement s’en est remis finalement au coton. On a bien vu que le seul coton a mobilisé tous les ministres, le Cabinet du Chef de l’Etat, les Secrétaires Généraux du Gouvernement et de la Présidence, presque toutes les structures de l’Etat, les préfectures. Je ne perds pas de vue que cette mobilisation, tous travaux cessants, de l’Etat pour la campagne cotonnière traduit l’importance stratégique de la filière dans notre économie, mais il faut l’avouer, c’est aussi l’expression éclatante du niveau de désorganisation auquel l’Etat se retrouve encore. Plus de cinquante (50) ans après l’indépendance et vingt-deux (22) ans après la conférence nationale, nous donnons encore l’impression de ne pas avoir d’administration, avec des pratiques, des règles de gestion et des modalités bien rodées. Et pourtant, nous n’avons connu ni guerre civile, ni crises politiques majeure ni remise en cause de notre processus. Je veux dire que nous avons eu le temps en 22 ans de construire une administration crédible.

Par ailleurs, et parlant des conséquences, si nous devenons un pays où l’Etat n’a plus de parole, où elle change au gré des évènements, l’investisseur doit craindre que l’Etat change d’avis à tout moment, qu’il y ait un risque d’insécurité dans les affaires si l’Etat lui-même doit recourir aux armes pour régler ses différends avec les opérateurs économiques. C’est tout cela que nous devons travailler pour attirer les investisseurs, relancer notre industrie, les services et retrouver la croissance.

 

Pour améliorer le climat des affaires, les Ptf puis les participants à la dernière table ronde sur la relance de l’économie nationale, celle d’octobre 2012, invitent le gouvernement à voter des lois sur le partenariat public-privé et la concurrence. Qu’est-ce qu’il faut véritablement faire, selon vous, pour ramener la confiance dans le monde des affaires?

C’est l’attitude et la parole de l’Etat qui faut stabiliser, pour tout dire, qu’il faut crédibiliser. Quand le Gouvernement prend des engagements avec les investisseurs qu’ils soient des nationaux ou des étrangers, il faut qu’il les respecte. Pour cela, il faut au préalable que les décisions du Gouvernement soient vraiment travaillées, pesées et sous-pesées par les meilleurs spécialistes que compte notre administration et au-delà.

Dès lors, ceux qui sont déjà au Bénin feront des affaires et d’autres seront sécurisés, sauront qu’ils sont en face d’un Gouvernement responsable qui tient parole. Il faut mettre les investisseurs en confiance. Je n’ai pas les statistiques, mais le Benin ne bénéficie plus d’investissements nouveaux depuis un certain temps. On sait que l’entreprise Bénin ne crée plus de nouveaux emplois, je veux parler des emplois viables et sécurisés, non pas de tous ces emplois aidés que l’Etat crée depuis environ 18 ans. Comment pouvez-vous créer des emplois nouveaux sans nouvel investissement ? Sans la confiance de ceux qui entreprennent ? Le pire, c’est même que les emplois qui sont créés au Bénin depuis un certain moment sont de plus en plus détruits. Et malheureusement, ce sont plusieurs centaines d’emplois viables et crédibles, je n’ose pas dire des milliers, qui font les frais de toutes ces crises ouvertes entre le Gouvernement et certains chefs d’entreprise. Je ne suis pas économiste, mais je sais qu’un pays qui n’a pas de croissance ne peut pas créer d’emplois. Un pays, qui génère de la croissance, enregistre de nouvelles entreprises qui à leurs tour créent des emplois. Et plus vous avez d’investissements, donc d’entreprises, plus vous créez d’emplois viables pour les citoyens et plus le pouvoir d’achat est fort et mieux la consommation s’en porte. Ainsi va l’économie. Il faut que le Gouvernement retrouve cette logique économique, ce cercle vertueux qui conduit à l’emploi.

 

Le dialogue politique semble aussi en panne : oppositions de la classe politique sur la révision de la constitution et de la Liste électorale permanente informatisée. Qu’est-ce qui bloque le dialogue politique?

En observateur de la vie politique du Bénin, j’en ai même été acteur il y a un moment, je note que depuis l’arrivée du Président Yayi, une partie des acteurs politiques dit et proclame que le Bénin est politiquement en crise. Depuis 2006, si le Bénin était vraiment en crise on l’aurait su. Une partie de la classe politique et les médias aussi disent qu’il y a une rupture du dialogue politique, qu’il y a une tension politique. Mais, moi je note qu’il n’y a pas de tension politique. C’est une posture politique que de continuer à marteler que le Bénin est en crise. Non, le Bénin n’est pas en crise politique. S’il y en a une, elle est évidemment d’ordre moral ou une crise de gouvernance. Dans ces deux dimensions, la crise est principalement imputable à l’élite politique du Bénin qui n’est pas à la hauteur des enjeux de développement. Que chacun joue son rôle, que la majorité gouverne et que l’opposition s’oppose sans surenchère mais surtout, et c’est le plus important, sans jamais oublier de proposer une alternative et de se préparer à conquérir le pouvoir.

La vie politique normale recommande qu’il y ait des divergences de vue et d’action entre la majorité et l’opposition, et que les acteurs politiques ne puissent pas regarder forcément dans le même sens sur tous les sujets. Evidemment, il y a des sujets sur lesquels il est souhaitable que l’ensemble de la classe politique ait un comportement unanime, presque du sursaut patriotique. L’idéal dans un pays c’est que les citoyens et les acteurs politiques ne pensent pas la même chose, que nous n’ayons pas la même perception, la même vision, la même façon de régler les problèmes du pays. C’est pour cela qu’il y a des élections pour que les citoyens tranchent entre les différents hommes politiques.

En conséquence, Je ne vois pas le dialogue politique en panne. C’est seulement que sur un grand dossier, il y a un peu plus de bruit. Dans cette divergence, les acteurs politiques doivent arriver quand même à trancher. Pour cela, il y a un mécanisme très simple : c’est que la majorité impose sa vision. Parfois, il est souhaitable, pour les commodités démocratiques, de dépasser la mécanique de la majorité absolue. Que les acteurs politiques essaient de perdre quelque chose pour gagner quelque chose d’autre. Mon sentiment est que nous n’avons pas pu puiser profondément dans les ressources du pays pour mieux le gouverner, pour faire tout ce qui était capable d’être fait avec le Président Yayi. Nous avons perdu du temps sur des questions pourtant essentielles sur lesquelles on aurait pu gagner en résultat.

 

Quelles conséquences le retard de la révision de la constitution va avoir sur la gouvernance du pays au cours des prochaines années?

On n’est pas obligé de réviser notre constitution si on n’en fait pas le choix, et le Bénin n’a pas une constitution qui, si elle n’est pas révisée, conduirait le pays vers une crise politique majeure. Notre constitution a montré sa solidité et qu’elle peut tenir, même sans révision pendant 22 ans. Si nous décidons de la réviser, ce serait pour l’améliorer et c’est l’option qui est faite actuellement par le Chef de l’Etat. Cette révision ne doit pas être une révision d’urgence mais une révision de consolidation. Et si elle s’impose à nous, si nous en jugeons de la nécessité, la révision de notre constitution doit être consensuelle ou elle ne sera pas.

 

Dans quelques mois, le pays devra organiser des élections communales et locales. Quelles conséquences le retard de la révision de la Liste électorale permanente informatisée (LEPI) va avoir sur l’organisation de ces élections?

A l’opposée de la constitution, la correction de la Lépi est nécessaire et souhaitable. Nous avons besoin de disposer d’un outil fiable pour les élections qui s’annoncent.  Ce sont des élections à la base et les frustrations seront très grandes si les électeurs et les candidats ne peuvent pas se dire qu’ils ont exprimé leur vote et que leur voix a été décomptée et qu’elle va même permettre d’opérer un choix et d’avoir une incidence sur la gestion de leur localité.

Cette révision-là, celle de la liste électorale est urgente. Il est même souhaitable qu’elle soit aussi consensuelle, car il s’agit d’un instrument très important pour la crédibilité de notre démocratie et la stabilité de notre pays. La liste électorale est aujourd’hui devenue un baromètre d’appréciation d’une démocratie de qualité. Chacun devra mettre dans ce débat et dans cette opération, toute son énergie et tout l’amour qu’il a pour notre pays.

 

Quelles sont vos espérances en matière de gouvernance au Bénin?

Si je dois avoir une espérance, elle passe par le fait qu’il faut que le Président de la République finisse très vite son mandat à la tête de l’Union Africaine et qu’il vienne se consacrer aux affaires intérieures. Ce n’est pas encore l’heure du bilan, mais le citoyen que je suis doit avouer sa satisfaction et sa fierté que le Président Yayi ait conduit un mandat exemplaire à la tête de l’Union Africaine. Bref il a honoré le Bénin. Pour une première à la tête de l’Union, le Bénin a apporté son énergie à l’Afrique.

A ce poste, le Chef de l’Etat s’est convenablement bien illustré et a laissé une image positive du Bénin. On l’a vu partout porter la voix de l’Afrique, la représenter partout où elle devrait être : au G8, au G20, dans les fora internationaux où l’Afrique devrait être présente.  Ce que le Président Yayi n’a pas pu faire pendant ce mandat, c’est ce que le poste ne permet pas à son titulaire de faire. Mais tout ce qui était possible a été fait. Je veux dire, ce qu’il a fait, c’est ce qu’il est humainement possible de faire. Donc, je pense que le Bénin peut être fier d’avoir assumé cette présidence en exercice de l’Union Africaine avec beaucoup de conviction, d’engagement et d’éclat.

Malheureusement, le contrecoup que les Béninois ont supporté, c’est que pendant ce temps, nous avons eu un Chef d’Etat absent, plus préoccupé par les problèmes africains que par les affaires intérieures. Et Dieu seul sait s’il y en avait. Il m’arrive très souvent, malgré la visibilité que ce mandat africain a apportée à notre pays à travers son Chef d’Etat, de souhaiter qu’il finisse très vite ce mandat. Que Boni Yayi reprenne le flambeau pour s’occuper de notre pays. Parce que le sentiment que j’ai, c’est que lorsque le Chef de l’Etat est emporté par les affaires africaines, la maison est sans doute gardée, mais elle n’est pas gouvernée. Beaucoup de problèmes restent sans solution, parfois sans être traités. Lorsque Boni Yayi rentre et retrouve ses fonctions, il les traite mais leur réserve une gouvernance d’urgence et des réponses dictées par l’urgence. Or, une gouvernance d’urgence, pour parer au plus pressé, pour éteindre un feu, dissimuler un mal plus profond ou encore sauver ce qui peut l’être, n’a permis nulle part de régler de façon structurelle les problèmes structurels qui sont les nôtres. Donc, si je dois avoir une espérance, cette espérance passe à court terme par le fait qu’il faut que le Président Yayi passe vite le témoin à un autre de ses homologues africains. Son renouvellement même pour six (6) mois encore à la tête de l’Union serait d’un préjudice irréparable pour la marche de notre pays vers le développement. Qu’il nous revienne donc vite, et on verra le reste après.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité