Dans notre société africaine aux mille tabous, le sujet de la mort tient une place de premier choix. En effet, il est un fait commun et banal d’entendre que celui-là, avec qui on a déjeuné avant-hier, est déjà décédé… hier, «des suites d’une courte maladie»…
Et tout le monde s’en tient à cette brève explication. Et la vie continue pour les autres chanceux qui n’ont pas encore été frappés par la Faucheuse. Personne ne lève le petit doigt pour comprendre un peu plus les causes, les circonstances, les tenants et les aboutissants d’une mort qui ne manque pourtant pas d’affliger une famille, et même parfois un peuple, lorsqu’il s’agit de personnalités publiques, membres de la société civile ou artistes. Pourquoi en sommes-nous venus à une telle banalisation de la mort? Quelle en est la responsabilité des pouvoirs politiques? Explications et indignations…
Zouley Sangaré aujourd’hui… Hier TLF!
Devrions-nous rappeler les lourdes pertes pour la culture béninoise, que représentent les disparitions subites et tragiques de sommités culturelles, chacun en son domaine, de nos chers et regrettés, Zouley tout proche de nous, et TLF il y a un peu plus d’une année.
En guise d’explication pour essayer de déterminer les causes de ces disparitions, on nous servît et on nous sert encore aujourd’hui, la rengaine habituelle, la même qu’on ressort invariablement dans ces genres d’occasions, sans plus se poser d’autres questions, sans chercher de midi à quatorze heures : «il est décédé des suites d’une courte maladie»!
Et cela est censé satisfaire des milliers de fans, une famille entière, des proches, bref l’opinion publique… L’on se demande dans quel genre de pays on se trouve pour que la vie des citoyens ne vaille plus rien.
Si les vies de Zouley ou de TLF ne méritent pas que l’on s’y appesantisse, qu’on creuse un peu autour de leur décès, autre chose qu’une tombe à la va-vite, pour se débarrasser d’un corps devenu gênant, alors qu’en serait-il pour des illustres inconnus comme nous autres?
A tout décès inexpliqué, une autopsie… Dans les pays qui se respectent!
Dans un pays qui se respecte, et nous insistons sur le mot «respect», un pays qui respecte un peu ses citoyens et la richesse que constitue leur vie, même s’ils ne sont pas des sommités comme les cas que nous avons évoqués, chaque fois qu’un citoyen décède dans des circonstances un peu particulières, autres que la bonne vieille mort qui nous terrasse à la fin de notre vie (une très longue vie), dans notre lit, et nous emporte paisiblement, il y a toujours eu autopsie.
Lorsqu’une jeune artiste (la quarantaine) disparaît dans des circonstances un peu bizarres, et c’est le cas de le dire, la moindre des choses est de commettre la puissance publique pour procéder à une autopsie, avant de donner l’autorisation d’enterrer.
Le même constat est valable pour les morts accidentelles, comme le décès de l’ancien maire de Djougou, Imorou Worou, ou celui du ministre Akobi, morts restées inexpliquées jusqu’à ce jour…
N’importe qui ne se lève pas pour enterrer qui il veut, quand il veut, même si c’est un de ses parents. Il faut une autorisation formelle de la puissance publique pour effectuer toute inhumation, de même qu’il faut un avis médical pour constater le décès. C’est déjà à ce niveau que le processus est enclenché. Un médecin constate la mort « dans des circonstances particulières » et demande la poursuite des investigations par un légiste, sous l’autorité de la police judiciaire (ou criminelle dans certains cas).
La responsabilité des pouvoirs publics…
Pourquoi avoir procédé aussi rapidement à l’inhumation de l’artiste, sans chercher à mieux creuser pour trouver des causes et des explications à ses fans, au lieu de lui creuser une fosse? Même si ses croyances exigeaient de l’enterrer rapidement, la puissance publique aurait pu surseoir à ces obsèques, le temps de procéder à une autopsie en bonne et due forme.
Tout est orchestré comme si l’Etat voulait s’éviter la peine de l’autopsie, en économisant les frais qu’elle engendre. On se demande alors que vaut la vie dans ce pays, pour qu’on la banalise à ce point? Pendant que des sommes faramineuses sont gaspillées dans des « futilités », on se trouve incapable de mobiliser quelques centaines de milliers de francs, pour une autopsie !
Les pouvoirs publics, la police en tête, devraient porter la lourde responsabilité de ces morts, sans vouloir ressusciter le cas de notre confrère TLF, déjà vieux d’un an.
Un consensus morbide autour de la mort!
Il n’en faudrait pas plus pour affirmer qu’il y a comme un consensus morbide autour de la mort en Afrique, et au Bénin en particulier. Comme si la vie ne valait plus un clou (mais plusieurs)!
Cela s’explique… Dans un pays où les bébés sont jetés dans des déchetteries chaque semaine ; où des enfants sont vendus comme des bêtes de somme en tant qu’esclaves sexuels ou de travail ; où des adultes sont démembrés et leurs organes pillés, aussi fréquemment que les opérations chirurgicales dans un hôpital moyen.
Est-ce la pauvreté et la misère qui font que la mort en est venue à ne plus émouvoir personne ? Est-ce le fait que la chanteuse était si détestée par ces concitoyens, comme l’affirment certaines langues fourchues, qu’il ne faille pas se questionner sur les causes et les circonstances de son décès?
En tout cas, nous sommes émus de la disparition de Zouley et de TLF… Chère amie, cher confrère, Requiescat in Pace ! Et nous nous indignons de ce consensus morbide sur la mort. Trouvons une autre occupation pour nos week-ends et arrêtons maintenant de «festoyer» autour des cadavres : «Quand allons-nous cesser d’enterrer les morts?» (André Frénaud, Haeres)
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