BENIN : le chien aboie, la caravane passe

La descente dans l’abime se poursuit depuis le fameux KO de Mars 2011, dont l’instrument principal, la LEPI plane sur nos têtes, telle une Epée de Damoclès. Et bien malin qui pourra montrer ce fichier électoral autour duquel se nouent et se dénouent des tractations politiciennes.

Publicité

Bien malin aussi qui pourra anticiper le sort qui nous sera réservé en Mars 2016.  Ce ne sont pas les gesticulations et les mises en scène qui ont émaillé la prétendue célébration de l’an 2 du maintien par la force et la violence du régime en place, qui pourront réussir à tromper les Béninois. Au contraire, les faits et gestes de nos dirigeants et de leurs suppôts démontrent à satiété que nous courrons le risque d’un pouvoir qui cherche à s’éterniser. Je souhaite être démenti demain et j’en serai très ravi pour mon pays.

Le choix délibéré du mépris pour les autres

Lorsqu’on observe la manière dont notre pays est gouverné aujourd’hui, personne n’est surpris par la détérioration de la situation économique et l’aggravation de la misère.  C’est le propre des régimes qui se saoulent de discours, de slogans, et qui se nourrissent de bains de foule, de foncer la tête baissée pour conduire le peuple dans le mur.  Et comme en démocratie, rien n’est plus dangereux pour la stabilité et la cohésion nationale que l’absence de dialogue, on ne sera pas étonné que le pays sombre dans la résignation quasi unanime, sauf, bien sur, ceux pour qui le statut quo est un progrès.

Si nous avons opté pour la démocratie, à l’issue de la conférence nationale de Février 1990, c’est pour que nous puissions nous parler, pas en période de crise seulement, mais en toute circonstance et lorsque les intérêts de notre patrie commune l’exigent.  Même au sein d’une famille, c’est le dialogue qui est le liant des membres et qui leur permet de maintenir l’unité et le progrès pour tous.  A la dimension d’un Etat, la chose est indispensable et nul ne peut s’y dérober comme on semble le vivre dans notre pays depuis quelques années.

Avec les forces politiques, c’est la ruse.  Diviser pour régner est la règle d’or, avec en pointe, la volonté de la toute puissance et le rejet hystérique de la contradiction. Ceux qui sont proches de l’homme qui nous dirige n’ont pas le courage de lui dire la vérité, mais rapportent sous cape comment celui qui est censé incarner l’écoute, la paix sociale et la concorde, passe son temps, la télécommande en main, à guetter sur les écrans de télévision, ses compatriotes qui oseront critiquer ses actions publiques. Est-il possible de gouverner un pays aujourd’hui sans accepter la contradiction? Comment est-il possible de conduire un peuple vers la prospérité et le progrès économique et social, si on n’est pas ouvert au dialogue et aux propositions de ceux qui vous ont confié leur mandat. Le comportement du premier des Béninois, depuis Avril 2006, vis-à-vis des principes démocratiques comme la liberté d’opinion et d’expression, dénote du peu de maitrise des valeurs fondatrices de la démocratie, d’où son concept anachronique et inapproprié de “dictature de développement”

Publicité

La haine pour l’opposition et le refus de la différence qui renforcent le manque de culture démocratique

Aux termes de la Constitution du 11 Décembre 1990, ce sont les partis politiques qui animent la vie politique. Mais le Prince de la Marina n’entend pas cela de cette oreille. Depuis Avril 2006, il y a eu tellement de manœuvres politiciennes pour détruire les partis politiques et décapiter l’opposition, qu’on se demande quand es- ce que les dirigeants actuels se consacreront véritablement aux tâches de développement.  Même quand on a réussi à réduire  l’opposition à sa plus simple expression, on continue de la museler et d’envoyer des “voyous” semer le trouble et la zizanie au cours de ses rares conférences publiques.  On travaille tous les jours à affaiblir l’opposition par tous les moyens, afin de l’empêcher de s’exprimer.  Et quand, malgré tous les mécanismes mis en place, la partie résiduelle de l’opposition fait des propositions, on les ignore royalement.  Or, ceux qui sont au pouvoir ont montré depuis longtemps leur limite. Avec les forces syndicales, c’est la même stratégie de division qui est toujours en cours, avec la création de syndicats parallèles dits patriotes, briseurs de grève devant l’Eternel contre de petits strapontins.

Lire aussi : COS Lépi : noms des députés officiellement retenus

Malgré l’appel au dialogue national formulé par de nombreuses personnalités dont certaines sont même proches du régime en place, c’est le silence plat, frisant le mépris. On se demande si le pays est la propriété du Chef de l’Etat et de ceux qui s’aplatissent devant lui, ou si c’est pour tous les Béninois dont chacun a son mot à dire. L’une des manifestations les plus patentes de ce mépris de l’opposition, c’est l’incapacité d’adopter une loi conséquente confortant le statut de l’opposition, en lui permettant de bien jouer son rôle dans l’enracinement de la démocratie.  Tout se passe comme si ceux qui sont au pouvoir ne passeront jamais dans l’opposition, ce qui confirme les soupçons d’un pouvoir qui se prépare à s’éterniser, avec la conviction que seuls les autres seront dans l’opposition. Drôle de conception démocratique qui refuse l’alternance !

Le plus écœurant, c’est le mutisme et l’inaction qu’on observe dans le traitement de l’affaire relative au concours de recrutement d’agents de l’Etat par le Ministère de la Fonction Publique au profit du Ministère de l’Economie et des Finances. Ce dossier est l’illustration même de l’option qui est faite par les responsables de notre pays de conduire le pays dans le mur.  Comment peut-on comprendre que dans un pays comme le Bénin, un ministre responsable d’une telle fraude soit toujours au gouvernement et que ceux qui sont lésés sont même empêchés de s’exprimer ?  Comment comprendre que dans le même temps, et dans une autre partie du pays, des personnes se sont organisées pour prétendre soutenir le ministre et le gouvernement dans un dossier aussi rocambolesque.  Nous sommes déjà dans l’abime et ce ne sont pas ceux à qui on a tendance à penser qui vont nous en sortir.

La rançon de la politique du ventre

A l’origine de la conspiration du silence en cours dans notre pays, on retrouve une manifestation qui n’épargne que les plus résistants.  Il s’agit de la politique du ventre savamment mise en œuvre par le régime en place, pour cadeauter certains responsables de partis politiques et certaines personnalités en poste qui leur rapportent des prébendes.  Faites le point des personnalités de notre pays jadis capables d’arrêter les dérives en cours, ne serait-ce que par leur mobilisation, et vous comprendrez que chacune est bien logée, en dehors de quelques unes.  Il ne sied pas de les citer ici, mais comme notre pays est petit, on les connait.  Certaines qui entretiennent un clan politico-familial depuis l’avènement du Renouveau démocratique, tiennent, comme le chien tient un os dans la gueule, à s’accrocher aux avantages que leur procure, à elles et à leurs clans et clients, les ressources des structures qu’ils n’entendent guère lâcher.  Leur adhésion à la politique de destruction en cours et leur complicité dans la mise à mal de notre démocratie est juste la rançon de la politique du ventre.

D’autres ont choisi de se taire pour se venger des Béninois qui, pendant deux décennies, ont refusé de leur confier la conduite de leur destin. Ils savourent cette vengeance sur le peuple qui a choisi une certaine promesse de changement en Mars 2006, au détriment du changement lui-même qu’ils rêvaient d’apporter. Chose humaine trop humaine, cette attitude s’explique dans la mesure où on ne peut faire le Bonheur d’un peuple malgré lui.  Ces personnes ont aujourd’hui raison sur le peuple que les fables du changement et de la refondation ont conduit à la désillusion. Il ne tient qu’a nous de démontrer que nous pouvons donner tort à ceux-là, sinon ils auront trop tôt raison sur ceux qui ont fait le choix de l’aventure et de l’amateurisme politique.

D’autres encore sont contraints à l’exil, après avoir contribué, au vu et au su de tous, à l’avènement du changement et de la refondation.  Le temps passe, mais la doctrine de Machiavel est toujours d’actualité sous nos cieux, avec des dirigeants prêts à couper la tête de ceux qui, par  des calculs bien égoïstes, les ont fait Roi. Ce ne sont pas non plus ceux qui ont fait un tour en pèlerinage dans le système et qui sont revenus lever un coin de voile sur ce qui s’y mijote, qui nous démentiraient. Ce qui se passe dans notre pays, malgré le caractère totalement ubuesque et pathétique, servira de leçon aux opérateurs économiques qui ont du mal à dissocier les affaires de la politique.  Même dans les grandes démocraties occidentales, et en dehors de quelques rares exemples, les hommes d’affaires savent garder la distance de respect qui sied, vis-à-vis de la politique politicienne, pour ne pas se brûler les doigts, même s’ils ont des mécanismes pour contribuer à faire des dirigeants.

Tout cela pour quel résultat ?

La politique n’a de sens que lorsqu’elle répond aux besoins des peuples qui aspirent à un mieux être.  Au Benin, celle à laquelle nous sommes confrontés depuis sept (7) ans répond beaucoup plus à une exigence de pouvoir, et de tout le pouvoir, par la volonté de puissance d’un seul homme, l’être suprême du Benin à qui tous, partis politiques, syndicats, opérateurs économiques et personnalités doivent vouer obéissance aveugle et dévotion.  Résultat, notre pays tient la queue au sein de l’UEMOA, en termes de performances économiques.  La pauvreté se répand et les Béninois sont aujourd’hui plus pauvres, en termes monétaires, qu’ils ne l’étaient à l’avènement de ce régime, il y a sept ans. Les reformes engagées depuis la Conférence nationale dans la filière cotonnière et dans le secteur portuaire sont freinées, avec la volonté d’un seul homme de ramener tout à sa personne, comme en témoignent de nombreuses interviews de ses “anciens amis.” Au plan social, le système éducatif est au creux de la vague avec une efficacité interne désastreuse, d’une année à l’autre, et l’absence d’une boussole véritable qui indique vers quelle vision on conduit les enfants ou quelle société nous voulons construire pour relever les défis d’un monde en pleine mutation.

Pour ne rien arranger, l’absence de dialogue social et politique plonge le pays dans l’incertitude, avec comme toute promesse que les trois prochaines années risquent d’être difficiles, vue l’allure que prend la gouvernance, l’Etat se désengageant subtilement de certaines de ses responsabilités régaliennes.

Se préparer au pire

La boulimie du pouvoir qui s’est emparée du sommet de l’Etat fait craindre légitimement un durcissement du pouvoir en place, à mesure que l’on s’approchera de 2016, comme en témoigne déjà la cabale sous forme de plainte adressée à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) par le Chef de l’Etat contre “La Nouvelle Tribune”, seul organe de presse écrite qui sort actuellement du lot, la grande majorité des journaux ayant déjà, soit mordu à l’appât du gain facile, soit succombé à la trouille d’un pouvoir prédateur des libertés.

Nombreux sont nos compatriotes, pas des moindres, à pronostiquer un tournant de 2016 difficile à négocier.  Lorsqu’on observe les agissements du pouvoir et de celui qui clame à cor et à cri que ce mandat est le second et le dernier, et qu’il va se retirer en 2016, on peut légitimement s’interroger sur ce qui se passera en 2016, ou avant. Celui qui se prépare à quitter le pouvoir a une attitude que tout le monde connait.  Conscient de laisser un héritage durable qui sera gravé en lettres d’or dans les annales de l’histoire de son pays et dans la mémoire collective, il facilite les choses et créent les conditions à son peuple d’aller de l’avant, au lieu de l’instrumentaliser dans les prières et les marches de soutien pour des causes qui sont ailleurs.  On le constate bien, les différentes tentatives de complot, d’empoisonnement ou de coup d’Etat s’inscriraient dans cette logique.  De nombreux autres scenarii sont en cours, pour contraindre le peuple à accepter l’inacceptable en 2016, comme la première fois en Mars 2011, le peuple a dû se rendre à l’évidence, que malgré la configuration sociologique de notre pays, quelqu’un a pu gagner l’élection présidentielle au premier tour par KO, à la suite d’un bilan presqu’inexistant.

C’est pourquoi nous devons rester vigilants et être prêt à faire échec à toute manœuvre qui viserait à remettre en cause les acquis fondamentaux de notre démocratie. N’attendons pas que cela se produise pour le déplorer ou le regretter, car la communauté internationale, qu’on évoque souvent dans ces circonstances, a mieux à faire que de se préoccuper du cas du Bénin. L’exemple de l’élection présidentielle de Mars 2011 est là pour nous édifier.  Elle n’a aucun intérêt à aider un peuple face à un pouvoir qui veut s’éterniser, si les citoyens eux-mêmes ne prennent pas l’initiative. En ce qui nous concerne, nous jouons déjà notre partition et sommes prêt à nous associer à toutes initiatives visant à permettre à notre pays et à son peuple de retrouver pacifiquement, en Mars 2016, le chemin de la dignité et renouer avec un autre mode de gouvernance compatible avec les aspirations du peuple béninois et les exigences du monde moderne.

Coffi Adandozan
Economiste-Planificateur
Lille, France

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité