Lorsqu’un mal sévit dans la cité ; que l’on cherche à y remédier par tous les moyens ; que l’on n’y arrive pas et qu’aucune perspective salvatrice ne pointe clairement à l’horizon. Lorsque l’on a fini de faire le tour des possibles causes exogènes et que rien ne va toujours pas ;
alors l’on est fondé à se demander si le mal n’est pas dans la cité et si le ver n’est pas dans le fruit.
Sommes-nous certains qu’en toutes circonstances, nous prenons les actions en adéquation avec les objectifs que nous visons et la lutte que nous voulons mener ; n’y a-t-il pas déviance des fois dans la réalisation et que nous nous trompions de cible? La politique du logement nous donne prétexte à la réflexion sur le sujet.
La politique du logement et les pauvres
Avant même de parler politique du logement, nous nous en voudrions de ne pas attirer l’attention sur les conditions de logement des plus pauvres d’entre les pauvres ; ceux n’ayant pas un métier fixe et ne pouvant justifier d’une paye régulière. Peut-être donnerons- nous l’impression d’enfoncer une porte ouverte et de ressasser ce que l’on sait déjà en matière de précarité du logement de cette tranche de la population mais je puis assurer le lecteur que ce que l’on croit savoir déjà et que l’on banalise alors, n’est jamais su entièrement si ce n’est lorsque l’on entreprend de l’étudier dans toutes ses dimensions et d’en explorer toutes les ramifications, les répercussions et les conséquences, dramatiques qu’il entraîne des fois.
Socialement le pauvre, au bas de l’échelle de la pauvreté, est celui qui vit dans un endroit précaire, c’est-dire incertain et particulièrement dans les ‘’ carrés vides’’. Ces espaces tiennent leur dénomination du fait que les propriétaires n’y ont pas érigé des bâtiments si ce n’est des huttes pour les plus démunis de la Nation en quête d’abri. Bon nombre d’entre eux n’ont ni clôture en matériau durable ni portail ; aussi peut y pénètre qui veut sans plus d’autre considération. Par hutte nous entendons un logement qui n’est pas fait de matériaux durables ; les parois extérieures en bambou ou en terre de barre en fonction du sol environnant. Le toit en paille ou en tôle non galvanisée, altérable à l’air et se rouillant facilement. La seule source d’approvisionnement en eau pour tout usage est un puits creusé généralement au centre de la cour commune. Il est bien souvent mal entretenu ; les enfants y jettent toutes sortes d’objets. L’eau potable n’est pas disponible. La latrine non plus et il ne reste aux habitants de ces ‘’carrés vides’’ que de se rendre dans la broussaille environnante ou à la plage ou le long des caniveaux pour assouvir leurs besoins naturels. Ou alors, lorsque le comble du dégoutant s’y mêle, à faire dans un sachet qu’ils vont jeter n’importe où quand bien même sera-ce contre la clôture du voisin, à la faveur de l’obscurité, la nuit tombée. Leurs douches sont un enclos de branchages à ciel ouvert qu’ils aménagent habituellement à l’arrière des huttes : la cuisine est installée de même manière. En temps de pluies, les ‘’carrés vides’’ qui auraient nécessité un remblai pour être salubres, sont inondés et les habitants pataugent pour accéder à leurs logis. Ils ont recours aux briques et aux planches pour surélever ce qui leur sert de couchage afin de pouvoir dormir sans avoir les pieds dans l’eau.
Dans cette atmosphère d’humidité, les moustiques dévorent toutes personnes qu’ils rencontrent notamment les bébés ; et beaucoup de ces innocentes créatures sans défense meurent ainsi de paludisme, de bronchite et de pneumonie ; les parents n’arrivant pas à soigner ni à prévenir la maladie de leur progéniture, soit par ignorance soit par défaut de moyens financiers. Dans cette promiscuité de gens très pauvres et aussi sans éducation, les enfants subissent le contre coup ; ils sont à leur tour mal éduqués et reçoivent des influences de tout acabit, un géant cocktail pourri que les parents, généralement de bas niveau intellectuel ne savent pas écrémer. Les enfants trouvent toujours le bon prétexte pour s’évader de leur hutte et s’en aller faire les quatre cent coups, versant ainsi prématurément dans la délinquance juvénile. La proximité des ménages crée, l’oisiveté aidant, d’autres problèmes : provocations, rixes, jalousie, vengeance, concupiscence, interférences dans les ménages, indiscrétions de toutes sortes ; tout s’entremêle pour faire des innocentes victimes que sont les enfants dans cette ambiance, des ratés refusant des fois d’aller à l’école et n’obéissant plus à leurs parents. Bref un environnement physique et psychologique des plus malsains entachant la santé, l’éducation et la conduite des enfants. Et pourtant les propriétaires des ‘’carrés vides’’ perçoivent un loyer sur les huttes tout comme s’il s’agissait d’habitations ordinaires ; sans état d’âme aucun. Ils louent leurs misères à hauteur de 7000 francs en moyenne, le mois pour une seule pièce à Cotonou ; et pour y avoir accès il est demandé une avance dont le montant peut atteindre l’équivalent de 10 mois de loyer. La particularité de ces ‘’carrés vides’’ c’est qu’ils sont généralement situés dans les quartiers huppés ou dans leurs environs immédiats. Et quand les propriétaires veulent y édifier des constructions en matériaux définitifs, les habitants en sont chassés sans ménagement et ils se déplacent avec leur misère à la recherche d’autres carrés vides
Le développement que nous venons de faire ne signifie guère que tous les ‘’carrés vides’’ sont clôturés en matériaux précaires et que tous les pauvres vivent dans des ‘’carrés vides’’. Bon nombre d’entre eux à même de payer un loyer parce qu’ayant un métier, ont accès à un logis en dur mais dans des conditions d’existence pratiquement similaires à celles visées ci-dessus. On y trouve cependant latrine commune et eau potable à source commune. Mais latrine commune signifie aussi risque de mauvais entretien et de non vidange par les propriétaires en temps requis ; la laissant déborder avec toute l’insalubrité qui s’en suit. Le logement est la chose la plus ségrégative qui soit au monde ; mais comment réduisons-nous cette situation dans notre pays dans le cadre de la lutte contre la pauvreté? Devant ce tableau peu reluisant que faisons-nous concrètement pour les pauvres?
Responsivités et suggestions
En ce qui concerne les autorités municipales
Nous commencerons par les autorités municipales du fait que ce sont elles qui perçoivent des taxes sur fonciers non bâtis et que les ‘’carrés vides’’ par où nous avons débuté notre réflexion sont classés dans cette catégorie ; ils relèvent alors de leur autorité. Concernant donc la tranche la plus pauvre de la population qui y vit nous pensons que lesdites autorités pourraient mener des actions sur les propriétaires des espaces concernés. Elles pourraient prendre des textes pour les amener à: clôturer leurs propriétés en matériau définitif et y mettre un portail ; limiter le nombre d’abris qui peuvent y être construits ; leur faire obligation d’amener l’eau potable et d’aménager au moins une latrine ; réglementer le montant des loyers et réduire l’avance demandée à deux mois si tant est que le principe s’est déjà solidement installé dans les esprits et qu’il serait difficile de l’abroger. Les ‘’carrés vides’’ ne devraient pas contenir plus de quatre abris autrement ils deviennent de véritables ghettos avec toutes sortes d’activités illicites. Le montant des loyers en carrés vides devrait être fixé par le Conseil Municipal ; après tout il s’agit de simples abris sans le minimum de confort. Toutes ces dispositions devraient être largement diffusées aux fins de dissuasion et des amendes prévues en cas de non respect des mesures édictées. Si au cours des inspections qui pourraient avoir lieu à intervalles régulières, disons de six mois, les agents d’hygiène constataient la non observance desdites mesures, les amendes prévues seront infligées aux contrevenants. Dans l’éventualité où le propriétaire voudra édifier un bâtiment sur le terrain ou le vendre, obligation devra lui être faite d’en aviser les occupants trois mois à l’avance.
La mairie devrait au moins conférer des droits spécifiques aux très pauvres en matière de logement, ne pouvant construire des logements sociaux pour eux. Elle devrait les protéger de l’arbitraire des propriétaires et leur rendre la vie moins misérable. Ce serait déjà pour elle un moyen de lutter contre la pauvreté, ne pouvant faire autrement.
En ce qui concerne les autorités centrales
Au niveau des autorités centrales et considérant la tranche des pauvres qui peuvent néanmoins justifier d’un salaire permanent, l’on pouvait présumer que c’est en leur faveur que différents programmes de construction de logements dits ‘’sociaux’’ ont été conçus avec l’appui des partenaires financiers étrangers ; l’on aurait applaudi à pleines mains si cela avait été ainsi. Mais force est de constater qu’en lieu et place de logements sociaux ce sont des maisons individuelles qui sortent de terre, construites pour un seul ménage, avec un confort raisonnable et même une cour privée. Et pourquoi donc les baptise-t-on logements sociaux ? Peut-être fait-on sciemment l’amalgame entre logement économique et logement social ; et c’est là que se profile la déviance que nous voulons mettre en exergue. Un logement économique ne saurait être un logement social ni dans sa conception ni dans sa destination. Les logements sociaux sont conçus pour abriter le plus grand nombre de personnes à faible revenu dans un espace raisonnablement réduit afin de minimiser les coûts de construction et partant, permettre des loyers raisonnables. Le logement social ne peut être édifié de plain-pied occupant à lui seul une superficie sur laquelle l’on pourrait construire en hauteur et loger des dizaines de ménages. Il ne se vend pas parce qu’il est construit pour les pauvres et que les pauvres ne peuvent, en principe, s’offrir une maison. Il ne peut faire l’objet de quelle que spéculation que ce soit. Or dans bon nombre de cas, c’est le contraire qui se fait. Où est donc le social dans tout cela ? En définitive l’on ne peut pas dire que l’Etat n’a pas fait d’effort en matière d’habitat mais il y a eu déviance. Ce qui était censé être pour les pauvres ne leur est pas revenu et leur état de pauvreté ne s’est pas amélioré. La lutte contre la véritable pauvreté en matière de logement n’en a pas été une, en réalité.
L’Etat ne pouvant tout faire, il pourrait néanmoins pallier la situation en prenant des mesures coercitives tendant à imposer aux promoteurs immobiliers un quota de vrais logements sociaux en hauteur. C’est ce qui se fait dans le pays qui nous sert habituellement de référence où 20% des logements construits devront être des logements sociaux ; et si la prescription n’est pas respectée, une forte amende est infligée au contrevenant. L’Etat pourrait également prendre des mesures incitatives pour encourager les particuliers à construire des habitations en hauteur conçues en appartements pour en favoriser, le cas échéant, l’accès aux pauvres. Dans ce cas de figure, il pourrait consentir une politique de défiscalisation pour amoindrir les coûts des matériaux de construction et favoriser ce faisant, des loyers réduits dans les immeubles qui auront bénéficié de cet avantage.
Si en dépit de toutes ces mesures contraignantes et incitatives, un logement décent n’était toujours pas accessible aux pauvres ayant cependant un métier confirmé par une fiche de paie, l’Etat devra se résoudre alors à accorder des subventions aux propriétaires des immeubles sociaux en compensant les loyers qu’il aura fixés de commun accord avec ces derniers, comme cela se fait sous d’autres cieux. Ce n’est pas trop lui demander dans un pays où n’existe aucun amortisseur social : ni allocation chômage, ni allocation sociale ni même assurance maladie qui n’en est qu’à ses débuts. Un fonds d‘assistance aux habitations à loyer réduit pourrait être prévu au budget à cet effet.
Bien que nous soyons en économie libérale, le législateur pourrait mettre des garde-fous aux loyers en fixant un plafond par zone géographique et par catégorie d’habitations. Il pourrait également prendre des dispositions pour réglementer le paiement de l’avance sur loyers demandée aux pauvres ayant un métier en la limitant à trois mois par exemple. Ce sont là des mesures susceptibles de protéger les locataires sans grands moyens et aussi de lutter d’une certaine manière contre la pauvreté dans ce domine. Nous saluons cependant les mesures qui viennent d’être prises pour supprimer la TVA sur les loyers ; espérons seulement que les propriétaires en connaitront le sens et l’incidence ; et qu’ils moduleront les loyers en conséquence. Le logement restera pour toujours le reflet des classes sociales mais l’essentiel c’est de permettre à tout un chacun de se loger décemment dans sa classe. S’il se faisait que pour une raison ou une autre les logements construits par l’Etat avec assistance étrangère à grands frais, restaient inoccupés et envahis par la brousse du fait que ceux qu’on veut y installer n’en veulent point, pourquoi ne pourrait-on envisager de les affecter aux plus pauvres d’entre nous et aux déguerpis qui eux, en ont un besoin réel et pressant. Eux, veulent seulement un toit décent sur leur tête ; ils ne cherchent pas à faire dans la dentelle.
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