Le cri d’alarme de Me Joseph Djogbenou : Endiguer le declin de notre pays et oser agir

Une année s’en est allée, avec son cortège de difficultés, de douleurs, voire, de malheurs. L’année 2012 a éculé la démocratie béninoise, ruiné son économie, recalé la protection des droits individuels. Elle a entamé le solde d’une élection mal organisée et des frustrations peu contenues.

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Mais alors qu’une nouvelle année est entamée, est-il possible d’oser des vœux heureux, glorieux ?Entre la « prospérité » qui décline, chez certains, en « postérité », et la « santé de fer » qui laisse croire à d’autres à l’ « excuse de ne pas faire », il est bien possible de tenter des vœux avisés… Deux vœux paraissent évidents à formuler : l’endiguement du déclin et l’audace de l’action.

  1. 1. L’endiguement du déclin.2012 a vu « immerger » un Bénin au fond des classes. De toutes les classes. a)D’abord le fond de la classe économique.Les organismes spécialisés avaient déjà noté que notre pays était la deuxième des dix pires économies africaines de l’année 2011 qui, avec un taux de croissance économique de 2,5% en 2010 et, en dépit d’une légère hausse envisagée à 3% en 2011 a gardé, en 2012, « la lanterne rouge » des économies des Etats membres de l’UEMOA. Pouvait-il en être autrement ? les éléments de langage renseignent sur le déclin et la chute abyssaux : Ils furent, non pas conclusion, formation, ou exécution de contrats mais suspension, dénonciation et rupture de conventions ;ils furent aussi, non pas stimulation des investissements privés, mais risques de ces investissements privés. Des contrats économiques intéressant le port, la douane et l’aéroport furent systématiquement interrompus dans leur exécution. Des engagements de la même nature furent tout aussi systématiquement inhumés. Le coton, en dépit de la propagande idéologique, peine à recouvrer sa blancheur. Autant qu’ailleurs il se cultive dans les champs et se discutent dans les entreprises et les places boursières, autant, 2012 a révélé qu’au Bénin, il se cultive à la Présidence de la République et les chiffres y afférents ne sont que fantaisistes. 2012 fut le cimetière de l’économie béninoise. Ce déclin économique n’a d’équivalent que celui subi par le Bénin à la fin des années 80. Faut-il en craindre les mêmes suites ? L’urgence demeure dans l’encerclement ou, plus prosaïquement, l’enserrement de cette chute économique.Mais le contexte rend ce défi encore plus difficile. Il est celui des relations incestueuses entre l’économie et la politique et la prééminence du pouvoir politique sur le pouvoir économique. Il est également celui de la personnification de tous les pouvoirs. On aura toutefois relevé ce défi en évitant de toucher plus au fond.  2013 devra sonner pour celui qui incarne ce pouvoir personnifié le temps nécessaire de l’écoute de la faim provoquée, du travail privé, du silence imposé. Quand on a touché le fond, l’espérance est plus grande de pouvoir remonter. Si au moins, les scandales financiers pourraient être réduits, si la distribution du produit de l’enfantement de l’effort pouvait être équitablement assurée, si devant les ressources économiques les citoyens pouvaient, tous, être considérés comme ayant les mêmes droits, 2013 sonnera le glas de la remontée.
  2. 2. b)Ensuite le fond de la classe démocratique. Le recul, à cet égard, est encore plus remarquable en 2012. Elle a consacré l’exclusion de toutes les « différences » de l’espace publique. La résistance appréciée de certains organes de la presse est finalement vaincue. Les journalistes professionnels disparaissent progressivement au profit des porteurs ou trafiquants d’informations arrangées et fabriquées. La profession a laissé la place au commerce et à la propagande. L’organe de régulation a choisi, dans ces conditions, de devenir un organe d’interdiction. La presse, redressée, est désormais sous tutelle et sous consigne. La justice est l’autre pouvoir dont 2012 a fait passer au « correctionnel » politique.Qu’il s’agisse de la justice constitutionnelle que judiciaire, avec l’inflation des procès et des condamnations à des peines privatives de liberté individuelle. Les procès politiques se sont multipliés. Pascal Todjinou fut hébergé par la prison civile de Cotonou. Et Lionel AGBO est programmé pour s’y retrouver. On a bien vu et compris qu’à cette fin, tout est mis en œuvre. Soulève-t-on une exception d’inconstitutionnalité ? la Cour rend ses décisions en quelques jours ; et le juge tient audience d’heure à heure : référé constitutionnel et référé correctionnel suffisent à satisfaire la volonté du prince prétendument offensé. Au fond, la sollicitation de la justice pour des fins de règlement ou de « redressement » politique, amorcé depuis quelques années, s’est accentué en 2012 et il est à craindre que la tendance ne s’inverse point en 2013. Des hommes et des femmes publics, membres de partis politiques, des syndicats et autres organisations de la société civile seront davantage conduits à l’échafaud judiciaire. Et, en partie essentielle, les serviteurs du régime qui seraient entrés en disgrâce ou qui revendiqueraient une quelconque liberté seront davantage exposés. Le nombre s’accroitra autant que la fin du mandat politique profilera. Il est à espérer que les acteurs de l’Institution judiciaire se souviendront, que de tradition et de culture, la justice fut, avec les clergés, la forteresse de la liberté et de la dignité. Pendant les temps d’épreuve, ces deux piliers de notre société sont attendus. Et ce n’est pas vain d’espérer qu’ils seront entendus.
  3. 3. L’audace de l’action. Il faudra, en 2013, rompre avec la résignation et l’indifférence. a)Certes, il s’agit de l’action citoyenne revitalisée. En dépit de ses faiblesses et de la dispersion des énergies en son sein, notre pays a encore à bénéficier, mieux que par le passé, de la présence agissante des acteurs non étatiques et, en particulier, de celle d’une société civile courageuse, crédible, puissante et indépendante. La dispersion constatée au cours de l’année 2012 consécutive à la diversion politique qui a ébranlé tout le mouvement citoyen à partir de 2010 n’a pu l’anéantir. Il est possible de reconstituer, au chevet de l’épuisement ou, pour certains, du découragement, les ressources vivifiantes nécessaires à la relance de l’action citoyenne. b) Mais encore, l’action politique déterminée. La situation générale dans les Etats en construction et la situation particulière du Bénin démontrent à suffire que l’Etat se construit en l’absence d’institutions solides, dans une totale improvisation, sans organisation ni structuration. Le pouvoir se mue en vouloir d’un homme, seul au sein d’un groupe passif, dont les vues deviennent le droit, les désirs un programme, les sentimentsune foi. L’action politique, habité par le lucre, n’est plus positive et les élites, tantôt s’en distancent, tantôt désespèrent si elles ne se transforment pas en acteurs ou en instruments de réalisation corruptive d’ambitions individuelles. Or, le temps semble arrivé pour les élites africaines et, en particulier, béninoises de se réconcilier avec elles-mêmes et avec le peuple. Celles et ceux qui prétendent détenir une part de la lumière positive, devront, sans complexe, investir tout aussi positivement l’espace politique. La situation d’absolu déclin et la déliquescence morale dans lesquelles se trouvent, et notre pays, et notre continent, résultent aussi de la complicité passive ou active de nos élites. Or, le silence de confort individuel est la ruine de l’épanouissement collectif.Le Bénin ne peut se relever du gouffre abyssal dans lequel il est poussé sans la vivification de l’engagement politique.
  4. 4. En conclusion,action citoyenne et action politique devront se concentrer, non sur des futilités, mais sur les utilités susceptibles de lancer la reconstruction. Qu’un locataire, sur le départ, trouve l’occasion, non de ramasser ses affaires mais de poser ses portraits, est une préoccupation mineure, même si, en l’état actuel de l’économie béninoise, il aurait été pertinent de laisser les panneaux publicitaires aux commerçants plutôt qu’aux politiques. Que le président de la République annonce relancer le processus de la révision de la Constitution, sur des sujets qui ne règlent pas le chômage et ne stimulent pas les investissements mais qui, au contraire, en rajoute à la suspicion sur sa volonté de respecter en toute loyauté son serment doit inquiéter sans déconcerter. Que les scandales économiques quotidiennement dénoncés et caractéristiques de la méthode de la gouvernance en viennent à monopoliser la « une » des journaux et animer les débats, doit préoccuper sans étonner. Au fond, l’année 2013 ne doit pas nous éloigner de l’essentiel en dépit des entreprises, des tentatives et des tentations à la diversion. L’essentiel est l’instrument de l’organisation des élections : la LEPI. Il faut, non pas seulement s’en préoccuper, mais s’en occuper fondamentalement. En son état actuel, ou dans un état de raccommodage superficiel, la LEPI peut faire élire une « lépiote »au premier tour d’une élection. Il faut ensuite que les intelligences se coalisent pour construire une offre d’alternative crédible et audacieuse. Il faut enfin, et dans l’urgence, organiser la veille judiciaire et la résistance médiatique. La veille judiciaire pour protéger toutes les personnalités publiques susceptibles d’être inquiétées par le harcèlement judiciaire. Cette veille, déjà réelle, mérite d’être encouragée. La veille médiatique qui fera échapper notre démocratie de la « hache » institutionnelle. Il est regrettable que les échéances électorales soient, dans ce pays, des occasions, non pour choisir, mais pour rejeter ou exclure. Il est possible et nécessaire, avec patience, de construire le choix.  Que cette année offre à chacun et à tous, et l’occasion, et les moyens de la détermination et de l’engagement.

Joseph DJOGBENOU
Agrégé des facultés de droit

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