L’école entre grandeur et misère

Un fait divers. Gardons-nous, cependant, de le banaliser. Un professeur de mathématiques en poste dans une localité béninoise du septentrion, est pris en flagrant délit de vol de moto. La presse, bien entendu, en fait des gorges chaudes. Et pour cause.

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Celui à qui échoit la mission d'orienter les plus jeunes sur le chemin de la vertu, se signale par un acte de délinquance sans nom. C'est un comble. L'aura du maître est ternie. La responsabilité professionnelle de l'éducateur est avilie. C'est, au vrai, le monde qui s'effondre.

Quels sont les faits. Alors que la messe pascale bat son plein, il y a quelques jours, une moto disparaît. Des bonnes volontés, dont le professeur de mathématiques, se mettent en devoir de retrouver l'engin. Elles fouillent coins et recoins, mais en vain. S'estimant, 72 heures après, hors de tout soupçon, le professeur sort la moto de l'endroit où il l'a planquée. Il a sollicité les services d'un mécanicien pour maquiller et retoucher la moto. Mais manque de pot, un passant la reconnaît et donne l'alerte. Le professeur prend ses jambes à son cou. Peine perdue. Cerné de toutes parts par une foule en furie, il rend les armes et passe aux aveux.

L'acteur majeur de ce fait divers est un enseignant. Son statut social en fait un personnage non banal, une personnalité pouvant justifier d'une surface et d'un relief certains. Certes, son geste l'engage et le pénalise au premier chef. Pour dire que la responsabilité individuelle, personnelle du délinquant doit être formellement établie. Mais il ne reste pas moins qu'est aussi engagée, à un degré moindre, la responsabilité des membres d'une corporation, celle de la famille professionnelle des amis et des collègues du voleur de moto. Tirons-en quelques leçons pour l'institution scolaire en général.

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La première leçon, c'est la banalisation de l'image du maître. Il est à peu près sûr que le professeur voleur de moto ne s'est jamais vu dans le miroir des exigences sociales de sa profession. Il ne s'est jamais compris, au-delà de l'enseignant, comme un éducateur. En connaît-il au moins le sens, la portée, la valeur ? La recherche d'un job l'a conduit à   trouver à s'employer dans un établissement scolaire. Il est davantage à la recherche d'un salaire qu'il ne se sent dans la peau d'un homme en mission. Ses apprenants sont sûrement pour lui des cerveaux à farcir de mathématiques que des cierges à allumer pour dissiper les ténèbres de l'ignorance. L'école, chez nous, a faim et soif de vrais maîtres. Des hommes et des femmes de service. Des modèles de vertus.  

La deuxième leçon, c'est la désacralisation de l'école. Devrait être tenu pour un temple tout endroit où l'on s'active à activer l'esprit, l'étincelle divine en chacun de nous. Pensons, un instant, que toutes les bonnes choses sur la terre, tous les grands progrès qui jalonnent la marche de l'humanité sont l'œuvre de l'esprit.  Au regard de quoi, l'école ne saurait être un espace banal ouvert aux quatre vents et à tous aventuriers. Dans l'école rendue à ses normes strictes, le maître a le profil d'un prêtre. Son enseignement prend les allures d'une célébration. Les résultats obtenus sont une bénédiction. Le sacré, nous y sommes. Il se définit comme quelque chose qui est digne d'un respect absolu, qui a un caractère de valeur absolue. Si nous ne pouvons attacher un tel prix à l'école, alors, ne nous étonnons plus qu'elle soit devenue un repaire de délinquants, le refuge des voleurs de motos.

La troisième et dernière leçon, c'est la banalisation de la fonction enseignante. Cela peut être le fait des enseignants eux-mêmes, l'idée qu'ils se font de l'école étant aussi courte que l'idéal de l'école qu'ils portent en eux. Mais il se trouve que c'est également et bien souvent le fait de l'Etat. Car s'il est vrai, selon Racine, qu'un minimum de bien être est nécessaire à la pratique de la vertu, on ne peut confier la noble mission de l'école à des hommes et à des femmes que l'on affame ou à qui l'on ne concède que le minimum social vital. Est-ce trop exiger que d'émettre le souhait de voir nos maîtres, dans tous les ordres d'enseignement et d'éducation, bénéficier des moyens et des conditions de travail qui vont de pair avec la noblesse de leur mission ? Ventre affamé, dit-on, n'a point d'oreilles. Il faut alors craindre qu'un professeur de mathématiques affamé, et après qu'il eut perdu les oreilles de la raison, n'ait plus un autre choix que de se convertir, à son corps défendant, en voleur de moto. Les Ivoiriens, compatissant, diront "Yako" !

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