L’Egypte, si loin et si proche

Disons-le d’emblée : ce qui s’est passé l’autre jour  en Egypte  est  un coup d’Etat. Lui coller le qualificatif de militaire ou de constitutionnel ne change rien à la nature de l’acte qui a été commis à l’encontre d’un président démocratiquement élu (52 %) à l’issue d’un scrutin indécis, mais âprement disputé.

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Le reconnaître d’emblée c’est avouer que rien n’est encore joué en Egypte, tant il est vrai que les intégristes  de la Confrérie des Frères musulmans n’ont pas encore dit leur dernier mot, pour ne rien dire du jeu des militaires dans une région où les enjeux géostratégiques pèsent  lourdement sur  les choix politiques des  dirigeants des nations arabes du  Proche et du Moyen Orient. Mais il y a  coup d’Etat et coup d’Etat. Ce qui s’est passé en Egypte n’a rien à voir avec le coup de force du Capitaine Sanogo au Mali, ni avec  celui des militaires Bissau-guinéens dans le petit narco-Etat du Golfe de Guinée. En Egypte, c’est un vaste soulèvement populaire, certes  soutenu par les militaires, qui a emporté Morsi. Car, si les militaires du Général Sissi n’avaient pas appuyé les manifestants de la place Tahir, ou les avaient simplement réprimés comme sous Moubarack, le bras de fer n’aurait pas tourné court aussi vite. Il n’empêche ! Ce coup d’Etat est de ceux dont on souhaite l’avènement – pour aller vite et minimiser le coût humain de la répression aveugle et sanglante- quand le tenant du pouvoir s’arc-boute sur son fauteuil, fort d’une majorité mécanique d’un jour, ferme toutes les possibilités de dialogue avec les forces d’opposition et privilégie les passages en force. N’en déplaise à l’Union africaine et à la très hypocrite « communauté internationale » ! On l’a vu au Niger avec Mamadou Tanja qui a fait modifier la constitution  et remplacer les membres de la Cour constitutionnelle de l’époque, opposée à une révision constitutionnelle, pour se maintenir au pouvoir. On l’a vu récemment en Centrafrique avec la rébellion dite Séléka qui n’a pas encore fini de faire parler d’elle et qui a contraint Bozizé à quitter le pouvoir.

Et voici la leçon venue d’Egypte pour tous les pays en voie de démocratisation : Quand les dirigeants se font sourds aux revendications de leur population, quand le pouvoir campe uniquement sur la légitimité issue des urnes, pour refuser tout dialogue avec, et toute concession à son opposition, c’est la rue qui impose sa loi. Le général Al Sissi, ministre de la Défense nommé pour remplacer le vieux maréchal Tantaoui,  a envoyé  au Président Morsi plusieurs signaux de nature à l’amener à négocier avec son opposition. La dernière en date est le faux bond de Morsi, qu’il a réussi à convaincre de participer à une table ronde pour discuter de la loi à soumettre au référendum. C’était en fin novembre 2012 quand l’opposition composée des libéraux et des chrétiens s’est retirée de l’Assemblée constituante, pour la non-prise en compte de ses revendications. La suite, on la connaît : le référendum organisé au forceps s’est conclu par une victoire à l’arrachée des intégristes. C’est que les Frères musulmans, encouragés par la percée des Islamistes dans les pays du Maghreb, Tunisie, Lybie et même au Maroc, et s’appuyant sur les succès de leurs homologues de Turquie, ont cru venue l’heure d’imposer leur agenda secret  de dissémination de l’intégrisme dans la société égyptienne. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la récente nomination par Morsi de 17 des 27 gouverneurs de province. Le mouvement de contestation Tamarod avait déjà choisi la date symbolique du 30 juin, 1er anniversaire de Morsi au pouvoir, pour exiger son départ du pouvoir. Plus de 20 millions d’Egyptiens ont signé une pétition pour le destituer du poste de président. Les Islamistes ont cru, jusqu’au bout, maîtriser le rapport des forces. Mal leur en a pris ! Ils n’ont rien compris aux raisons qui ont amené ce qu’on a appelé le printemps arabe. C’est toute la société des pays précités qui s’est unie comme un seul homme pour mettre fin aux dictatures des Ben Ali, Khadaffi et autres. Certes, en Egypte, les frères musulmans, du fait de la répression sanglante abattue sur l’opposition laïque par Moubarack, constituaient la seule force structurée et organisée du pays. Tous les partis d’opposition avaient été noyautés par le pouvoir. Leur victoire aux différentes élections en est la preuve palpable. Mais, ses islamistes intégristes ont compté sans ce que nos amis communistes appellent «les mouvements spontanés des peuples». Souvenons-nous du petit chômeur de Tunisie qui s’est immolé par le feu. La leçon de l’histoire est imparable. Quand les peuples ont atteint le summum de l’exaspération, une seule étincelle peut mettre le feu aux poudres. Cependant,  il y a un hic : tous ces mouvements spontanés n’ont pas de leader crédible. D’où le cafouillage observé actuellement dans la désignation d’un Premier ministre de transition, un cafouillage qui ne peut que profiter aux putschistes. Une leçon de choses à méditer par les démocrates d’ici et d’ailleurs.

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