Nous avons assassiné Mozart

La revoilà, la fête de l'indépendance. Le 1er août prochain, les Béninois observeront une pause dans la ronde des ans. Ils graveront, dans le livre du temps, le 53ème anniversaire de l'accession de leur pays à l'indépendance.

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Le régime du changement croyait bien faire en instituant le système des fêtes tournantes de l'indépendance. Une ville, généralement, une capitale, à cette occasion, accueille le Bénin tout entier. Belle opportunité pour équiper et pour doter les villes de l'intérieur d'infrastructures modernes.

Le Bénin n'a pas la paternité de la formule des fêtes tournantes de l'indépendance. Bien des pays l'ont précédé sur cette voie. Une découverte a une origine. Mais son usage est universel. Le football, par exemple, est d'origine anglaise. Mais personne ne peut empêcher les enfants de Nikki, au Bénin ou de Kédougou au Sénégal de s'y adonner à cœur joie.

Et le Bénin, dans la joie, adhéra au club des pays à régime des fêtes tournantes de l'indépendance. Si l'expérience avait été un succès, le Bénin ne l'aurait pas arrêtée depuis trois ans. Doit-on en conclure qu'elle est déjà morte de sa plus belle mort ? En tout cas, le certificat de décès se fait attendre. Pas d'annonce nécrologique. Il est des morts autour desquels on ne fait pas de tam-tam. Pour le repos de leur âme.

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Si, suite à cette disparition de l'être cher, nous devions porter le deuil, ne serait-il pas juste et sage que nous sachions pourquoi le faisons-nous, comment devons-nous le faire ? N'éludons pas, dès le départ, cette affirmation massive : l'expérience des fêtes tournantes de l'indépendance a vécu par déficit de méthode et d'organisation. A l'image d'un enfant qui a mal grandi, prématurément précipité sur la vaste scène de la vie sans les anticorps indispensables, sans le blindage de son système immunitaire. Un enfant exposé, par conséquent, à tous les dangers, dans un environnement malsain.

La phase de conception, au propre comme au figuré, n'a pas présidé à la naissance de cette expérience. Elle a jailli de nulle part et pour nulle part. Les pays qui ont réussi cette expérience, comme la Côte d'Ivoire de Félix Houphouet-Boigny, l'ont mûrement conçue avant qu'elle ne fût traduite dans les faits. Ce n'était pas par hasard qu'on l'ait voulue biennale. Elle avait ainsi lieu, tous les deux ans, dans une capitale de l'intérieur. Il fallait, en effet, se donner le temps de bien la préparer. Il fallait disposer des ressources nécessaires pour des investissements lourds qui devaient changer durablement la physionomie de la ville élue. Aucune forme de saupoudrage n'était tolérée.

Une phase expérimentale avait été observée à la genèse de l'opération. C'était comme si l'on avait alors affaire à un produit de laboratoire, sous l'étroite surveillance d'un bataillon de chercheurs et de spécialistes. De précieux enseignements avaient été tirés pour la poursuite de l'expérience. Des règles nouvelles avaient été établies. Tout comme avaient été engagés des ajustements jugés nécessaires.

La phase de développement de l'expérience avait sonné le temps de la maturité. L'idée avait nourri l'expérience qui, à son tour, avait conforté l'idée, dans la perspective d'un progrès illimité. On avait estimé avoir atteint une phase optimale d'expertise. Tout amateurisme avait été gommé. La qualité avait été au rendez-vous. Et la rigueur s'était imposée comme le maître-mot.

Cela n'avait pas empêché les concepteurs de l'expérience, malgré les succès enregistrés, d'évaluer leur action. Cela se justifie pleinement. Une expérience est mise en route. Il faut, chemin faisant, s'arrêter pour la regarder de plus près, un peu comme l'on fait la maintenance d'un véhicule ou d'un avion. Un arrêt salutaire qui vaut un audit organisationnel. Tout est scanné et examiné sous tous les angles. Tout est vu et revu à la lumière exigeante d'une critique sans concession. Les conclusions tirées remettent l'expérience à neuf et l'oriente sur les voies de sa pérennisation.

Voilà autant d'étapes que nous n'avons pas su observer, autant d'exigences que nous ne nous sommes pas imposés dans notre expérience des fêtes tournantes de l'indépendance. Nous n'avons pas eu l'enfant robuste dont nous rêvions. Nous n'avons pas su conserver non plus l'enfant prématuré que nous avons eu. C'est un peu comme si, sans le vouloir vraiment, nous avions assassiné Mozart.

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