Discours de Boni YAYI à l’ouverture du colloque sur les « 20 ans d’installation de la Cour constitutionnelle et les 22 ans de justice constitutionnelle au Bénin »

Voici bientôt vingt ans que le peuple béninois, à l’issue de la Conférence Nationale des Forces Vives de février 1990, s’est engagé sur la voie de l’édification d’un Etat de droit, fondé sur le pluralisme politique, la liberté et la démocratie.

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Vous mesurez toute la joie et la fierté que j’éprouve d’être ce matin parmi vous pour célébrer les 22 ans de justice constitutionnelle au Bénin, notre cher pays, et les 20 ans d’installation de la Cour Constitutionnelle.

Les assises qui se tiennent ce jour sont d’une importance capitale. Il s’agit en effet d’une manifestation scientifique comme le prouve la présence à Cotonou non seulement, d’universitaires  africains et européens de renom mais aussi de juges constitutionnels d’autres pays à qui j’exprime, au nom de la Nation, mes chaleureux souhaits de bienvenue et d’agréable séjour dans mon pays, le Bénin.

Mesdames, Messieurs,

Je ne peux m’empêcher de rappeler que la manifestation qui nous réunit autour de la Cour Constitutionnelle et de son œuvre au service de la démocratie et de l’Etat de droit est aussi le symbole du progrès réalisé par notre pays sur le plan politique. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est bien parce que depuis 22 ans, un chemin a été parcouru, des acquis à consolider et des perspectives à envisager. Nous le devons d’abord à la détermination du peuple béninois, ensuite à ses élus à différents niveaux et enfin à la Cour constitutionnelle.

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Il me plait de rappeler ici cet adage bien connu « les institutions ne valent que ce que valent les hommes qui les animent » je voudrais saisir la présente opportunité pour rendre hommage aux deux intrépides dames, dignes héritières de nos amazones et leurs équipes des première et deuxième mandatures. Madame Elisabeth POGNON et Madame Conceptia OUINSOU dont je salue la mémoire ont su par leurs qualités exceptionnelles de probité morale et intellectuelle et leur grande compétence insuffler un dynamisme et une crédibilité à notre haute institution qui lui ont assuré un rayonnement au-delà de nos frontières. Fort heureusement Monsieur le Président, vous avez, avec votre équipe, emboité le pas à vos illustres prédécesseurs et mon vœu le plus cher est que la République veille à perpétuer ces traditions d’excellence au sein de notre haute juridiction, gage de la confiance des populations et de la paix sociale.

Je n’oublie pas non plus la mémoire de Monseigneur Isidore de SOUZA qui a su avec tact et doigté assurer la gestion du Haut Conseil de la République, organe précurseur de la Cour Constitutionnelle.

Mesdames et Messieurs,

Comme vous le savez, la Cour constitutionnelle est une des grandes innovations introduites dans le constitutionnalisme béninois. Son institution, surtout après les expériences politiques vécues par notre peuple est naturellement devenue le produit de notre histoire constitutionnelle et la matérialisation de notre quête de liberté, d’épanouissement et de justice.

Mais nul n’ignore que l’institution de la Cour Constitutionnelle s’inscrit dans un projet politique et économique global. Elle devrait donc s’intégrer dans un environnement politique rationnalisé avec  un exécutif plus stabilisé, un parlement réhabilité et une justice plus indépendante. Le renouveau politique et économique ainsi organisé est destiné à bâtir un Etat de droit où la Constitution considérée comme la loi fondamentale est hissée au sommet de la hiérarchie des normes.

C’est naturellement dans cette vision que les rédacteurs de la Constitution du 11 décembre 1990 ont voulu confier à un juge le contrôle de la constitutionnalité du nouvel ordre juridique et la stabilité des nouvelles institutions. L’implantation d’une Cour dotée de pouvoirs conséquents traduit ainsi la volonté du peuple béninois de rompre avec l’instabilité politique des années 60 et l’expérience du régime fondé sur le marxisme-léninisme. Le juge constitutionnel béninois apparaît donc comme étant chargé par le constituant de 1990 de remédier à deux écueils de l’histoire du parcours politique de notre pays.

Le premier est l’instabilité politique chronique qui a valu à notre pays le qualificatif d’enfant malade de l’Afrique. Le second, la banalisation de la Constitution soumise à la volonté politique et fragilisée par la suprématie du fait politique sur la norme juridique. L’on comprend dès lors que les rédacteurs de la Constitution aient cherché et trouvé en la Cour Constitutionnelle à la fois le gardien du nouvel édifice constitutionnel, l’arbitre des élections, le régulateur du fonctionnement des institutions et le stabilisateur du jeu politique.

L’écho le plus retentissant de cette mission sensible jamais confiée à un organe et mise en œuvre dans l’histoire politique de notre pays résonne dans les dispositions de l’article 114 de la Constitution. Je cite : « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l'État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionalité de la loi et elle garantit les droits fondamen­taux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l'organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l'acti­vité des pouvoirs publics ».

Le rôle de la Cour est donc très clair. Il est délibérément prééminent. C’est en tout cas ainsi que l’a voulu le constituant et décidé par le peuple béninois. Cependant, si au Bénin, la garantie de l’Etat de droit est passée par l’institution d’une juridiction constitutionnelle indépendante et spécialisée, il faut bien faire remarquer que la marche de notre pays s’intègre dans un mouvement libéral faisant une large place à la justice constitutionnelle. Il en fut ainsi pour la plupart des démocraties nouvelles ou rétablies dont certaines sont nos voisins immédiats.

On le voit bien, dans les textes, la Cour est bien dotée de compétences larges et ses missions sont sans ambiguïtés. Cependant, l’on aurait pu craindre, comme ailleurs, que la juridiction ne soit une coquille vide malgré les espoirs placés en elle, les moyens qui lui sont donnés et la responsabilité qui lui est confiée en vue de la sauvegarde de l’édifice démocratique.

Dans la pratique, à la grande satisfaction des Béninois, la Cour s’est révélé être l’une des clés de voûte de la stabilité constitutionnelle et politique de notre pays. Sa quête permanente d’indépendance, d’impartialité, de créativité et son audace ne font guère l’objet de doute.

Le constituant a voulu faire de la Cour le gardien de la constitutionnalité des normes, et en conséquence, l’a dotée de pouvoirs et de moyens comme il en existe rarement dans d’autres systèmes juridiques. A la lumière des élections successives qui se sont déroulées dans notre pays, il est à constater que, l’arbitrage de la Cour du contentieux électoral s’avère de plus en plus complexe en raison entre autres de l’insuffisante modernisation de notre système politique et électoral. C’est pourquoi, mon gouvernement a lancé la réflexion sur les reformes dont la mise en œuvre nécessite la relecture de notre constitution du 11 décembre 1990. C’est dans cette perspective que la Commission AHANHANZO GLELE dont vous en étiez un des éminents membres, appuyée par la première Présidente de notre Cour Constitutionnelle Madame Elisabeth POGNON et le Professeur HOLO, membre de notre Institution constitutionnelle et actuel Président de la Haute Cour de Justice, a proposé les modifications de notre loi fondamentale autour notamment des points ci-après :

–      La création et la constitutionnalisation de la Cour des Comptes ;

–      La constitutionnalisation de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) ;

–      L’imprescriptibilité des crimes économiques.

Comme vous pouvez le constater, ces propositions de modifications ne concernent en aucun cas les options fondamentales de la Conférence Nationale de février 1990 et qui ont été réaffirmées par la loi référendaire déjà promulguée portant conditions de recours au référendum à savoir :

–      La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ;

–      L’atteinte à l’intégrité du territoire nationale ;

–      Le mandat présidentiel de cinq (05) ans renouvelable une fois ;

–      La limite d’âge de quarante (40) ans au moins et soixante-dix (70) ans au plus pour tout candidat à l’élection présidentielle ;

–      Le type présidentiel du régime politique au Bénin.

Ces fondamentaux sauvegardés, il m’apparaît néanmoins indispensable de doter notre pays d’une Cour des Comptes qui est une exigence de notre démocratie, de notre sous région et de la communauté internationale, notre organisation communautaire en vue d’instaurer la bonne gouvernance, la transparence, l’obligation de résultat, de reddition des comptes et la lutte contre la corruption. Il en est de même de l’imprescriptibilité des crimes économiques. Ce projet de révision de la Constitution a été enrichi par la Commission GNONLONFOUN, dont je salue le professionnalisme de chacun des membres, et transmis pour examen à la Représentation Nationale.

C’est dans ce même cadre qu’il faut comprendre les reformes engagées par les forces politiques et mon gouvernement qui ont abouti à l’établissement de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI), sous la supervision de nos Partenaires Techniques et Financiers à qui je renouvelle notre gratitude. C’est le lieu pour moi de saluer les efforts entrepris par notre Institution parlementaire pour la modernisation de notre système électoral à travers l’adoption des lois portant correction de la LEPI et du Code Electoral. Par ce Code Electoral, la CENA revêt désormais un caractère permanent. Ces acquis n’excluent pas de faire de cette institution un point de débat lors des discussions sur la révision de la Constitution. C’est pourquoi je lance donc un vibrant appel à la conscience collective de tout notre peuple, aux forces vives de la Nation, à la Classe politique, à toutes les institutions de notre République, à la société civile pour une mobilisation générale en faveur de la relecture consensuelle de la constitution en vue d’adapter notre démocratie aux mutations de notre société et de notre temps.

Il apparaît cependant qu’en 20 ans, la  Cour Constitutionnelle s’est imposée comme l’un des gardiens les plus crédibles des libertés. Mais les progrès de la justice constitutionnelle mise sur orbite au Bénin par le Haut Conseil de la République au lendemain de la Conférence nationale ne peuvent occulter les insuffisances, les échecs et les défis qu’il importe de relever. 

Mesdames et Messieurs,

Vous convenez avec moi que ce qui est en débat ici, ce n’est ni l’existence de la Cour, ni ses attributions, encore moins son apport à la consolidation de l’Etat de droit. Ce qui préoccupe l’opinion et que je voudrais partager avec vous, c’est comment renforcer la Cour, pour qu’elle consolide ses propres acquis et améliore ce qui a moins bien fonctionné. C’est la raison pour laquelle il me paraît légitime, deux décennies après son installation, de marquer un arrêt afin d’auditer son action dans chacun de ses domaines de compétence.

A l’ouverture de cette rencontre, une question traverse les esprits et semble se poser aussi bien aux spécialistes que vous êtes qu’à tous les béninois : l’activité de la Cour a-t-elle été à la hauteur des espoirs placés en elle ? Quel bilan peut-on tenter 20 ans après son installation ? Quelle est sa contribution à l’enracinement de la démocratie et à la consolidation de l’Etat de droit ? En somme, quelle est la part de la Cour constitutionnelle dans la consolidation de notre renouveau démocratique lequel doit se nourrir de renouveau économique ? Quels sont les défis qu’il importe d’anticiper ? Son degré d’adaptation dans un monde en perpétuelle mutation ? dans une sous-région en quête de l’unité nationale dans nos pays, en quête de la stabilité, de la paix, de la sécurité, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, de la transparence, de l’obligation de résultat et de reddition des comptes ? Le profil de notre Constitution ne peut être neutre face à ces défis souvent bafoués au nom d’une liberté.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques-unes des interrogations que soulèvent les 22 ans de justice constitutionnelle au Bénin et auxquelles vous ne manquerez pas d’apporter des réponses susceptibles d’améliorer notre justice constitutionnelle.

Je reste attentif aux résultats de vos travaux en étant convaincu que vos réflexions offriront à la Cour elle-même mais aussi au Bénin et probablement à d’autres juridictions des approches de solutions aux nombreuses questions auxquelles les juges font aujourd’hui face ou que posent leurs décisions.

Vive la Cour Constitutionnelle,
Vive la démocratie béninoise,
Que Dieu bénisse le Bénin
Je vous remercie.

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