Joël Aivo à propos de la prorogation incertaine du mandat des maires

«C’est une faute politique grave et un mauvais signal pour la démocratie locale» Le professeur de droit constitutionnel Joël Aivo a été l’invité hier matin de l’émission Actu matin sur la chaine de télévision Canal 3.

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Il a déploré le fait que les députés aient adopté la proposition de loi qui proroge le mandat des maires, sans pour autant fixer un délai pour le terme de leur mandat. Ce qu’il qualifie de faute politique grave et d’une succession de fautes politiques. Après avoir développé ses arguments, il pense que le Protocole de 2001 de la CEDEAO serait régulièrement évoqué par la Cour Constitutionnelle, et que c’est depuis une dizaine d’années que cette Cour renvoie les députés et leur répète toujours le Protocole de la CEDEAO.

Les députés viennent d’adopter la proposition de loi Débourou qui proroge,  comme on le dit, de façon incertaine jusqu’aux prochaines élections des nouveaux maires et leur installation, le mandat des conseils communaux, municipaux et locaux. Dites-nous monsieur Joël Aivo vos impressions après le vote de cette loi?
Merci. C’est par la loi du 23 juin 2006 qui, je le rappelle, a été censurée par la Cour Constitutionnelle parce que cette loi prorogeait d’un an le mandat des députés. Je ne sais pas ce qui arrive avec les parlementaires. Si on veut proroger, c’est de savoir si on veut proroger de façon incertaine, est-ce qu’on peut installer une démocratie dans une incertitude ? Est-ce qu’on peut installer un processus électoral dans une incertitude ? Il faut faire cette allusion là parce que les députés n’ont pas cadré, n’ont pas fixé un délai pour le terme du mandat de ces maires. Ce n’est pas une avancée démocratique, je n’ose pas dire le thème recul, mais je l’ai dans la tête. Je dis aussi que c’est une faute politique grave. Pourquoi ? C’est une succession de fautes politiques. Par rapport à ça, je voudrais faire deux observations. Première observation, je voudrais rappeler que cette loi est une proposition de loi, c’est-à-dire qu’elle a été portée par un député qui, de mon point de vue et jusqu’à nouvel ordre, ne siège pas au gouvernement, donc n’a pas la prérogative, la responsabilité de pouvoir décider de proroger le mandat des maires, la charge de la gestion des collectivités locales, et notamment de la décentralisation, qui incombe à un ministre en charge qui est au gouvernement. Deuxième observation, c’est que tout ça se passe dans un silence assourdissant du gouvernement, pas un seul mot de la part du Président de la République, pas un mot du ministre chargé de la décentralisation, pas un seul mot de madame le ministre chargée des relations avec les institutions, aucun sur le fait que le gouvernement qui a en charge la gestion des communes, notamment la tutelle, ne nous ait dit à aucun moment qu’il ne pourra pas organiser les élections communales, municipales et locales, en raison de ce que la loi électorale n’est pas prête, en raison de ce que la LEPI n’est pas prête, et autres.

Lire aussi : Voici l’intégralité de la loi qui proroge le mandat des maires

Les députés ont peut-être mis là en œuvre leur sens d’anticipation du fait qu’ils ont constaté qu’on ne peut pas organiser les élections à bonne date?
On peut avoir un parlement de cette vitalité, on peut avoir des parlementaires « godillots », je suis d’accord. Mais le gouvernement, par le biais du Président de la République n’a pas dit « je ne convoque pas le corps électoral pour telle raison ». Un seul point de vue : je considère les arguments qui ont été avancés par les députés qui s’asseillent sur quelques points précis ; et voici : d’abord on nous dit que la LEPI n’est pas encore suffisamment prête et qu’il ne faudrait plus retourner dans des polémiques et des contestations. Ca fait deux ans que nous avons fini les élections présidentielles, ça fait deux ans que nous savons dans quelles conditions nous les avons organisées, ça fait deux ans que nous savons que ces élections ont été l’objet d’une vive contestation, donc si on considère que la LEPI n’est pas un bon outil, ça fait deux ans que nous sommes là, nous n’avons jamais été en guerre, les institutions n’ont jamais disparu, que les institutions fonctionnent normalement, c’est pour ça que je vous parle de faute grave, que les institutions en charge de la gestion de ce pays n’ont pas été capables de s’asseoir de façon sereine, de façon posée, en dehors de période de tension électorale, de passion électorale, pour réfléchir sur la LEPI. Non seulement avoir été à l’origine de cette faute, sans prétexter de cette faute pour commettre une deuxième faute, c’est-à-dire, proroger le mandat des élus locaux, communaux, municipaux, sans fixer un délai. Personne ne sait quand ces élections auront lieu. Est-ce que vous pensez que la qualité d’une démocratie peut reposer sur l’incertitude ? Nous avons des parlementaires qui disent dans six mois, dans huit mois, d’autres parlent également du couplage avec les élections législatives. C’est une question qui se pose en ce moment. La loi qui a été votée par les parlementaires c’est une prérogative des parlementaires, très bien. Vous lisez formellement la Constitution, il n’y a aucun problème. Mais en faisant une interprétation plutôt extensible de la Constitution, est-ce qu’on peut admettre qu’une loi qui a été votée et qui instaure le processus démocratique, qui installe la démocratie béninoise, pose une forme d’incertitude. Aucun vide constitutionnel ne pourra l’accepter, c’est-à-dire qu’il y a même une forme d’inconstitutionnalité de fond par rapport à cette loi qui installe la démocratie béninoise, c’est-à-dire qui installe les autorités locales dans une incertitude, dans une impasse car eux-mêmes ne sachant pas quand ils retourneront devant les électeurs en étant dans une illégitimité. Pas dans une illégalité puisque le mandat est expiré. Moi je pense que la véritable démocratie que nous avons eue ne nous autorise pas à retourner dans des situations d’incertitude parce que tout ce que les parlementaires ont fait est incompatible avec la démocratie.

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Pensez-vous que cette démarche des députés pourra être possible pour d’autres élections. Peut-être lorsque la LEPI ne sera pas corrigée jusqu’en 2015 et que les députés font le couplage pour proroger aussi leur mandat?
Moi je voudrais aussi poser cette question aux parlementaires, je pose en même temps la question aux compatriotes pour que ça soit dans la tête de tout le monde, est-ce qu’il nous arriverait de penser, d’accepter que pour les mêmes raisons, c’est-à-dire la LEPI n’est pas prête, il y a des contestations sur l’organisation de l’élection et qu’on pense qu’il y a tout ça, si nous acceptons de proroger le mandat du Président de la République, c’est-à-dire que dans ce pays, les députés qui ont voté une telle loi, qui ont apposé leurs signatures sur une telle loi, qui ont mis la démocratie et le pays dans une incertitude ; Peut-être que dans d’autres pays, ces députés ne reviendront plus à l’Assemblée Nationale pour avoir voté une telle loi.

L’élection locale, communale et municipale et même législative n’est quand même pas régie par le même cadre juridique que l’élection du Président de la République?
Oui, je dis les motivations, les raisons pour lesquelles, non pas parce que le cadre légal est différent non. C’est que la LEPI n’est pas faite, il faut encore des aménagements, c’est pour ça fondamentalement. Et d’ailleurs, les députés évoquent le Protocole de 2001 de la CEDEAO, mais je lis et je me demande qu’est-ce qui se passe au fond dans ce pays. Le Protocole de la CEDEAO, ça fait depuis 2001 qu’il est adopté et ça fait au moins depuis 2006 que le Protocole de la CEDEAO est régulièrement évoqué par la Cour Constitutionnelle, ça fait depuis une dizaine d’années que la Cour Constitutionnelle renvoie les députés et leur répète le Protocole de la CEDEAO. Les députés, comme par enchantement, découvrent que le protocole de la CEDEAO les empêchait de toucher aux lois avant six mois. Surtout depuis que la LEPI a un problème et qu’il faut la corriger, ce qu’on n’a pas fait. Parce que nous avons des problèmes, parce qu’il y a l’incertitude, parce qu’il y a des corrections à faire, bon. En attendant le Président de la République reste en place, le temps qu’on fasse les aménagements nécessaires. On ne l’a jamais fait pour les élections législatives, jamais elles n’ont été reportées, jamais une élection présidentielle n’a été reportée. Ca fait la deuxième fois qu’une élection locale a été reportée. Ça veut dire quoi ? C’est un mauvais signal, d’abord c’est la traduction de la banalisation de la démocratie locale. C’est une forme de mépris pour les élections locales et c’est un mauvais signal qu’on envoie à tous nos partenaires qui se lèvent tous les jours et qui mettent de l’argent dans la décentralisation et à qui nous disons que la démocratie locale est importante pour le développement local.

Monsieur Aivo, est-ce qu’on va jeter tout par-dessus bord. Il y a quand même des impératifs qui ont contraint les députés à prendre leur responsabilité. Puisque les députés ont entamé déjà une démarche pour apurer et corriger la LEPI et voter plusieurs autres lois dans ce cadre. Face à tout cela, est-ce qu’on ne peut pas leur accorder une petite bonne foi?
Je conviens avec vous que la législature qui a commencé, celle de 2011, opère sérieusement sur un certain nombre de chantiers qui tenaient à cœur à beaucoup de juristes, comme ce que vous avez cité. Considérez que c’est une avancée notable. Nous sommes là dans ce cas-ci. Mais cette incertitude dans laquelle on nous a jetée, est intolérable. Il n’y a pas de jugement de valeur excessif sur le travail parlementaire, ce qui a été fait sur les différentes lois qui ont été votées. D’ailleurs je dois noter quelques fois dans un grand consensus, parce que la plupart des députés s’entendent sur ces lois pour avancer, je suis d’accord. Mais ce matin, je voudrais interpeler le gouvernement, de dire au fond ce qu’il pense, d’arrêter de se cacher derrière monsieur Débourou, parce que monsieur Débourou n’est pas membre du gouvernement.

Mais Débourou est de la majorité parlementaire?
Oui, mais je n’ai pas encore vérifié les dernières parutions dans le droit constitutionnel, mais ça ne vous fait pas ministre de la République, quel que soit son dynamisme et la vision du Chef de l’Etat. Quel que soit le dynamisme du député, on a remarqué monsieur Débourou et monsieur Chabi Sika qui sont porteurs de plusieurs lois, c’est plutôt bien. Mais je dis que pour l’instant, nous sommes dans une activité intrinsèquement et intimement différente de l’activité gouvernementale. Je voudrais entendre le ministre de la décentralisation afin de savoir qu’est-ce que le gouvernement pense de tout ça. Moi j’interpelle le gouvernement qu’il nous dise enfin quand est-ce qu’on organise les élections communales, municipales et locales, en fonction du chantier que les députés ont ouvert cette année, la correction de la LEPI, il faut qu’on soit fixé.

On va finir avec cette dernière question à monsieur Joël Aivo, avant de fixer la fin du mandat des maires, les députés avaient déjà voté le code électoral, ce que d’aucuns qualifient de recueil de textes des lois. Quel est l’avis du publiciste que vous êtes?
Un code électoral copie généralement l’ensemble des dispositions des lois électorales, ça donne souvent un sentiment de lexique, de recueil des textes. Mais je pense, enfin, qu’il était temps qu’on ait un code électoral. Les parlementaires ont travaillé d’arrache-pied pour qu’on ait ce code et je dois dire que je mets ça à l’actif de cette législature et de ceux qui se battent depuis. Je suis très attentif à ce que dit le Président de l’Assemblée Nationale sur les réformes nécessaires à faire, et je dois constater que sur ces réformes, point par point, et ce parlement donne le sentiment d’avancer, d’aller vite sur ces réformes, de doter le pays de ces textes légaux.

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