Regardez bien le Béninois. Ses plaisirs, plutôt simples et sobres, ne tiennent pas à grand-chose. Suffit à sa joie une bière dégustée dans une buvette, à la fin d’une journée de travail, sur le chemin de retour à la maison.
Suffisent à le combler quelques brochettes par-ci, la perspective par-là d’un week-end «d’Ago», c’est-à-dire de festin généralement bien arrosé. Il n’en faut pas plus pour que le Béninois lambda, même fauché, se sente en confiance, affiche une assurance à toute épreuve. Croyant, un rien fataliste, ce Béninois-là s’en remettra à Dieu pour le reste.
Ce même Béninois, aujourd’hui, est en train de perdre tous ses repères. Il est ébranlé en son être profond. Il se sent en danger, à l’image d’une victime de la mer, sans bouée de sauvetage. Le Bénin, tel que, désormais, il le sent, le voit et le vit, est triste à mourir. Trop de nuages noirs à l’horizon. Trop d’électricité dans l’air. Trop de tension dans les relations interpersonnelles. Difficile que l’esprit soit tranquille. Impossible que le cœur soit à la fête.
De quelles couleurs se pare-t-il ce Bénin triste et morose? Un Bénin qui sape le moral des plus endurcis des Béninois, jette une ombre sur leurs petits plaisirs, affadit leurs jours et leurs nuits. Quel courage montré, quel optimisme affiché quand tous les ressorts sont cassés, que le cœur n’y est plus? De quelle foi peut-on faire montre quand les divinités souvent invoquées ne répondent plus, comme si elles avaient choisi de s’emmurer dans le silence?
Le Béninois lambda ne comprend rien à ce Bénin de la rumeur. Les bruits qui courent, les uns aussi alarmistes que les autres, ne présagent rien de bon. C’est anachronique, c’est-à-dire en décalage total et complet avec les temps que nous vivons, de parler de coup d’Etat. Qui plus est, dans un Bénin qui égraine, en souvenir, les jours décisifs de la Conférence des forces vives de la nation dont c’est le 23ème anniversaire. Ces jours enfantèrent, comme on le sait, le renouveau démocratique, assorti du serment solennel de notre Armée de se cantonner désormais à l’intérieur de son périmètre républicain.
Le Béninois lambda ne se retrouve plus dans ce Bénin des coups audacieux. Il s’est habitué aux braquages qui ont été dirigés
contre des particuliers, voire des banques et des établissements financiers. Il a entendu qu’un cambiste a été attaqué; qu’un convoyeur de fonds a été soulagé de sa précieuse charge. Voilà qu’on le soumet à prendre des grades dans l’inédit. Le Trésor public est braqué. Des agents assermentés préposés à la garde de l’argent de la communauté font cause commune avec des malfrats. Une attaque dirigée contre l’Etat rend compte de l’étendue de notre capacité de nuisance. Nous venons d’atteindre des sommets insoupçonnés. Nous venons de franchir les frontières du tolérable. Où nous conduira-t-elle l’autoroute du mal que nous venons ainsi d’ouvrir? Quelle destination au bout de ce boulevard des malheurs que nous inaugurons? Si l’Etat est ainsi arrogamment tutoyé, ainsi insolemment défié, de quelle sécurité, de quelle protection le simple citoyen peut-il encore se prévaloir? Il a des raisons de se sentir à la merci du premier malfrat venu. Et vous ne pouvez le convaincre du contraire : il se sent livré, pieds et poings liés, aux assauts de tous les divorcés sociaux.
Le Béninois lambda n’a plus de grille de lecture saine pour comprendre ce Bénin où le citoyen se sent partout orphelin. Aucune voix ne se lève pour faire suite à ses pertinentes et légitimes interrogations. Restons à Cotonou, que nous tenons pourtant pour la vitrine du Bénin. Pourquoi quand un gros camion tombe en panne sur une grande artère, rien n’est prévu pour le dégager sans délai et rendre à la circulation sa sérénité et sa fluidité? Pourquoi quand des feux tricolores tombent en panne, que l’éclairage public vient à faire défaut, personne ne se manifeste pour abréger les désagréments causés aux populations? Pourquoi, chaque jour, les petites gens sont-elles piétinées dans leur dignité, marquées au fer rouge de l’humiliation et ce, dans l’indifférence générale?
Le temps qu’il fait sur le Bénin est lourd. Les noirs nuages commencent à libérer leurs eaux. Il pleut sur le Bénin. Une voix doit se lever au plus tôt. La seule que le suffrage universel autorise à parler et à libérer les paroles qui apaisent, les paroles qui rassurent, les paroles qui rassemblent, les paroles qui réconcilient. Nous sommes à l’écoute.
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