Non libération des prévenus dans l’affaire Patrice Talon : les avocats dénoncent une «détention arbitraire»

Les avocats des prévenus dans les affaires de supposées tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat, ont donné hier, à l’hôtel Novotel, une conférence de presse pour exiger, «comme l’indique la loi», la libération de leurs clients relaxés par la Cour d’Appel dans son arrêt du 1er juillet. Synthèse.

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« Expression d’une indignation pour non application de la loi par le parquet de la Cour d’Appel. Plaidoyer pour le respect de l’Etat de droit.» C’est à cet exercice que se sont adonnés, hier à l’hôtel Novotel, les avocats des détenus, dans les affaires de présumées tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat.  Ce sont, Me Joseph Djogbénou, Me Charles Badou, Me Sévérin Quenum, Me Zakari Sambaou et Me Elie Vlavonou. Ces praticiens du droit représentent dans ces dossiers scabreux, Moudjaïdou Soumanou, ancien ministre et conseiller de Boni Yayi, Ibrahim Mama Cissé,  son médecin personnel, Zoubérath Kora, sa nièce, et l’expert-comptable Johannes Dagnon, ainsi que le commandant de gendarmerie Pamphile Zomahoun. Les trois premiers sont considérés comme des présumés complices de Patrice Talon dans l’affaire dit de tentative d’empoisonnement de Boni Yayi, qui défraie la chronique depuis octobre 2011. Les deux derniers sont aussi considérés comme présumés complices du même Patrice Talon, mais cette fois dans une autre affaire dite de coup d’Etat manqué, qui fait aussi la une de l’actualité béninoise depuis fin février 2013.

Dans ces deux affaires, la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Cotonou a confirmé, le 1er juillet, les ordonnances de non-lieu rendues le vendredi 17 mai par le juge du sixième cabinet d’instruction du Tribunal de première instance de Cotonou, Angelo Houssou. Dans les deux arrêts pris par les trois juges de la Chambre d’accusation, qui ont statué lors de cette audience en appel, il est en effet ordonné la libération immédiate des prévenus suscités. Mais, depuis lundi que le verdict de la Cour est tombé, et ce malgré les démarches de leurs avocats à l’endroit du parquet,  ces derniers étaient toujours en détention. Pour leurs avocats donc, il y a non-application du droit et violation de l’Etat de droit. Ils l’ont dit lors de leur conférence de presse d’hier.

Le droit

Les avocats de Boni Yayi et le Procureur Général près la Cour d’Appel, ont pourvu en cassation dès que les juges de la Chambre d’accusation ont pris leurs arrêts. Mais, le pourvoi en cassation est-il suspensif de ces arrêts ? En termes profanes, le fait que les avocats de Yayi et le Procureur Général ont saisi la Cour Suprême, empêche-t-il la mise en application du délibéré des juges de la Chambre d’accusation ; donc la libération des détenus ? La réponse est affirmative pour d’autres praticiens du droit, notamment les avocats de Yayi.

Mais hier, face aux hommes des medias, voici ce que Me Djogbénou en a dit : «Lorsque l’arrêt prononce la confirmation d’un non-lieu et demande la libération sans condition (comme dans le cas présent, Ndlr), le pourvoi en cassation ne suspend pas la mise en liberté.» L’homme de droit s’est référé à certains alinéas des articles 580, 581 et 582 du nouveau Code de procédure pénale, pour justifier sa position. 

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La logique

Selon Me Djogbénou, la philosophie générale du pourvoi en cassation, c’est de voir si le droit a été dit. Il s’agit en fait d’apprécier le fondement juridique des arrêts de la Cour d’Appel. L’agrégé en Droit privé explique que la Cour Suprême n’apprécie pas les faits. Car, les juges en première instance ont une «appréciation souveraine» des faits. Il finit alors par s’interroger : «Si la Cour Suprême n’établit pas la vérité factuelle, comment comprenez-vous alors que des personnes détenus pour l’établissement de la vérité des faits le soient encore ?» Son confrère, Me Zakari Sambaou, veut faire encore plus terre à terre : «Au-delà des questions juridiques, c’est une affaire de bon sens, de logique.» Et, à  Me Sévérin Quenum de se faire plus dure : «Il s’agit en réalité de la perversion du mandat de dépôt.»   «Pourtant, dira son confrère Me Badou, la liberté est la règle et la détention l’exception.» Me Elie Vlavonou ne dira pas le contraire de tout ce que ses confrères ont démontré et martelé.

De façon unanime, Me Joseph Djogbénou et ses confrères sont convaincus qu’à l’étape actuelle, leurs «clients font objet d’une détention arbitraire. Et ils doivent recouvrer la liberté.» Me Joseph Djogbénou, Me Charles Badou, Me Sévérin Quenum, Me Zakari Sambaou et Me Elie Vlavonou le clament haut et fort pour que l’Etat de droit triomphe. Et pourtant, sur cette question de libération des prévenus, le débat se poursuit entre spécialistes du droit. Et, hier, jusqu’au moment où nous mettions sous presse, Moudjaïdou Soumanou, Ibrahim Mama Cissé, Zoubérath Kora, Pamphile Zomanhoun, Johannès Dganon et  Bachirou Adjani Sika (garde du corps de Boni Yayi) étaient toujours en détention dans leurs prisons respectives

Les preuves de la détention arbitraire des prévenus

L'article 231 alinéa 2 du nouveau Code de Procédure Pénale (CPP), en vigueur au Bénin depuis mai 2013, dispose que les inculpés, préventivement détenus, sont mis en liberté lorsqu'ils bénéficient d'un arrêt de non-lieu de la Chambre d'accusation.

L'article 581 alinéa 1er dispose que, lorsqu'il y a pourvoi contre les arrêts de la Chambre d'accusation, il est sursis à leur exécution.

Il est cependant précisé à l'alinéa 3 du même article, que le pourvoi, bien que suspensif, ne fait pas obstacle à la libération immédiate du prévenu détenu qui a été relaxé.

De même, l'article 582 dispose que, le pourvoi en cassation contre un arrêt d'acquittement ne peut porter préjudice à la partie acquittée.

A la lecture de tout ce qui précède, il semble que les textes soient restés muets sur le droit de liberté, nonobstant pourvoi, des inculpés détenus bénéficiant d'arrêt de non-lieu.

La réponse à cette interrogation se trouve dans le Traité de procédure pénale Jack et Louis Boré  (cf. Répertoire Dalloz du Droit pénal verbo cassation n°315) qui indique que les dispositions légales sur l'acquittement valent également pour une relaxe ou un non-lieu.

Ainsi, l'alinéa 3 de l'article 581 conforte l'alinéa 2 de l'article 231, en précisant que la mise en liberté fait exception à l'effet suspensif du pourvoi en cassation, en matière pénale.

Il faut souligner, par ailleurs, que l'article 40 de la loi 2002-20 du 17 août 2007 portant Règles de Procédures applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour Suprême, qui dispose sans exception, que le pourvoi en cassation est suspensif en matière pénale ne peut plus être pris en compte depuis mai 2013, en raison de l'entrée en vigueur du nouveau Code de Procédure Pénale; la loi postérieure dérogeant en effet à la loi antérieure.

En conclusion, l'effet suspensif du pourvoi en cassation ne fait pas obstacle à la mise en liberté immédiate d'une personne détenue préventivement ou provisoirement, et bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement.                                         

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