Le consensus à la sauce béninoise

Une journée de plus. Le Bénin célèbrera désormais, chaque 28 février, «La Journée du consensus national». L’annonce est de Safiatou Bassabi Issifou, ministre chargé des Relations avec les Institutions. Le Bénin entend ainsi marquer d’une pierre blanche la Conférence des Forces vives de la Nation.

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Il y a 23 ans, par ses décisions audacieuses, il s’était ouvert une ère   véritablement nouvelle:   la démocratie multipartiste, l’Etat de droit, les valeurs de liberté et de dignité, toutes choses consacrées par la Constitution du 11 décembre 1990.

Est-il juste de placer ce tournant majeur de notre vie nationale sous le sceau du consensus? Mais avant toute chose, le consensus, qu’est-ce? Contentons-nous d’une définition simple. Le consensus est à comprendre comme l’accord d’une forte majorité de l’opinion publique.

Les faits en témoignent à suffisance: la Conférence nationale est, sans conteste, le résultat d’un accord, d’une convergence d’idées entre l’essentiel des forces vives de notre pays. C’était le pays, dans ses profondeurs sociologiques, qui marquait son adhésion à un nouvel ordre. C’était bien de consensus qu’il s’agissait. C’était le mariage parfait et réussi entre le mot et la chose, entre le concept et le fait.

Que, 23 ans après, ce tournant historique nous inspire l’institution d’une «Journée du consensus national», pourquoi pas? Les Béninois eux-mêmes semblent ne pas toujours bien appréhender, avec la Conférence nationale, l’importance du chantier qu’ils ont ouvert. Pour eux-mêmes et pour leur pays. Pour les Africains et pour toute l’Afrique. Il reste que cette journée du consensus national se doit d’éviter le piège des mots alibi. Participe d’une imposture une enseigne lumineuse qui brille de mille feux, mais qui ne renseigne sur rien. Elle reste totalement muette sur l’entreprise dont elle illumine la façade. L’histoire récente de notre pays montre que le consensus a servi et sert encore à couvrir tout et rien. Trois exemples pour nous en convaincre.

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D’abord, le consensus comme l’invite faite à tous à venir boire à la rivière du pouvoir. Nous avons connu, au nom du consensus, ce clientélisme d’Etat. Il a surtout consisté à utiliser à profusion les moyens de l’Etat pour caporaliser de vastes secteurs de l’opinion. A ce jeu, beaucoup ont vendu leur âme. Pour parodier Racine, ils se sont livrés en aveugles au destin qui les entraînait. A ce jeu, beaucoup se sont comportés comme des moutons de Panurge. Ils n’obéissaient qu’à la météo du ciel politique. Ils n’allaient et ne s’engageaient que dans la direction du vent dominant. A ce jeu, beaucoup se sont platement convertis à l’évangile de la Voix de son Maître. Ils récitaient à l’envi, tels   des robots programmés, le catéchisme officiel en vigueur.

Ensuite, le consensus comme le masque porté du parti unique, dans un contexte de multipartisme. Au nom ou sous le couvert de consensus, nous avons étouffé dans l’œuf tout projet d’émergence de véritables partis politiques. Des partis qui soient autres choses que des clubs électoraux, des tubes digestifs ou des appendices utilisés pour faire nombre. Quand les partis sortent ainsi de leur axe et trajectoire, parce que déviés de leur mission et vocation, ils ne concourent plus, comme en dispose la Constitution, à l’expression du suffrage. Au regard de quoi, ils sonnent et résonnent comme des coquilles vides. Ce sont des refuges de pécheurs : vides de militants, mais encombrés de clients et de courtisans.

Enfin, le consensus comme l’expression d’une atonie généralisée, d’un unanimisme idiot. On s’impose d’être d’accord avec tout le monde. On s’oblige de faire la paix avec tout le monde. Paix des braves ou paix des cimetières? Dès lors que tout est calme et qu’on n’entend rien, on peut estimer que tout va bien. Dès lors que rien n’oppose personne à personne, à quoi bon parler d’opposition, à quoi sert-il de conduire une action d’opposition?

Voilà quelques facettes du consensus à la sauce béninoise. Donnons-nous des raisons de chausser des lunettes critiques pour apprécier la journée du consensus national proposée par Madame la ministre Safiatou Bassabi Issifou. Aucune allusion n’a été faite à ce lieu de mémoire qui a abrité le consensus ainsi proposé à célébration. Il s’agit de l’Hôtel PLM Alédjo, aujourd’hui à l’abandon. Est-il encore autorisé à parler de son enfance, celui qui a oublié la maison qui l’a vu naître?

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