Projet de Conférence Nationale Souveraine de Juin 2015: un autre machin pour perpétuer l’impunité et la malgouvernance au Bénin

J’ai suivi avec beaucoup d’attention et un grand intérêt, la sortie médiatique de notre compatriote Valentin AGON, invité de l’émission hebdomadaire  “Zone Franche” sur la Chaine de Télévision privée Canal 3 du dimanche 26 Mai  2013.

Publicité

L’invité de Brice Houssou et de  Léandre Dossou, a largement parlé du projet d’organisation d’une nouvelle conférence nationale souveraine en Juin 2015, conférence au cours de laquelle les Béninois poseront les jalons  d’une nouvelle vision de développement véritable du pays, dans le cadre  d’un consensus. Monsieur Valentin AGON a indiqué travailler avec Monsieur Sèdégan sur ce projet pour lequel certaines personnalités consultées ont apporté leur aval.

Le but de cet article n’est pas de répondre à Valentin Agon en lui déniant le droit de réfléchir sur notre patrie commune, pour que nous puissions trouver une porte de sortie vers plus de dignité et de progrès, pour ce peuple qui a tant souffert et qui continue de croupir dans la misère. Je ne prétends pas non plus donner de leçon à qui que ce soit sur la meilleure formule pour mieux aborder les questions qui assaillent notre pays et taraudent les populations, quotidiennement confrontées aux affres d’un régime politique totalement tourné vers les intérêts des dirigeants. Je voudrais simplement, par le biais de cet article apporter ma contribution au débat que suscitera certainement ce projet, car j’ai la ferme conviction que c’est dans la confrontation des idées que jailliront les meilleures solutions pour la reconstruction de notre pays, dans l’unité et la paix.

Que sont devenus les acquis de la Conférence Nationale de Février 1990?

Il est vrai, de nombreux citoyens ont pensé, à tort ou à raison, que la Conférence nationale des forces vives de Février 1990, n’a fait que régler des problèmes d’ordre politique, auxquels notre pays était confronté, à savoir l’engagement du pays dans le processus de démocratisation, à un moment où le mur de Berlin était déjà tombé et où il eut été tout à fait anachronique de continuer à compter sur nos propres forces. Mais, à l’actif des participants à l’historique Conférence de 1990, unanimement saluée par la communauté internationale, il faut retenir le courage d’aborder des questions essentielles, dont la résolution devrait booster le développement économique et social de notre pays. Il s’agit du respect des libertés individuelles et collectives, à côté de l’option de l’économie de marché au fondement duquel se trouve l’initiative privée.  Et ce n’est pas par un simple hasard que le Professeur Albert Tévoédjrè, Rapporteur général de la Conférence avait déclaré : « nous avons vaincu la fatalité ».  Et les cinq années qui ont suivi cette conférence n’ont pas démenti cet engagement consensuel des participants, et du pays tout entier, en faveur du renouveau démocratique. En dehors de quelques erreurs de communication politique du Premier Ministre de la transition qui a ensuite gouverné notre pays pendant cinq ans, le Président Nicéphore Dieudonné Soglo, pour ne pas le nommer,  le Bénin avait pris son envol économique et politique, avec une opposition vibrante, incarnée par Albert Tévoédjrè lui-même, pour ne citer que le plus virulent.

Pourquoi l’idée d’une autre conférence nationale en 2015?

Encore une fois, loin de moi l’idée de dénier à mes compatriotes Agon et Sèdégan, la légitimité de leur projet, encore moins leur capacité à conduire ce projet à terme, s’ils sont convaincus que c’est dans l’intérêt bien compris des Béninoises et des Béninois.  Seulement, il me semble tout aussi légitime de se poser la question de la pertinence d’un tel projet. Et voici pourquoi.

Publicité

Il est temps que nous autres Béninois, commencions à embrasser les problèmes réels de notre pays, et faire face à la réalité des faits, car ils sont têtus. Comment organiser une conférence sur une nouvelle vision de développement, alors que nous savons tous que les maux dont souffre notre pays ne sont pas d’ordre économique? Ces maux ont pour nom, non-respect de la constitution et des lois de la République par les dirigeants au sommet de l’Etat, la manipulation politicienne, le contrôle excessif de l’exécutif sur les autres institutions de contre-pouvoir,  le clientélisme, la haine et la jalousie sur fond de régionalisme, lui-même érigé en système de gouvernance et ouvertement assumé par le Chef de l’Etat. Messieurs Agon et Sèdégan veulent-ils un dessin pour comprendre ces réalités que tout le monde voit et vit? Pourquoi aller à une conférence de cette nature, alors qu’on sait sur quels leviers agir pour faire relever l’économie, booster la croissance et organiser les mécanismes de solidarité interne, pour faciliter le développement économique et réduire la pauvreté? A-t-on besoin d’une conférence pour savoir quel est le rôle du secteur privé et créer les conditions idoines pour que les opérateurs économiques travaillent en toute quiétude, produisent la richesse, créent des emplois et contribuent au budget de l’Etat?

Monsieur Sébastien Ajavon, PDG de la Société Cajaf Comon, a plusieurs fois indiqué que notre pays peut atteindre une croissance économique à deux chiffres, en un temps record, si  l’Etat écoute les operateurs économiques et collabore franchement avec eux dans le strict respect des lois de la République.  Lui a au moins le mérite de ne pas faire l’amalgame entre les affaires et la politique, pour enfin s’exposer au risque de complot contre la sureté de l’Etat. Ce n’est pas de la magie, encore moins du discours ou de la prestidigitation, mais du concret, et je le pense et j’y crois fermement.

Poser le bon diagnostic: le vers est dans le fruit

Qui peut accuser le peuple béninois aujourd’hui, d’être incapable de réflexion ou d’avoir une mentalité à l’envers du développement? Qui peut dire que les Béninois ne travaillent pas? Ce serait une injure de penser ainsi d’un peuple qui donne le meilleur de lui-même, mais qui n’a eu que rarement des dirigeants qui le tirent vers le haut. J’admets que c’est le peuple qui pense son développement et travaille pour se développer. Mais, que peut-on attendre d’un peuple en grande partie analphabète, et qu’on fait tout pour maintenir dans l’obscurité, avec des pratiques d’un autre âge, telles que les marches de soutien, des prières tous azimuts pour la gloire du Prince, au lieu de le laisser travailler.  Le rôle d’un leader qui lève la main pour conduire un peuple est de tirer ce peuple vers le haut, en servant de modèle, en adoptant des comportements exemplaires, tels que le respect de la constitution et des lois de la République, la promotion de la justice sociale et de l’équité, le respect des libertés, l’engagement en faveur de l’unité nationale, pour ne citer que ces valeurs.  François Hollande, Barack Obama, Angela Merckel, Allassane Dramane Ouattara, tous ont un salaire connu qui est publié sur le site Internet de leur pays. Qu’en est-il du Président Béninois dont on prétend qu’il travaille bénévolement pour nous depuis Avril 2006? Ce sont ces petites choses qui font les grandes nations. Qu’on cesse donc de passer à côté des problèmes.

Or, à quoi assistons-nous depuis Avril 2006? Il n’est pas utile de revenir ici sur ce que tout le monde sait, voit et vit. Dans ces conditions, il est important de poser un bon diagnostic, clair et sans ambages, pour savoir la méthode et les approches que nous devons mettre en œuvre pour faire relever notre pays à partir de 2016. A quoi sert-il de mettre une vision de développement dans une constitution, quand on sait que c’est le choix de modèle politique qui dicte le système économique, et ce choix nous l’avons déjà fait? La place d’une telle vision n’est certainement pas là, étant donné qu’un programme de développement peut évoluer rapidement au gré des mutations économiques, politiques, sociales, culturelles et technologiques, alors que la modification d’une constitution obéit à des impératifs qui tendent à résister au temps, sans compter la résistance des citoyens, si l’on doit se référer régulièrement à la loi fondamentale, pour la modifier.  Mieux, on ne peut prétendre imposer à un Chef d’Etat élu, les idées à partir desquelles il entend conduire le pays vers le mieux-être qu’il a promis dans son projet de société. Tout groupe politique qui aspire au pouvoir doit avoir la latitude de penser le développement du pays, en utilisant les ressources internes, mais aussi celles que lui offrent les innovations technologiques et l’évolution globale du monde.  A-t-on besoin d’une conférence sur le Développement pour s’occuper convenablement des enfants de l’arrondissement de Dèkin, qui meurent actuellement par dizaines, faute de leur prise en charge correcte par le système de santé, alors que c’est leur droit  légitime? Faites un tour à ce qui tient lieu d’hôpital de zone à Pobè, et vous mesurerez l’ampleur du drame que vit le peuple béninois. La grande collection d’éléphants blancs se poursuit impunément. A-t-on besoin d’une conférence pour apporter les services sociaux de base aux populations?  Chercher à confiner la pensée qui doit sous-tendre le développement d’un pays, dans le cadre d’une constitution, revient à restreindre les libertés et livrer la constitution elle-même, loi fondamentale, à un exercice de révisions cycliques.

Le devoir de vérité

Face à la grave crise de confiance que traverse notre pays et qui plombe son essor économique, nous devons avoir le courage de nous dire la vérité.  Celui que les Béninois ont élu en Mars 2006, pour les conduire vers un bien-être, s’est révélé le plus commun diviseur, et celui qui crée les pires ennuis à l’économie, par la méthode de gouvernance que nous avons “subie” sept ans durant. Celui qui a prêté serment de travailler pour l’unité nationale, c’est plutôt lui qui a promis faire descendre les siens dans la rue pour affronter ses détracteurs. Celui qui doit garantir la paix et la stabilité sociale, c’est plutôt lui qui menace de mettre le pays à feu et à sang. Celui à qui les Béninois ont confié leur destin en Mars 2006, c’est lui qui détruit tout le tissu économique, par ses actes quotidiens et ceux des personnes qu’il place dans les positions stratégiques.  Faites un point des emplois perdus avec la fermeture de Benin Control SA et des antennes de Cajaf Comon, rien que ces deux entreprises, et vous auriez compris l’ampleur du mal que notre pays vit.

C’est pourquoi il faut avoir le courage d’appeler un chat un chat et éviter de tourner en rond, en perdant du temps, des ressources et de l’énergie, dans des conférences et des séminaires sans tête ni queue. Si nous continuons d’avoir peur de dire la vérité, nous apportons de l’eau au moulin de ceux qui, par leur stratégie de “peur sur la ville”, pensent soumettre les Béninois à leur plan machiavélique pour se perpétuer au pouvoir par la terreur, l’intimidation, le mensonge et la gabegie.

Il faut plutôt une conférence politique

De mon point de vue, c’est d’une conférence politique qu’on a besoin, pour nous entendre sur les meilleures modalités de dévolution du pouvoir d’Etat dans notre pays, en tenant compte de notre histoire et de notre sociologie politique. Il faut revoir la désignation de nos leaders, Chef d’Etat et députés, c’est-à-dire des gens véritablement engagés pour le développement du pays, et non des personnes qui prennent le destin du peuple et s’amusent avec.  La situation actuelle, faite de tricherie et de monopolisation des institutions par un seul homme, ne saurait amener aucun peuple vers le développement. Une fois que l’architecture politique, avec des modifications institutionnelles bien discutées, sera repensée, et les mécanismes de facilitation identifiés de façon consensuelle, l’environnement pour une économie prospère, porteuse de croissance et de développement émergera, si chacun respecte les règles du jeu démocratique dans la transparence et l’amour pour le pays. Tant que certains penseront que par la ruse, la tricherie et même en utilisant la violence, pour que ce soit les personnes des mêmes parties septentrionales qui gouvernent toujours le pays et que les autres, souvent plus compétents qu’eux, serviront sous eux en leur apportant de la caution à leur entreprise d’avilissement des femmes et hommes de qualité, notre pays peut organiser une conférence sur le développement tous les mois, nous n’irons nulle part.

Nous devons aussi éviter de construire une nation sur la base de l’impunité. Nous devons éduquer nos dirigeants aux exigences de la redevabilité. Tout Président de la République, ministre, Président d’institution ou Directeur Général d’entreprise qui a mal géré la chose publique, doit répondre de sa gestion dans le cadre d’un mandat clair et précis. Procéder autrement, en frayant des avenues pour des dirigeants qui ont conduit le peuple et le pays à la ruine, de se soustraire à la vindicte du peuple et de la justice, en allant, par des alchimies du genre conférence, sous leur parrainage, apporter leur caution à une prétendue vision de l’avenir, c’est promouvoir l’impunité. Si le Président actuel savait le faire, s’il en était capable, pourquoi sentirons-nous la nécessité d’aller encore à une conférence. L’échec est là, patent sous nos yeux, et nous n’avons point besoin de lunettes, ni de microscope pour expliquer le grand retard que nous avons pris au plan économique, ces dernières années, même par rapport à des pays en crise politique. C’est le résultat de la gouvernance calamiteuse où un seul homme qui fonce, tête baissée, et qui prétend détenir la vérité et choisit d’abandonner la proie pour l’ombre, alors que notre pays regorge d’hommes et de femmes capables de faire relever notre économie.

Le Professeur Albert Tévoédjrè, citoyen universel, et ses compagnons, doivent savoir que nous n’avons pas encore vaincu la fatalité.

Coffi Adandozan

Economiste-Planificateur Lille, France

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité