Mobilisation contre une révision opportuniste de la constitution

Le débat sur la révision de la constitution doit sortir des cercles des juristes et soit disant constitutionnalistes qui accaparent l’espace public et tentent d’intimider le peuple pour le tenir à l’écart de l’élaboration des règles qui régissent notre vie commune. 

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On nous brandit le nom de tel Professeur qui aurait écrit un opus sur les constitutions, tel autre qui aurait formé une kyrielle de constitutionnalistes, des forums d’experts se réunissentç à et là, des associations de « constitutionnalistes » s’érigent en censeurs et juges. Des « experts » français sont appelés au secours (50 ans après les indépendances nominales et des générations d’universitaires et praticiens du droit !).

Il existe certes des courants de pensée élitistes récusant la souveraineté des citoyens en matière constitutionnelle, réservant ce domaine aux spécialistes. En supposant que cela puisse se concevoir, l’expérience que nous avons de nos soit disant constitutionnalistes (au travers de la pratique des juges constitutionnels des 20 dernières années, plus particulièrement des sept dernières), prêts à s’aplatir devant les gouvernants, à avaliser les tricheries les plus manifestes, et aller au-devant des souhaits d’émasculation qualifiées des dispositions constitutionnelles (droit de grève…) n’autorise pas à laisser nos destinées en leur mains ; nos intellectuels ayant dans leur large majorité forfait un quelconque droit à parler en notre nom.

En plus des députes qui ont le devoir institutionnel de débattre et voter une éventuelle révision de la constitution, il importe donc que les citoyens ordinaires dont la vie en commun sera régie par ce texte, exercent leur droit de citoyen, en en débattant largement.

Je voudrais ici, à l’ écart des considérations et du jargon juridique évoquer quelques questions qui viennent à l’esprit, après lecture du projet envoyé à l’assemblée.

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Plusieurs questions se posent (les 5 W en Anglais : When, why, what, where, who) :

1. WHEN ou Quand, autrement dit y a-t-il urgence ?

L’élaboration de constitutions et les révisions majeures interviennent souvent à l’issue de graves crises mettant à nu les difficultés du système a fonctionner (Révolution de 1789 en France, Fin de la 2eme guerre mondiale en France en 1944, Fin de la 1ere guerre et chute de l’empire en Allemagne, Etat de cessation de paiements des Etats Américains liés par les articles de confédérations, déconfiture générale du Prpb de Kérékou et cie se traduisant par la banqueroute de l’Etat et une situation insurrectionnelle chez nous en 1989).

Certes le Bénin de Yayi est dans un état lamentable, mais nous n’avons pour l’heure pas de crise institutionnelle violente appelant des changements institutionnels urgents.

La constitution de 1990 n’empêche pas les institutions de la démocratie de façade que nous nous sommes donnée de fonctionner, nous n’avons pas des blocages répétés, des crises institutionnelles, empêchant de gouverner et d’agir, comme ce fut le cas dans la France d’après-guerre.

Au contraire, ce que l’on observe c’est la perversion de l’esprit de la constitution par un Yayi faisant tout pour élargir les pouvoirs déjà exorbitants du Président au travers de nominations partisanes, de  «mouillage des institutions», de recherche de majorité mécanique par tricheries, ruse et achat de votes. La révision à supposer qu’elle soit nécessaire peut attendre. Elle peut attendre un président en début de mandat qui ne serait pas soupçonné de vouloir s’éterniser par ce biais…

Elle peut attendre un président qui n’a pas fait la preuve de son désir de contourner la constitution en dépouillant les institutions de contre- pouvoir de toute crédibilité en y nommant des hommes ou femmes liges à la qualification douteuse et dont la personnalité et la capacité à défendre la constitution sont l’objet de doutes persistants.

2. WHY ou Pourquoi , Quels motifs

Le projet de loi soumis par le président a un long exposé des motifs, suivi de l’introduction  sur de prétendus nouveaux principes constitutionnels dans le préambule–comme la non exclusion –où est donc le consensus s’il faut y ajouter la non exclusion- le rejet de l’achat de conscience ou la non dévolution héréditaire du pouvoir – déclarations liminaires sans rapport avec le projet (aucune disposition nouvelle n’y répondant).

Retenons les trois points clefs justifiant selon Yayi une révision et examinons leur pertinence et urgence:

a.            La création d’une cour des comptes pour se conformer aux prescriptions de l’UEMOA et l’imprescriptibilité des crimes économiques pour une « meilleure gouvernance »

b. La mise en place permanente d’une CENA et de la LEPI pour des élections « transparentes et sincères »

c. L’introduction du referendum d’initiative populaire et l’initiative législative directe pour « élargir » la démocratie

De Gaulle disait « une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique. »

La constitution vient généralement codifier et institutionnaliser une pratique dont les bénéfices ont été éprouvés dans le temps. A contrario, nous semblons faire dans l’inflation des institutions dont l’efficacité et la pertinence au regard de nos moyens limités –en hommes de qualité et intègres – et en ressources leur assurant un fonctionnement efficace sont discutables.

Les motifs évoqués ne convainquent personne, particulièrement parce qu’il n’y a pas d’urgence et les remèdes suggérés inopérants.

Examinons ces motifs et remèdes en discutant du QUOI ou WHAT, ce que le gouvernement de YAYI propose de changer

3. WHAT ou Quoi, Quels changements

Les principaux changements proposés touchent aux 3 motifs s cités plus haut.

A. Sur le point La cour des comptes de France dont nous semblons devoir nous inspirer est l’héritière de siècles de pratique de contrôle des comptes publics depuis la période des rois…

Quel bilan peut-on faire du fonctionnement de la chambre des comptes de la cour suprême ? Quid de l’Inspection Générale ?

Aux USA, le Government Accountability Office – GAO- assure pour le compte du parlement le rôle de contrôle des comptes publics sans qu’il ait été nécessaire de modifier la constitution. Le GAO a été créé par une loi votée par le congrès.

Avant de créer et cristalliser de nouvelles institutions dans la constitution, établissons une pratique de contrôle rigoureux et systématique des comptes publics par la Chambre des comptes de la Cour Suprême. Il suffit pour cela que lors du vote du budget une disposition supplémentaire soit inscrite dans la loi pour tous les récipiendaires de fonds publics. Le parlement en tant qu’organe autorisant les dépenses a déjà cette prérogative. Pourquoi veut-on la transférer à un organe judiciaire sous contrôle de l’exécutif par le biais de nominations biaisées ? La constitution de 1990 stipule déjà :

Art112. -L’Assemblée Nationale règle les comptes de la Nation selon les modalités prévues par la loi organique de finances. Elle est, à cet effet, assistée de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême, qu’elle charge de toutes enquêtes et études se rapportant à l’exécution des recettes et des dépenses publiques, ou à la gestion de la trésorerie nationale, des collectivités territoriales, des administrations ou institutions relevant de l’Etat .ou soumises à son contrôle.

APPLIQUONS LES LOIS EXISTANTES, FAISONS EN LE BILAN D’EXECUTION AVANT D’EN INTRODUIRE DE NOUVELLES !

•             S’agissant de l’imprescriptibilité des crimes économiques, pourquoi ces crimes doivent ils être mis en épingle dans la constitution ? C’est une des dérives technocratiques des soit disant BCEAO boys qui pensent que l’économie supplante l’homme. Certes les crimes économiques sont odieux en ce qu’ils privent la société des ressources pour son développement et créent une culture d’impunité et d’incitation à la paresse et au vol sans compter tous les autres effets pervers … Mais la torture des citoyens –crime vis2 à l’article 19 de la constitution de 1990 et qui a trait à l’inviolabilité de la personne humaine –objet et raison d’être du développement -serait-il moins odieux ? Il y a un code pénal qui traite des crimes, ce code peut être amendé par des lois, pourquoi doit-on élever ce crime et en faire une disposition constitutionnelle ? A-t-on besoin de cela pour poursuivre les voleurs qui peuplent nos gouvernements et institutions, pendant et après leurs mandats ?

B.Sur le point B, la tartufferie est complète… Voilà un président qui a gagné les  élections par K.O. grâce a une Lépi introuvable, en contournant la Céna (bulletins distribués par le pouvoir dans les bureaux cibles…), qui veut cristalliser ces organes et instruments administratifs dans la constitution ! La raison d’être de la CENA est la malhonnêteté  des gouvernants qui utilisent l’appareil d’Etat (Ministère de l’Intérieur) et les pouvoirs locaux qu’ils contrôlent pour organiser la triche. On peut espérer que cette disposition transitoire ou les partis se surveillent mutuellement (avec les limites que l’on a vu avec la dernière CENA…) disparaitra avec la prévalence de l’Etat de droit ou des magistrats et juges pourront organiser la conduite et la proclamation transparentes  des résultats en utilisant les moyens existants (personnels et matériels) de l’administration sans que l’on ait àdégager des budgets faramineux pour chaque nouvelle élection. Institutionnaliser une CENA, c’est en faire un instrument que les pouvoirs chercheront àcontrôler de façon permanente pour s’assurer leur réélection (comme on le voit pour la Cour Constitutionnelle), sapant l’idée même d’un outil impartial d’organisation des élections !

Il en est de même de la Lépi dont la seule raison d’être est la qualité déplorable de l’état civil. Nul besoin d’en faire une disposition constitutionnelle, car demain un état civil plus fiable et de meilleures statistiques de la population la rendront inutile ou superflue. Au mieux ces dispositions peuvent faire partie du Code électoral et n’ont rien à faire dans la constitution.

C. Le référendum d’initiative populaire peut certes être un instrument de participation  du peuple à la gestion de la cité, mais il est plus souvent ou un outil démagogique aux mains des manipulateurs et extrémistes de tout bord comme on l’a souvent vu en Suisse avec les référendums xénophobes à répétition…

Dans les conditions d’analphabétismegénéralisé, de faiblesse des partis et organisations politiques représentantvéritablement le peuple, cette disposition ne servira qu’à donner à des politiciens véreux écartés du pouvoir législatif ou exécutif de financer une guérilla. Imaginez ce que pourront faire les caciques dans leurs clans respectifs ou il leur suffirait de distribuer 500.000 FCA (500F CFA à 1000 personnes) pour déclencher des processus de discussion et vote de lois d’initiative populaire…

4.WHERE ou le lieu de la révision

La révision YAYI passera-t-elle par la voie parlementaire ou référendaire ? Cela ne transparaît pas clairement du texte envoyé à l’assemblée.

La constitution de 1990 prévoit un processus de révision en 1 ou 2 étapes :

Art 154. –L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, après décision prise en Conseil des Ministres et aux membres de l’Assemblée Nationale. Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts des membres composant l’Assemblée Nationale.

Art 155. -La révision n’est acquise qu’après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l’Assemblée Nationale.

D’abord il faut voter le projet de révision à la majorité des ¾  de députes, puis soumettre à référendumà moins que la révision ait été votée par les 4/5 desdéputes. Le texte dit que le projet sera soumis à référendum après adoption de la loi de révision par l’Assemblée. Cela sera-t-il le cas si Yayi trouve un nombre suffisant  de députes votant pour (chose qu’il a tout faite pour obtenir avec le KO fictif)?

Dans tous les cas les démocrates doivent barrer la route à ce texte inutile, mal ficelé et nuisible, à l’assemblée

5.WHO ou qui

De tout ce qui précède on conclut aisément que YAYI est disqualifié pour conduire une révision constitutionnelle. IL a accentué la division du pays, crée une paranoïa avec des complots et coups d’état imaginaires , tenté de détruire syndicats et opposition, « mouiller «  les institutions de contrepouvoir, étouffer la presse, bref détruire les maigres fondements de notre démocratie de façade et restreindre les libertés individuelles et publiques chèrement acquises. Moins de trois  ans de la fin de son mandat, il est soupçonné a juste titre de vouloir s’éterniser au pouvoir ou de nous concocter un scenario à la Poutine.

Les véritables limites de la constitution

Les questions essentielles qui découlent de notre expérience des 23 dernières années, en particulier des sept dernières avec YAYI ont trait à la facilité avec laquelle un intrus sans aucun égard pour les principes démocratiques qui lui sont étrangers a pu émasculer les institutions de contre-pouvoir et mener une attaque en règle contre  les maigres acquis démocratiques.

Il importe donc à mon humble avis de :

• limiter les pouvoirs présidentiels

• renforcer le contrôle parlementaire de l’action gouvernementale et donner au parlement les moyens de ce contrôle en leur fournissant des ressources humaines de qualité (assistants parlementaires, auditeurs etc…)

• démanteler les institutions budgétivores/ inutiles comme celles du  médiateur ou du CES (au vu de leur actions passees) ou celles qui limitent la democratie au lieu de l’etendre comme la HAAC

• revoir le mode sélection, de nomination des dirigeants et membres d’institution (voire ministres et dirigeants d’entreprises publiques au-delà d’un seuil de capital ou de CA). Majorité hyper qualifiée (4/5),critères d’expérience (comment comprendre qu’un juge constitutionnel aux pouvoirs étendus soit un sociologue sans expérience ou background judiciaire, sans personnalité affirmée et testée ?), procédure de confirmation des nominés par une majorité qualifiée du parlement, renouvellement par tiers des institutions pour en préserver la stabilité et les soustraire au calendrier électoral etc…

• insérer / forcer la culture du compromis dans le fonctionnement des institutions en garantissant à l’opposition –quel que soit son taux de représentation des possibilités de blocage (à travers le bureau, les majorités qualifiées –par exemple ¾ dont ¼ issu de l’opposition etc…)

Le chantier de la révision constitutionnelle doit se faire de pair avec celui de la construction et du renforcement de partis politiques représentatifs des intérêts du peuple, seul gage d’une démocratie représentative qui soit plus qu’une façade.

On est loin de la révision opportuniste de Yayi et ses conseillers politiques comme l’inénarrable Elegbe Amos , recordman toutes catégories de la transhumance ou Alexandre  Hountondji tentant de prolonger leur séjour dans les allées du pouvoir et à la table du festin.

Charles C Lokonon
Politologue

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