Du métier du juge

Qu’est ce qu’un risque? C’est un danger éventuel plus ou moins prévisible auquel l’on s’expose. Ainsi tous nos engagements sociaux comportent une dose plus ou moins forte de risque. 

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Le conducteur de taxi-moto court, chaque jour, le risque d’un accident de la circulation. Le journaliste censé informer le public touche à des intérêts insoupçonnés. Il pourrait être payé de sa peine par des peines pouvant l’handicaper ou le détruire.

Le risque est au cœur de toutes nos missions. Cela ne doit aiguiser que plus notre conscience du devoir, notre sens des responsabilités. Restons dans l’actualité. Approchons-nous du dossier portant «tentative d’empoissonnement du Chef de l’Etat». La Justice est à l’avant-scène suite à l’ordonnance de non lieu rendu par le juge Angelo Houssou le 17 mai 2013.

La loi confère à un magistrat, un agent assermenté, d’écouter toutes les parties à un procès, témoins à charge et à décharge, d’examiner les arguments et les éléments de preuves des uns et des autres et d’émettre, à la fin, un jugement. Lequel rétablit quelqu’un dans ses droits, déboute un autre de sa demande ou le condamne à subir les rigueurs de la loi. Un juge, de ce fait, concentre en ses mains de vastes pouvoirs.

Pourtant, le juge n’est ni un ange ni un archange. C’est un être humain. Il n’a pas la prescience de Dieu, maître absolu du temps et de l’espace. Il peut donc se tromper. Et il se trompe souvent. Il n’est pas un modèle de vertu. Il doit compter avec ses défauts et ses faiblesses. Ses responsabilités sont sans rapport avec ses limites personnelles. Et pourtant, il lui est conféré le privilège de dire le droit. De le faire en toute indépendance et selon son intime conviction. C’est-à dire prêt à mettre sa main au feu ou à donner sa tête à couper pour soutenir la décision qu’il prend. Le juge, dans ces conditions, se retrouve dans un face à face de vérité avec lui-même, avec sa conscience, par delà toutes considérations. Dans l’affaire de «la tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat», le juge Angelo Houssou a-t-il des coudées franches pour trancher franchement, en toute liberté, la conscience tranquille et l’âme en paix, dans l’esprit du devoir accompli?

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Dans une mission aussi complexe, aussi délicate le juge peut compter sur son savoir et sur son savoir-faire. Sa formation de magistrat le prédispose pour la mission. La pratique et l’expérience le confortent et le renforcent. Du reste, le dossier confié au juge Angelo Houssou est lourd, très lourd. On ne saurait ni le remettre en des mains inexpertes ni le confier à un amateur. Les capacités professionnelles du juge désigné l’ont fait reconnaître comme l’homme de l’emploi, l’homme de la mission.

Mais si le juge peut exercer un contrôle ferme sur ce qu’il sait et sur ce qu’il sait faire, a-t-il, in fine, une égale maîtrise des autres dimensions de son dossier ? Celui-ci se décompose en plusieurs sous-dossiers, les uns aussi complexes que les autres.

L’un des sous-dossiers a trait à la personnalité des protagonistes. D’un côté Patrice Talon, un magnat de l’or blanc qui a des biens à milliards au soleil. De l’autre, Boni Yayi, Chef de l’Etat, Président de la République, et pour faire un clin d’œil à la justice, Président du Conseil supérieur de la Magistrature. Avec deux têtes d’affiche de cette grandeur et de cette importance, nous sommes loin d’un procès ordinaire.

Un autre sous-dossier tient à la nature de l’affaire visée et à la qualité des personnes engagées. On parle d’empoisonnement, donc de la volonté de donner la mort. La cible visée, c’est le Chef de l’Etat qui est, en soi, une institution. D’où l’inévitable dimension politique, voire politicienne des enjeux.

Encore un autre sous-dossier : l’environnement national et international. Il faut compter avec l’émotion des populations, conviées à diverses manifestations. On ne peut faire l’impasse sur les tourments de nos partenaires brutalement placés devant une véritable équation à plusieurs inconnues. Il faut être sourd pour ne pas entendre la grosse caisse de la communication.

Voilà ce à quoi se trouve confronté un juge. Il doit décider et trancher dans le charivari des passions déchaînées, malgré le brouhaha des opinions contraires, en dépit des pressions de toutes natures, visibles et invisibles qui tirent à hue et à dia. Que dire ou que conseiller au juge dans ces conditions extrêmes? C’est Platon qui nous passe le mot : «Deviens qui tu es».

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