Requiem pour les pauvres : pour éviter qu’ils ne meurent deux fois!

Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.

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Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau,
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère;
Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau !
Ainsi s’exprimait en 1835 le Poète Victor Hugo que je me permets de parodier en ce jour funeste du 30 juin 2013 en ces termes :
Ceux qui pieusement sont morts à cause de l’incurie de la patrie
Ont droit qu’en l’absence de cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau,
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère;
Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau sous l’eau!

En ce jour du 30 juin 2013, la nation entière a assisté en spectateur idiot à deux drames. Ils se sont produits dans les départements Ouémé-Plateau à quelques kilomètres l’un de l’autre, avec un bilan lourd dont le caractère cependant approximatif semble traduire le peu de cas que tout un pays et son système de gouvernement font des citoyens et de leur vie humaine. Vingt, trente, quarante morts ou plus, personne ne le sait ! Et suivant ce qui l’arrange, chacun y va de sa comptabilité ! Ce dimanche soir, aux dernières nouvelles, du côté de Gouti, une vingtaine de tués (sur le champ ou décédés au CHDO) ; du côté de Porto-Novo, également une vingtaine. Si les premiers conservent encore le droit fondamental à l’identité, il n’en n’est pas de même à la quasi-totalité des seconds dont les corps sont restés gisant au fond de la lagune de Porto-Novo. Au soir du drame, sur les chaînes nationales de télévision, pas de minute de silence, pas de musique religieuse ou autre pour inviter au recueillement ni aux prières, pas de déclarations solennelles d’aucune autorité. Deux communiqués respectivement signés des ministres de l’intérieur et des transports, étonnants l’un et l’autre par la vacuité…Rien que les deux ou trois minutes de reportage pour avouer impuissance et incompétence de ceux qui nous dirigent et incivisme des citoyens. Que c’est horrible de mourir au Bénin d’une mort injuste ! Que c’est horrible de se voir donner la mort dans l’insouciance générale et l’anonymat ! C’est vrai que toutes les victimes portaient un péché comme mortel : c’était des pauvres qui voyageaient en transport en commun ! C’est pourquoi nos projecteurs de télévision qui n’affectionnent pas particulièrement les pauvres se sont contentés juste du service minimum. Et comme dira l’un des représentants du gouvernement au milieu de tant de pleurs et de cris de révolte et désolation, périr au fond de la lagune n’est qu’un fait « anodin ».

Dans quel pays vivons-nous et quelle société voulons-nous construire et laisser à nos enfants ? Cette contribution n’est que le strict minimum qu’on puisse s’obliger à la mémoire de toutes les victimes des deux tragédies de ce dimanche 30 juin 2013. Elle focalise sur le drame de Porto-Novo à cause de nombre d’interrogations soulevées par trois personnages, en principe responsables, apparus en première ligne ce jour. Il s’agit du maire de Porto-Novo et de deux ministres du gouvernement, celui de l’intérieur et celui des transports.

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1. L’heure de la reddition des comptes

Monsieur le Maire : C’est louable de se déplacer immédiatement sur le lieu du drame. Ce qui l’est moins, c’est que vous ne disposez pas d’un plan d’urgence, un plan de préparation et de réponse face aux urgences, de sorte que votre présence sur les lieux s’est révélée inutile. Pire : à votre avis, combien coûte une vie d’homme ou de femme ? Vous êtes-vous jamais posé la question de savoir combien couterait votre vie si vous deviez la racheter ? 1md ? 500m ? 10m ou 1m ? Des insensés hier auraient demandé 150.000 FCFA par vie, semble t-il, si non pour sauver, du moins pour repêcher des corps inertes et permettre aux familles, aux amis et à la nation d’offrir des sépultures dignes à des personnes humaines comme vous et nous qui y avons droit. Vous avez trouvé que 150.000 FCFA par vie était énorme, et en bon commerçant que vous fûtes, vous avez refusé le marché ! En ceci, Monsieur le Maire, votre responsabilité est bien en cause malgré vos bonnesintentions. Car pour sauver des personnes humaines,  il est bien permis de satisfaire à des exigences de pirates de toutes sortes à des sommes que vous n’amasserez jamais de votre vie, quitte à se retourner contre eux pour les faire arrêter et traduire en justice, si nécessaire. L’actualité quotidienne regorge d’exemples. Mais que s’est-il donc passé, Monsieur le Maire ?

Monsieur le Ministre de l’Intérieur : C’est également louable de se déplacer sur les lieux du drame avec votre collègue des Transports quelques heures seulement après ; surtout pour de pauvres compatriotes, et pas forcément des militants, habitués à prendre le transport en commun ; certes un certain agacement se lisait aisément sur votre visage ; il est probable que vous ayez été dérangé dans le déroulé de vos programmes habituels de cultes d’action de grâces, de meetings et de réunions de soutien. Ceci dit, vous nous devez tout de même des explications quant au caractère « anodin » (dixit) du drame.

Qu’est-ce qui vous a paru anodin : Que les corps d’une vingtaine de compatriotes, pas moins citoyens que vous et nous, gisent de façon aussi injuste que dramatique au fond de la lagune et que vos Sapeurs pompiers et autres éléments du GIGN, entretenus à grands frais, observent en spectateurs hébétés la tragédie sans nom ? C’est vrai qu’ils ont argué à votre suite qu’ils ne sont pas outillés pour porter secours et assistance dans ce genre de situation.  Est-cela Monsieur le Ministre qui vous a fait dire que c’est anodin, ou pensiez-vous à vos braves forces de sécurité qui, postées à quelques mètres du lieu du drame, en toute incurie et l’incivisme le plus total, ont laissé et regardé le drame se faire ? Si c’est cela, vous en savez alors beaucoup sur les causes des drames de Porto-Novo, de Gouti et de tous les nombreux autres qui, quotidiennement, tuent nos compatriotes après avoir dépouillé et appauvri les complices ? Autant Sapeurs pompiers ni GIGN ne sont outillés pour sauver des vies humaines ou des corps noyés, autant les autres agents payés sur les maigres ressources des contribuables ne sont outillés pour contrôler l’état des véhicules ni faire respecter les lois de la République et, dans le cas d’espèce, le code de la route. Monsieur le Ministre, pensez-vous que nous soyons réellement en sécurité au Bénin ?

Le Ministre des Transports, présent sur les lieux, a essayé de rattraper la gourde de l’indécence et de la vulgarité.En vain. Car Monsieur le Ministre, face à ce drame inouï où plus de 20 corps sont en train d’être ensevelis dans la lagune et où l’urgence est de sauver ce qui peut l’être, pensez-vous honnêtement que ce soit le lieu de discourir sur des réunions de cabinet, aussi vaines qu’inutiles, dans un Etat de droit où des lois et des règles existent et n’attendent que d’être appliquées et respectées ? Ceux qui, disent-ils, vous ont connu brillant garçon au Canada s’étonneront sûrement que, dans votre position et votre rôle, vous n’ayez saisi l’occasion à vous offerte pour questionner la qualité et l’état de certaines de nos infrastructures routièreset annoncer des mesures pour que ce drame ne se reproduise. Avez-vous au moins remarqué, Monsieur le Ministre, que ce que vous appelez « garde-corps » (sans procès, nous, on est plus habitué à les appeler « garde-fou ») ressemble à s’y méprendre à nos ouvrages  en aluminium sur les balcons de salons huppés ? Vous avez certainement beaucoup plus que nous voyagé ; mais il nous souvient qu’ailleurs, et déjà pas si loin du Bénin, ces ouvrages, particulièrement quand ils sont construits sur des lieux aussi sensibles que des ponts, sont en acier bien trempé avec des volumes bien plus importants que ceux de balcons de drame que vous nous offrez. Peut-être auriez-vous manqué une occasion de ne pas venir à Porto-Novo et d’aller plutôt du côté de Gouti pendant que votre collègue officiait à la capitale dans la plus grande indolence et incompétence !

2. Le recours

La représentation nationale dont les bureaux sont à Porto-Novo a certainement suivi avec autant d’intérêt que d’impuissance les tragédiesde ce 30 juin. Elle est encore, à notre connaissance, sans voix devant tant de gâchis de vies humaines simplement du fait de l’incurie des uns, de l’incivisme des autres et, dans tous les cas, de l’incapacité des Béninois à faire respecter et appliquer pour les uns et à observer pour les autres les lois chèrement par elle votées. Il est impensable qu’une paralysie, d’où qu’elle vienne, l’empêche dans les tout prochains jours d’en appeler à la reddition des comptes dans la plus grande transparence. Car elle demeure encore, malgré tout, le recours élu.

En attendant, l’heure est au recueillement, aux prières, et surtout à la prise de mesures idoines pour éviter que notre Société ne continue de tuer les pauvres deux fois. C’est pourquoi nos représentants du peuple devraient en toute urgence veiller à ce que certaines questions soient clairement posées et équitablement résolues :

• Quelle(s) disposition(s) a minima pour permettre aux familles, aux amis et à la nation entière de faire leur deuil en l’absence des dépouilles de nos plus de vingt compatriotes ensevelis sous l’eau? Est-il envisageable que la Mairie de Porto-Novo mette immédiatement à disposition un espace et fasse construire, en concertation avec les autorités politico-administratives, un mémorial digne du nom? Quel(s) type(s) d’hommage? Qui organise ? Où ? Quand ? Avec qui?

• Quelles mesures d’indemnisation et de prise en charge des familles : veufs et veuves, orphelines et orphelins? Par quels mécanismes: Qui paie? A qui? Combien? Où? Quand? Qui contrôle ? Quel suivi?

• A supposer que la législation en la matière soit complète, quelles mesures administratives et policières pour renforcer le respect de la sécurité routière et éviter les gâchis humains auxquels la nation assiste impuissante?

•Quelles mesureset quels programmes d’évaluation des infrastructures routières, des ouvrages particulièrement sensibles en vue d’accroître la sécurité des usagers? 

Ces questions sont loin d’être exhaustives. D’autres aspects aussi essentiels que stratégiques devront être abordés. Parmi ceux-ci figure en priorité l’exigence pour les administrations publiques comme territoriales de disposer de plans de préparation et de réponse à l’urgence, régulièrement révisés et assortis des ressources humaines, matérielles et financières requises pour l’exécution en cas de crise.

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