Lutte contre l’essence de contrebande au Bénin : plaidoyer pour une autre approche

La manière dont notre pays est géré au quotidien illustre l’incapacité de nos dirigeants a résoudre efficacement les problèmes des Béninois. La lutte contre l’essence de contrebande, initiée il y a quelques semaines avec la mise à contribution massive de l’armée,

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ressemble fort bien à toutes ces reformes menées tambour-battant, avec forte propagande, souvent au forceps, mais qui finissent la plupart du temps par être un coup d’épée dans l’eau.

De l’essence de contrebande comme du transport taxi moto Zemidjan

La vente de l’essence de contrebande est aussi, sinon plus vieille, que le transport sur moto taxi, dit zémidjan. Les deux constituent des phénomènes complexes dont l’impact sur la vie des populations est tangible, en bien comme en mal. De ce seul fait, la résolution des problèmes qu’ils posent à la communauté nationale mérite une approche intelligente, différente du folklore habituel et de l’improvisation devenue mode de gouvernance dans notre pays.

La vente de l’essence de contrebande est intervenue dans notre pays comme un phénomène qui s’est progressivement imposé pour combler deux vides importants. D’abord, l’inefficacité de la politique d’approvisionnement de l’Etat à travers la SONACOP dont les installations, après plusieurs decennies d’existence, n’arrivent pas à couvrir 50% du territoire national. Cette politique énergétique, à travers tous les régimes, n’a jamais réussi à répondre aux besoins en carburant des Béninois, malgré l’entrée du secteur privé dans le secteur pétrolier. 

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Ensuite, la vente d’essence de contrebande comble un vide économique, étant entendu que le prix du carburant à la pompe a toujours été hors de portée du Béninois moyen. Mais, par dessus tout, c’est la position géographique de notre pays par rapport au Nigeria qui facilite ce commerce taxé d’illicite, mais qui comble les besoins de plus de 50% de Béninois.

2. Phénomène économique à fort impact social

Comme le zémidjan dont le Bénin aura du mal à se départir, dans la précipitation parce que répondant à des besoins d’une large partie de la population et comblant le vide créé par le chômage et le sous-emploi chronique des jeunes qui monte en fleche dans notre pays, la vente de l’essence de contrebande devait être considérée comme un problème économique global à portée hautement sociale et traitée comme tel. Malheureusement, à quoi avons-nous assisté? A la même démarche de précipitation et à la même méthode qui emploie la force comme mode d’expression. Un peuple mur qui sait là où se trouvent ses intérêts, peut plier devant la force, mais ne rompt jamais. Et c’est ce que les responsables de la contrebande de produits pétroliers sont en train de démontrer avec leur résistance farouche aux assauts militaires organisés par le gouvernement, fidèle à sa gouvernance par la force et la violence.

Depuis son avènement en Avril 2006, le gouvernement a-t-il mené une étude spécifique de la filière de l’essence de contrebande pour en appréhender l’impact économique et social? Une telle étude, menée dans le sens, non seulement d’évaluer le manque à gagner pour le trésor public, mais surtout l’impact sur la vie économique et sociale (pouvoir d’achat, impact sur la santé et l’épanouissement de la famille) aurait permis au gouvernement et à son chef, d’établir un dialogue franc et sincère avec les opérateurs informels et élaborer ensemble des stratégies appropriées pour endiguer progressivement ce phénomène dont les manifestations comportent des avantages et des inconvénients pour les deux camps. 

Si la vente de l’essence de contrebande n’avait pas existé, on me dirait que le génie béninois aurait inventé un autre mode de survie. Mais il faut simplement constater que notre pays, tel qu’il est géré, à la petite semaine et à la carte, sans aucune vision stratégique et sans méthode d’approche inclusive des problèmes économiques et sociaux, aurait pati de ce manque. Aujourd’hui, même si on doit déplorer des milliers de victimes qui ont perdu la vie dans ce trafic, ainsi que la dégradation progressive et silencieuse de l’environnement et de la santé qui en découle pour les acteurs de cette filière et leur entourage, il faut reconnaitre que les revenus qui en sont issus ont permis aux acteurs d’éduquer leur famille et de subvenir à leurs besoins, dans un pays où la pauvreté prend de l’ampleur, avec un taux qui est passé de 32% en 2006 à 47% en 2011.

3. La responsabilité de l’Etat en cause

A quoi servirait la détermination qu’on nous affiche aujourd’hui, si on a raté des opportunités offertes en 2006 d’approcher ce phénomène, alors qu’on était nouveau, dans la peau du changeur? On se souvient de l’initiative de l’ancien Ministre du Commerce, Soumanou Moudjaidou, qui a déterré la hache de guerre contre la vente de l’essence de contrebande dès les premiers mois du régime dit du changement. Même si la méthode reste toujours à déplorer, le gouvernement aurait pu se saisir de ce momentum pour amorcer un dialogue conduisant à une action concertée de part et d’autres, pour réduire progressivement le phénomène. Prenant le dossier sous le seul angle de la disponibilité des produits pétroliers, on a plutôt convaincu les opérateurs privés à installer quelques points de vente sans une étude préalable de faisabilité. De l’autre coté, on a entretenu des rapports incestueux avec les barons de ce commerce qui ont un temps arboré le tee-shirt vert frappé du mythique Cauris. On croyait avoir conquis du “bétail électoral”. Mais, comme dans toute réforme dont la finalité devrait être le pays et non les intérêts politiciens de ses dirigeants, nous voici le dos au mur avec pour seul recours la force. Qui a jamais réussi une entreprise en utilisant la force? Dans ce pays, nous n’avons toujours et malheureusement rien compris de la gouvernance d’un Etat. Il ne s’agit pas de se lever un matin pour mettre les militaires aux trousses des citoyens qui peinent à joindre les deux bouts dans une activité qui concurrence et distance sérieusement l’Etat dans son impact sur les citoyens.

4. L’exemple du tabagisme

Depuis les annees 1970, l’Organisation Mondiale de la Santé a engagé une lutte globale contre le tabagisme dont de nombreuses études ont révélé l’impact dévastateur sur la santé des fumeurs et de ceux qui circulent dans leur entourage. Phénomène très ancien, le tabagisme a également sa base économique dont profitent de nombreux Etats et les industries de tabac. Des millions de dollars ont été payés par des industries de tabac pour dédommager des victimes du cancer de poumon. Telle l’exposition des jeunes, des femmes et des enfants à l’essence de contrebande ruine progressivement leur santé, tel le tabac ronge la santé du fumeur et des personnes vivant dans son environnement immédiat. Cependant, sous l’impulsion de l’OMS, de nombreux Etats sont en train d’adopter des politiques qui découragent l’importation, la vente et l’utilisation du tabac. Pas plus que le Bénin, aucun Etat n’a encore recouru à la force pour éradiquer le tabagisme. Mais grâce à l’éducation et à l’adoption de politiques fiscales contraignantes, ce problème de santé publique recule dans de nombreux pays et sur le plan international, malgré les implications économiques. Comme la lutte anti-tabac, la lute contre la vente d’essence frelatée ne saurait être une affaire de force. L’usage de la force dans toute entreprise humaine est plus voué à l’échec qu’au succès.

Le gouvernement devrait donc laisser les militaires tranquilles, à des taches plus productives pour le pays, au lieu de les mêler à des prétendues missions mal conçues de répression dont l’exécution crée plus de problemes qu’elle n’apporte de solution à notre pays.

5. Tirer leçons du passé

Le gouvernement dit de la refondation doit mettre la balle à terre et séparer la politique politicienne et la précipitation des actions porteuses de développement. C’est l’approche politicienne des problèmes qui plombe toutes les réformes entreprises. Lorsqu’on a la charge des affaires publiques, il faut agir comme si demain on doit partir. Et pour y parvenir en laissant sa marque sur la marche du pays et la vie des populations, il est important de travailler à déplaire quand cela est necessaire. Il faut surtout prendre le temps de la réflexion approfondie, tant les faits sociaux et économiques sont complexes, surtout si leur manifestation est le fait des humains, ainsi que d’autres facteurs comme la proximité avec le Nigeria qui échappent à notre contrôle.

Aujourd’hui, il est nécessaire que le gouvernement adopte la démarche normale qui conduit au succès des réformes. Qu’on le veuille ou non, le secteur informel de vente des produits pétroliers (essence, gas-oil ou huile à moteur) est aujourd’hui une réalité non négligeable de l’économie nationale. Que l’Etat ne gagne rien n’est pas le problème, puisqu’il n’a jamais rien fait pour que cette manne lui profite. Rester collé aux intérêts de la SONACOP, une Société nationale qui fonctionne comme un trou nébuleux et dont la gestion contribue plus à pomper les finances publiques qu’à renflouer les caisses de l’Etat, ne résoudra jamais le problème. Dans les pays de l’UEMOA, combien de pays ont encore une entreprise nationale de commercialisation de produits petroliers? On me dira que c’est un secteur stratégique sur lequel l’Etat doit garder la haute main. Encore ici, il s’agit d’une grave méprise et d’un manque de compréhension de l’option d’économie de marché adoptée à la Conférence Nationale.

Qu’il s’agisse de la Côte-d’Ivoire, du Togo, du Burkina-Faso, du Sénégal, du Mali et même de la Guinée, ce sont des opérateurs économiques privés qui travaillent dans la distribution des produits pétroliers, l’Etat se bornant à définir la politique énergétique et en veillant à sa mise en œuvre rigoureuse, dans le respect strict des textes qui encadrent cette politique. Le Bénin apparait comme le seul pays dans la sous région qui rame à contre courant en caressant le rêve irréalisable de conserver une société de commercialisation qui a battu depuis une dizaine d’années, tous les records de contre-performance au double plan des résultats financiers et de la satisfaction des besoins des populations. 

Le commerce illicite de l’essence ne saurait, à lui seul, expliquer les ruptures cycliques de gaz domestique par exemple. Il faut que le gouvernement change son fusil d’épaule et repense la politique économique de notre pays, dans un environnement international et sous-régional qui impose une gouvernance, autre que celle de l’intimidation, de la force, de la propagande, du folklore et du verbiage.  

Travailler avec les acteurs du secteur informel à rendre le secteur formel, avec toutes les garanties de sécurité pour les populations qui s’y adonnent et de retour fiscal pour l’Etat lui-même me semble la voie de la sagesse. Il s’agit par exemple d’amener les acteurs à mieux conditionner le produit et à trouver d’autres moyens de transport qui ne comportent pas trop de risques pour les transporteurs et les autres usagers de la route. L’Etat doit recenser les acteurs et veiller à ce que le produit soit stocké dans des conditions plus sécurisantes pour tout le monde, comme par exemple les bacs à pétrole, comme on le voit au Mali. Il doit amorcer l’élaboration d’une législation nouvelle et d’une politique fiscale adaptée à cette activité qui ne doit pas continuer de livrer une concurrence déloyale aux opérateurs privés qui investissent de fortes sommes d’argent dans la construction et la mise en place des stations services. 

Enfin, dans un pays comme le Bénin ou l’Etat lui-même a contribué, par son incapacité à mettre en œuvre une politique cohérente pour réduire la pauvreté, l’Etat devrait bien réfléchir pour mettre en place une politique fiscale spéciale en faveur du secteur pétrolier, notamment en agissant sur le prix de vente à la pompe, de façon à créer une compétition saine qui décourage progressivement les promoteurs du secteur pétrolier informel. Ils disparaitront d’eux-mêmes si la concurrence devient intenable, comme les zémidjans disparaitront progressivement avec le développement urbain et son corolaire qui est le transport public urbain, la relance économique, la promotion de l’emploi des jeunes et des mesures incitatives en faveur du secteur privé qui est encore tres peu pris au sérieux dans notre économie. Continuer de recourir à la force, à tout propos, et en lieu et place d’une politique responsable et cohérente, est l’illustration même de la mal gouvernance. On ne recolte que ce qu’on a semé.

Mais y parviendra-t-on jamais? Il semble que de l’autre coté, il y a longtemps qu’on a raccroché, s’agissant du développement de notre pays.

Que Dieu sauve le Benin.

Coffi Adandozan
Economiste-Planificateur
Lille, France

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