GG Vikey, le poète exalté

Gg Vikey a tiré sa révérence. A l’occasion de son décès, la rédaction de votre journal La Nouvelle Tribune a jugé utile de revenir sur sa vie, à travers ce texte de l’écrivain et chroniqueur béninois, Florent Couao-Zotti, publié le 3 décembre 2007.

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Il y a quelque temps, je rencontrais, avec un ami, GG Vikey dans sa villa de Calavi, une des banlieues populaires de Cotonou. Quand je lui ai fait savoir que je voulais réaliser un documentaire sur lui et sur sa carrière, il a paru embarrassé, puis a manifesté du bout des lèvres son accord. Des dates avaient été alors fixées pour qu’il me raconte par le menu sa vie et ses souvenirs. Mais aucun des rendez-vous n’a jamais pu être tenu. Motif ? L’auteur de « le lac Ahémé » évoquait à chaque fois mille et une raisons pour repousser notre entretien. A la vérité, il n’avait strictement rien à rebattre de sa vie artistique passée. Comme si, remonter le temps, revisiter ses souvenirs, faire revivre ses succès d’antan, ne lui rapporterait que des regrets. On a l’impression que des plaies liées à cette période restent toujours ouvertes et qu’il ne veut, en aucun cas, les faire saigner à nouveau.

Et pourtant, GG Vikey demeure une icône. Non seulement pour la chanson, mais également pour sa poésie ; une poésie simple, traversée par un puissant souffle et une sensibilité extraordinaire. De lui, on disait qu’il avait le ton de Georges Brassens, le lyrisme de Otis Reading, mais surtout l’autodérision des gens de chez lui. Toutes choses qui ont fait de lui l’un des musiciens africains les plus talentueux de sa génération.

Et pourtant, sa carrière n’a tenu que sur dix ans. Dix ans (1964 et 1974) riches et prolifiques entièrement dévoués à la musique. Retour sur un parcours, sur la vie de ce « gentleman » qui a renoncé trop tôt à la gloire…et à la musique.

Enfance Novembre 1944.

Alors qu’en Europe, les troupes alliées lancent leurs derniers contingents pour défaire l’armée hitlérienne sur tous les fronts, naît à des milliers de kilomètres de là, dans une colonie française, le Dahomey, un petit enfant nommé Gustave Gbénou Vikey. Il est originaire de la sous-préfecture d’Athiémé, précisément du village Bopa, petite commune du sud-ouest du pays.

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Vikey est un enfant fort espiègle. Son père souvent absent – parce que cultivateur – c’est à sa mère, vendeuse au marché à qui revient son éducation.

A l’époque coloniale, l’école était presque gratuite. En 1950, quand il atteint l’âge de six ans, le petit Gustave, accompagné de sa mère, est inscrit à l’école primaire publique de Bopa. C’est là qu’il fera toutes ses classes avant d’obtenir son certificat d’études primaires en 1955.

Avec une bourse de l’éducation nationale, Gustave se retrouve au lycée Victor Balot à Porto-Novo. C’est le plus grand établissement scolaire du Dahomey, là où est formée l’élite du pays. Le jeune Vikey, en régime d’internat, aime souvent se retirer les soirs d’insouciance, pour jouer à la guitare. Bientôt, avec ses camarades, il forme le premier orchestre de musique moderne du lycée.

En avril 1960, après les congés de Pâques à Bopa, Gustave  Gbénou emprunte une pirogue pour Sègbohouè d’où un train devrait le ramener à Porto-Novo. Pendant la traversée, raconte Gilles Salla son ami et producteur antillais, « il est subjugué par les scènes des piroguiers et des pêcheurs sur le lac Ahémé. L’âme poétique de l’élève en est flattée ». Il compose sa première chanson « sur le lac Ahémé ».

L’Etudiant admirait Aznavour et Brassens, mais…

Le 1er août 1960, le Dahomey devient indépendant. Mais la tradition qui veut que les meilleurs élèves soient envoyés en métropole pour poursuivre leurs études, n’est pas abandonnée pour autant. C’est ainsi qu’après son bac, Vikey se retrouve en France le 2 septembre 1962, précisément au Havre où il s’inscrit à l’Ecole Supérieure de Commerce.

En été de l’année d’après, il se rend à Paris, profitant des vacances pour travailler et se faire un peu d’argent. L’époque est dominée par les chansons de Brassens et d’Aznavour. A la radio, à la télévision, et même à l’Olympia – salle mythique de spectacles – il y en avait que pour les deux stars. Le jeune homme les admirait certes, mais il préférait ses propres compositions.

Dans le bureau où il est engagé, Gustave chante à longueur du temps les chansons de son répertoire. Un fonctionnaire qui est dans le service, agacé de l’entendre ainsi, lui suggère d’aller faire une audition dans une maison de disques qui produit de la musique exotique. A la sortie, Vikey se rend à l’adresse indiquée, rue Richelieu. Celui qui le reçoit, un certain Gilles Sala, chanteur et également producteur aux studios Riviera, lui offre sa première chance.

Subjugué, Sala découvre des airs étranges, gais et presque mièvres, mais enracinés dans les réalités du terroir africain. Il fait signer aussitôt à l’auteur un 45 tour. Mais pour le marketing, on abrège le nom et le prénom par leurs initiales GG, et on y ajoute Vikey.

La carrière

Sur le disque, figurent quatre chansons : « Sur le lac Ahémé », « Le Mal du pays », « Ma petite Jeanne », « Laisse-moi t’embrasser ». Mais de tous ces morceaux, c’est « Sur le lac Ahémé » qui est plébiscité. L’accueil au Dahomey et dans la communauté noire de Paris est enthousiaste. L’année qui suit, c’est-à-dire en 1964, la jeune vedette passe à la vitesse supérieure avec un super 45 tour, l’inoubliable disque « gentleman Vikey », l’album de tous les records.

En fait, « gentleman Vikey » est une composition d’un musicien nigérian Bobby Benson intitulé « gentleman Bobby ». Bobby était à l’époque un grand musicien, chef d’orchestre (Bobby Benson and his Combo) qui a imposé le high life nigérian.

En reprenant le morceau fétiche « gentleman Bobby », Vikey lui donne une connotation particulière, faisant de son personnage l’éternel séducteur que s’arrachent les femmes. L’album est numéro 1 au hit parade africain, de 1965 à 1968 !

Avec cet enregistrement, le jeune étudiant a de quoi s’offrir un voyage sur sa terre natale. Héros d’une musique populaire, ses retrouvailles avec le Dahomey seront ponctuées de concerts aussi bien à Cotonou, à Porto-Novo qu’à Lomé. Désormais, ses fans se recrutent un peu partout en Afrique.

Après le Havre, et Toulouse, Vikey poursuit ses études à l’Ecole Supérieure de Commerce d’Amiens où il obtient son diplôme en 1967. Entre-temps, il enregistre son troisième album « vive l’Afrique », puis un quatrième « Vive les vacances », puis un cinquième « va-t’en donc ».

Le militant et le clerc

Si le musicien est un observateur attentif de son milieu, il reste, avant tout, un militant de la cause noire. Bien même avant d’aller en France et de s’inscrire dans le courant de pensée des poètes de la Négritude, GG Vikey célèbre déjà les valeurs de la civilisation africaine, contrairement au négationnisme de l’Afrique que prône la colonisation. Arrivé en France, ce sentiment se renforcera par la lutte que mènent les intellectuels, les écrivains et les artistes de la diaspora. D’ailleurs, il insiste pour qu’on mette sur ses premières pochettes le surnom de « chantre de la négritude »

A l’époque, les rythmes dominants en Afrique étaient le high life ghanéen, la rumba congolaise et le calypso caribéen. GG Vikey était partagé entre ces trois rythmes. Fallait qu’il trouve le juste milieux ou alors les adapter à sa musique.

Il fera le choix du high life à la sauce dahoméenne. Un rythme en deux temps, battu par une tumba, joué par petites touches avec parfois de petits roulements. En fond sonore, des notes d’accompagnement que domine, de temps en temps, la guitare solo.

Dans toutes ses compositions inoubliables, GG Vikey y déploie son talent d’observateur attentif de la vie quotidienne de l’Afrique profonde. Une Afrique dont il exalte les valeurs et les multiples facettes.

Mais dans toutes ces chansons, il y a toujours en arrière plan, des préoccupations politiques. L’artiste aborde des thèmes graves comme la décolonisation de l’Afrique, l’apartheid dont le continent, en sa partie australe, était encore l’objet. Avant tous les artistes, GG Vikey avait chanté la roue qui tourne.

Mais le thème récurrent de GG Vikey, c’est l’Afrique positive, les paysages enchanteurs, les joies, les peines, toutes les étapes de la vie : de la naissance à la mort, en passant par le mariage.

Tout le monde se reconnaît dans ses chansons et dans ses textes. Les familles ont adopté « Dieu te bénisse » pour le baptême de leurs nouveaux-nés. Dans les cérémonies de mariage, on joue « vive les mariés ». Les mères, pour endormir leurs enfants, fredonnent « la berceuse du Mono ». Pour tourner en dérision les vantards et les grands bouffis de ce monde, on chante volontiers « Vikey est mort ». Les révolutionnaires, eux, ont élu « la roue tournera » comme leur hymne. Bref, une variation de thèmes et d’inspiration qui est parvenue à emporter l’adhésion de tous.

Au total, GG Vikey a sorti six 45 tours, un trente tour avec une quarantaine de chansons.

 Incompréhensible sortie

Mais le héros va vite se taire. Prolifique dans sa jeunesse, très inspiré pendant ses années d’études, Vikey va progressivement arrêter son rythme de composition en même temps que ses apparitions en public. Il a fait des études de commerce et de comptabilité. Engagé à la fonction publique en juin 1968, il commence à occuper des postes de responsabilité dès 1970. Notamment comme Chef contrôle des prix au ministère des finances, puis chef de production industrielle. Directeur général de la Loterie Nationale, directeur d’ungrand hôtel appartenant à l’Etat, puis directeur des loisirs au ministère du même nom. Désormais, il est un haut fonctionnaire de l’Etat, obligé, semble-t-il, de tenir son rang. Mais on raconte aussi que des problèmes personnels liés notamment à sa vie de famille, lui ont sapé le moral et éloigné du monde musical.

GG Vikey devient sombre, enfermé sur lui-même et solitaire. Bien vite, on le soupçonne de dépression. Il redevient un simple fonctionnaire du ministère de l’économie affecté dans les poussières d’un bureau où on l’appelle « doyen ». Des producteurs tentent de l’arracher à l’anonymat et lui proposent des remakes de ses anciens morceaux. Des remakes faits avec des instruments à vent, et sur des rythmes « cavacha » à la congo-zaïroise. Malgré des prestations honorables, son nouveau disque ne soulève pas les foules. Il semble que le héros ait déjà tout dit. C’est alors qu’il fut admis à la retraite.

GG Vikey aujourd’hui

Le répertoire de GG Vikey est une mine d’inspiration pour la nouvelle génération de chanteurs et musiciens béninois. Certains morceaux sont devenus carrément des classiques, objets de reprises et de réadaptations des artistes d’ici et d’ailleurs.

Si Poly Rythmo, l’orchestre légendaire des années soixante dix et quatre-vingt, a repris « la berceuse du Mono » sous le titre de « toutou gbovi », Angélique Kidjo portera à l’internationale le même morceau mais en a capella sur son album Voodoo Child. Les H2O, quant à eux, produiront une version hip hop de « davi », tandis que le groupe Akpouké s’appropriera « no ahué » dans un style high life plus moderne. Même la fanfare de la gendarmerie nationale reprend régulièrement ses chansons lors des défilés militaires.

Alors que les musiciens qui se retirent de la scène sont oubliés de la mémoire collective, GG Vikey, lui, avec les années, acquiert de la dimension et une stature de plus en plus grande. Un peu partout en Afrique, aux Antilles,  en France, le héros est régulièrement invité. Pour recevoir les compliments, les prix et les trophées des mélomanes qui lui rendent encore hommage.

Appelé de temps en temps en studio pour participer aux reprises des morceaux à succès des années soixante et soixante-dix, GG Vikey montre à chaque fois que sa voix est demeurée intacte, que le souffle poétique vibre toujours dans ses entrailles, exactement comme une pépite d’or qui ne cessera de briller. En 2005, le troisième tome de Bénin passion lui a rendu hommage, à travers la plus emblématique de sa chanson « Gentleman Vikey ».

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