Déroutant Bénin. C'est la veillée d'armes aussi bien chez les révisionnistes que chez les antirévisionnistes. Dans le cliquetis des armes qui sont fourbies de part et d'autre, une seule question domine l'empoignade qui se prépare : faut-il ou non réviser la Constitution du 11 décembre 1990 ?
La réponse à cette question engage un débat qui ne doit pas nous faire perdre de vue bien d'autres débats, aussi importants qu'urgents. Pensons un instant à la vie chère, au délestage, à la sécurité des personnes et des biens, à l'essence de contrebande, à la sécurité routière, à la corruption galopante, à nos éléphants blancs, à la prochaine rentrée scolaire, à l'état de délabrement avancé de la plupart de nos centres de santé, au cimetière des droits humains que sont devenues nos prisons…
Les Latins, gens sages s'il en fut, disent "Primum vivere, deinde philosophari". Vivre d'abord, philosopher après. Dans le contexte béninois, cela signifierait exactement ceci. Il vaut mieux se préoccuper de desserrer l'étreinte de la pauvreté et de misère que de se distraire ou de distraire ses énergies à courir après une activité non prioritaire comme la révision de la Constitution. Chaque chose en son temps et à sa place.
Pourquoi une activité non prioritaire ? S'il nous était donné de choisir entre une femme en couche, à l'article de la mort et une constitution à toiletter, notre décision, dans l'ordre des priorités, ne souffrirait la moindre ambiguïté. Pour dire que la révision d'une constitution, pour nécessaire qu'il soit, ne saurait prévaloir sur la nécessité de placer d'abord l'homme au centre, à la place qui ne doit jamais cesser d'être la sienne. Au regard de quoi, le contexte de crise que vit actuellement notre pays impose, humainement et moralement, d'orienter nos énergies vers des cibles qui attendent des réponses claires aux questions ci-après. De quoi les Béninois ont-ils le plus besoin par les temps qui courent ? Que choisir entre le développement au plus près des préoccupations des populations et la politique par dessus la tête de celles-ci et à rebours de leurs intérêts bien compris ?
Qu'on nous comprenne bien. Nous n'en sommes plus à nous poser la question de savoir s'il faut ou non toucher à la constitution. Celle-ci, pour importante qu'elle soit, n'a rien d'intangible, rien de définitif. Une constitution est à réviser chaque fois que l'on sent le besoin ou la nécessité de rapprocher la lettre de celle-ci au plus près de son esprit. Il faut y voir l'expression d'un souci d'efficacité. Un tel souci appelle l'expertise des spécialistes. Il ne saurait exclure, cependant, le consensus des forces vives de la nation, l'adhésion des populations qu'il faut prendre le temps et la peine d'informer le plus largement possible. La constitution du 11 décembre 1990, proposée à révision, n'est pas tombée du ciel. Elle est le fruit d'un consensus indiscutable. Celui-là même qui fit le succès de la Conférence des forces vives de la nation de février 1990. Pourquoi et au nom de quoi ce qui a été vrai et bon hier ne doit-il plus l'être aujourd'hui ?
Et c'est justement parce qu'il y a une certaine hâte à vouloir servir nos intérêts sans notre participation expresse et active qu'un léger vent de suspicion souffle sur un projet qui, avant d'être inscrit au mérite d'un homme se doit d'être l'affaire de tous. S'il ne devait pas en être ainsi, c'est la confiance, denrée importante s'il en est, qui en prendrait un coup.
C'est déjà la carte de la confiance que le chef de l'Etat a joué quand il a rassuré que la révision ne touchera pas aux fondamentaux comme la limitation des mandats et l'âge des prétendants à la magistrature suprême.
C'est la carte de la confiance que le chef de l'Etat a encore joué, quand il a clairement indiqué les points concernés par la révision. A savoir l'institutionnalisation d'une Cour des comptes, la constitutionnalisation de la Commission électorale nationale autonome (CENA) et du caractère imprescriptible des crimes économiques.
Reste au chef de l'Etat à jouer une dernière carte. Il s'agit de rassurer ses compatriotes que grand jamais, au grand jamais, il ne se prêtera à être une regrettable exception dans l'histoire du Bénin démocratique. A côté de Nicéphore Soglo. Il se retira au terme d'un seul mandat, suite au verdict des urnes. A côté de Mathieu Kérékou. Il se retira au terme de deux mandats, en conformité avec la Constitution. L'un et l'autre n'ont cherché ni à jouer avec le feu ni à jouer avec le peuple béninois. Ils on su, tout à leur honneur, tenir parole. Puisqu'il en a été ainsi, plaise à Dieu qu'il en reste ainsi.
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