Constantin Amoussou répond à Réckya Madougou

Les déclarations partisanes du Garde des Sceaux, Réckya Madougou, ancienne antirévisionniste, au profit de la révision de la Constitution initiée par le Président de la République, ont suscité la réaction de Constantin Amoussou, écrivain et chroniqueur. 

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A travers une lettre ouverte à la ministre, il souligne les lacunes qui ont jonché les propos de celle-ci, lui notifie le ferme engagement des jeunes à s’investir dans le noble engagement patriotique de défense de l’intérêt national et met en garde contre la menace sur les libertés individuelles et l’Etat de droit au Bénin.  

Lettre ouverte de Constantin Amoussou à Réckya Madougou

Madame la Ministre,

Avant toute chose, permettez-moi de remercier le Seigneur pour la grâce qu’il vient de faire à une illustre enfant du Bénin, à travers votre personne. Les choses répétées plaisent, et après le privilège d’avoir souhaité de vive voix, Happy Birthday à l’aîné à Magic Land il y a quelques années, je suis  heureux de pouvoir  formuler, quoi qu’à distance,  la « bienvenue »à son cadet, dans ce merveilleux monde des humains. Quant à vous-même, j’adresse mes vives et sincères félicitations et vous souhaite une santé robuste.

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Vous opérez donc votre comeback médiatique ce dimanche 04 août. Et comme il n’y a pas  de hasard en Dieu, cela coïncide  avec un anniversaire que j’ai l’honneur de vous remémorer.

Il y a en effet cinq (05) ans jour pour jour, le 04 août 2008, naissait un bébé pour lequel on aurait dû célébrer en ce jour les noces de bois. Mis diligemment hors d’état de nuire et assigné conséquemment à la gueule de bois, il repose en Paix depuis quelques années au cimetière des mortels.

La mortalité infantile des poupons de génie est ici une tradition républicaine, un sacrifice rituel, et BONJOUR CITOYEN n’est aujourd’hui  qu’un négligeable cadavre sur le pedigree des chiens écrasés de notre pays.

Or voilà, si vos souvenirs sont vivaces,  vous vous rappellerez que le petit enfant, avant sa  mort prématurée, vous aura accueillie un matin de janvier 2009, dans l’étreinte et la chaleur innocente de son cœur, quelques jours avant que vous ne vous envoliez pour Paris, en vue du lancement officiel de votre livre.

Si vos souvenirs sont vivaces, votre ouvrage portait le titre « Mon Combat pour la parole » et consistait en un sévère réquisitoire contre la classe politique, du vulgaire politicien véreux jusqu’à notre Pasionaria nationale qui vous aurait d’ailleurs affublée un jour (mais j’imagine gentiment) de cette courte formule pleine de rimes : « petite fille jolie et impolie ».

Il se trouve qu’en ce jour,  le défunt enfant se souvient, lui, de votre réquisitoire du 28 janvier  contre la révision « opportuniste » de la constitution commémoré au moyen d’un livre présenté au monde par son médium, et vous convenez qu’il rougit, du fond de sa tombe, de votre pathétique engagement, l’espace de quelques années, en faveur d’une révision « opportune » de la même constitution aujourd’hui.

Je fais ce rappel sommaire, par fidélité à la leçon d’Alexis de Tocqueville que je vous présume aimer, sinon naturellement ; du moins,  en vos qualités de Garde des Sceaux: « lorsque le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ».  Et même si l’illustre magistrat français semble ici se délester de sa toge pour se poser en historien, ce n’est sans doute pas pour vous déplaire, puisque vous faites de même en inaugurant votre intervention par un rappel historique sur l’origine de la « bonne » révision. Je vais rentrer dans le vif du sujet.

I-SUR VOS ARGUMENTS DE DROIT

Madame la ministre,

Après avoir été l’égérie de TOUCHE PAS MA CONSTITUTION, voici que vous vous êtes commise, ou l’êtes de votre hiérarchie, aux soins d’écumer désormais les plateaux de télévision, parcourir les villes et les campagnes pour y professer votre nouveau slogan: TOUCHE MA CONSTITUTION.

Et j’ai compris en vous suivant que le seul débat dont vous conveniez, c’est celui qui se mènera à l’intérieur de l’option révisionniste censée renforcer l’Etat de droit. Vos arguments, en cela sont singuliers : les experts, les constitutionnalistes, les articles…

Mais  vous le savez, si le droit n’était pas une discipline ouverte, il serait incongru que deux groupes d’avocats se battent avec des armes de droit dans les prétoires des tribunaux pour faire prévaloir les intérêts antagonistes de leurs clients respectifs.

Avant donc d’aller plus loin, nous serons intéressés de savoir pour qui et dans quel intérêt œuvrent vos experts et vos professeurs sorbonnards. J’ai fini avec ceux-là.

Sur la question des articles que vous citez, dans lesquels vous mettez au défi.., je vous assure avec respect, Mme la ministre, personne ne vous défiera. Sinon de quel droit et investi de quel pouvoir, défier la ministre de la justice sur des questions de droit ?

Mais au lieu de vous défier, permettez-moi de vous convier humblement  à méditer une formule de Georges Burdeau. Dans son ouvrage « La Démocratie » paru aux Editions Seuil en 1956, le réputé politologue nous prévient: « Ce ne sont pas les articles d’une constitution qui font une démocratie». Il nous invite ainsi indirectement à ausculter  l’esprit des lois, conscient que l’aménagement des normes et l’échafaudage institutionnel ne sont tout au plus que les instruments d’une Utopie démocratique. Qu’au-delà de ceux-ci,  l’homme demeure la mesure de toute chose, et c’est dans les linéaments de son action quotidienne qu’il faut chercher et trouver les fondements de ses projets.

A propos donc des solides arguments de droit que vous semblez détenir et de votre appel au débat à l’intérieur du cadre que vous avez tracé, nous opposons une irrecevabilité de principe, pour dol, et nous  sommes tentés de vous soupçonner même de trafic d’influence.

Vous dites n’être pas bien informée sur les brutalités policières à l’encontre du ministre Gaston Zossou. Croyez-moi Madame la ministre, je vous crois sur parole. Vous avez même mis en doute, la sincérité des faits relatés par les journaux, en bon disciple de St Thomas, le même, parce qu’il ne faut croire que ce que l’on a vu.

A moi, il a été donné de voir, pour m’être porté sur les lieux, dès l’alerte. Vous avez raison Madame de ne pas croire ce que j’ai vu, parce qu’à ce jour, même moi qui l’ai vécu en live, j’ai tellement de mal à le croire. Et si cela arrive, le jour où l’on commémore la fête nationale de mon pays, permettez-moi de vous confier que je trouve « minables » les Enfants du Bénin qui ne se mettent pas debout dès maintenant, pour dénoncer l’oppression, et livrer leur combat pour la parole.

Vous voulez réviser la constitution pour renforcer l’Etat de droit ?

Comme Figaro, personnage bouffon de Beaumarchais, franchement, permettez-moi de vous confesser mon état d’esprit : « je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». Où est l’Etat de droit que l’on veut renforcer, lorsqu’on peut arrêter un citoyen, qui plus est, un avocat, soupçonné de transporter des tracts, et le soumettre aux pires formes d’humiliation et de tracasseries policières le jour même de la fête nationale ? Où était l’Etat de droit quand on a massacré les paysans de Djidagba dans la commune d’Adja Ouèrè ? Où était l’Etat de droit quand Pierre Urbain Dangnivo a disparu comme une épingle dans une botte de foin ? Où est l’Etat de droit dans notre parlement quasi univoque ? Où est l’Etat de droit dans la maison du Juge Angelo HOUSSOU ? Va-t-il finir comme le juge Coovi ?

Puisque vous vous occupez d’articles, je me permets de vous renvoyer à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminés na point de constitution».

A beaucoup d’autres, je ne me serais pas donné la peine de répondre, mais à vous oui, parce que j’ai cru jadis en la sincérité de votre cause et je vous voyais capable, comme Mandela et Martin Luther King, de consacrer votre vie à une cause immuable, vivre pour elle, souffrir pour elle, et au besoin, mourir pour elle. Mais la cause a de solides héritiers, et malgré les intimidations,  l’écho sonore de nos voix amplifiera les aspirations du peuple.

II- SUR LA MODERNISATION DE L’ETAT DE DROIT

Madame la Ministre, la substance de votre propos sur Canal 3 a consisté à marteler que vous aviez milité contre la révision « opportuniste » et qu’aujourd’hui vous militez pour la révision « opportune ». En sciences sociales, pour comprendre les postures des acteurs de la société, il importe de regarder le lieu d’où ils parlent. Dans votre cas, ça se passe de commentaires.

Comme nous l’avons déjà entendu et lu, vous martelez que la révision que vous prônez mordicus  vise  à moderniser notre constitution en y introduisant les principes de parité, l’imprescriptibilité des crimes économiques, l’initiative populaire de la loi, la Cour des compte, la CENA, la LEPI.

Vous y tenez fermement et arguez que le « gouvernement continuera de déployer tout le trésor de persuasion pour démontrer » son bien-fondé. Contre la levée de boucliers générale dans le pays, je suis obligé de remarquer votre volonté frénétique d’enjamber la barrière à marche forcée, et j’en suis profondément contrarié. Le rôle d’une constitution est d’organiser la dévolution du pouvoir et la structuration institutionnelle des Etats en indiquant les grandes lignes et en posant les principes fondamentaux. On change de constitution ou on la révise lorsqu’elle porte des insuffisances qui paralysent le fonctionnent normal de la République.

Quand les Français se sont amusés à remettre les clés de  leur constitution entre les mains du maréchal Pétain, en lui conférant les pleins pouvoirs par la loi du 10 juillet 1940, ils ont eu la République de Weimar, la collaboration avec Hitler, la reddition, l’assassinat des résistants, le règne de la terreur. Ils ne sont pas près d’oublier.

Les attaques contre notre constitution aujourd’hui sont des attaques contre l’histoire du Bénin. Votre projet de révision, en introduisant entre autres des formules inutiles et superflues dans le préambule, nourrit nos suspicions et cela est légitime, car sur les exemples de la France que  vous citez, je ne sais pourquoi vous omettez de signaler que jamais on n’a touché le préambule ; qu’en 1946, en changeant de préambule, on avait changé de République.

Sur les fameuses intentions donc de modernisation, nous voulons finir une fois de bon en saluant la gentillesse  des révisionnistes que vous êtes (devenue) pour votre engagement en faveur d’une cause vouée à l’échec, parce que située aux antipodes des préoccupations actuelles des Béninoises et des Béninois.

Madame Reckya Madougou, votre sortie de ce 04 août est un acte de violence contre la patrie.

III- SUR LA BONNE FOI DU DOCTEUR

« Je vous mets au défi de mettre en doute la bonne foi du Chef de l’Etat », aviez-vous martelé, avant de vous raviser, pour déserter ce terrain illico presto, comme si vous vous étiez subitement aperçue d’avoir commis une bourde.

Je prends sur le sujet acte de votre amende honorable, et vous imaginez que je ne vous en veuille pour cela. Car au fond, au canard que je suis, comment voulez-vous que je parie sur la bonne foi du renard ? Le plus petit canard connaît si bien les caractères de son ennemi héréditaire que lorsqu’on traîne une fourrure rousse par une ficelle au bord de la mare, l’oiseau se ressaisit subitement, aguiche ses sens, se jette à l’eau sans quitter de l’œil l’intraitable fourrure qu’il observe dans tous les sens. Il observe une vigilance jamais prise à défaut, sinon à son péril, car une baisse de régime de surveillance pourrait engager son pronostic vital. C’est avec cette angoisse que nous vivons aujourd’hui et le sommeil donc ne peut plus constituer pour nous un lieu sûr. Ceux qui s’y adonneront auront pris le risque de voir culbuter la République dans le royaume de l’hypersomnie, dont le voisinage immédiat est la nuit éternelle.

Vous avez parlé d’engagement public pris devant des sommités ? Le peuple se souviendra longtemps du « Je ne reculerai jamais » au sujet du programme de vérification des importations. Les promesses politiciennes, avons-nous appris, n’engagent que ceux qui y croient.

Sur la bonne foi des présidents très aimés, docteurs réels ou autoproclamés, les exemples valent la peine d’être cités. Je pense au « Docteur Rafael Leonidas Trujilo Molina, Honorable Président de la République dominicaine, Bienfaiteur de la Patrie et Reconstructeur de l’indépendance financière de la République » qui se faisait élire, de bonne foi, avec plus de voix que de votants. A Papa Doc, François Duvalier, « Protecteur du peuple, Bienfaiteur des pauvres, Electrificateur des âmes », qui régenta Haïti au moyen de ses névralgiques tontons macoutes et avait même pu augmenter par décret l’âge de son fils afin de lui confier la succession. Qui mettrait en cause sa bonne foi ? Qui mettrait en cause la bonne foi de certains de nos illustres présidents du continent passant plusieurs décennies au pouvoir et transmettant le témoin à un fils biologique ou politique ?

Quand à  leurs pieds, ils ont l’armée, la police, la gendarmerie, le trésor public, les caisses noires, comment douter de leur bonne foi ?

Mais je ne vous blâme point. Le ministère auquel est assigné l’homme public est un office exigent. Vous avez voulu tout bonnement mériter votre poste. Vous aurez essayé, mais dans l’opinion, soyez en sûre, l’affaire ne passe pas.

IV- NOUS ALLONS RESISTER

« Quiconque a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu », écrivait Jean de La Fontaine dans la fable « L’hirondelle et les petits oiseaux ».

Ces sept dernières années, j’ai beaucoup appris, et j’espère n’être pas seul. Héritiers d’une solide fortune de honte, les jeunes sont  déterminés aujourd’hui  à se relever pour livrer bataille et barrer  la voie à cette révision que nous avons beau jeu de soupçonner d’opportuniste, dès lors que nous ne pouvons  gager, pas plus que vous-même d’ailleurs,  sur la bonne foi de son initiateur.

Le gouvernement peut faire la sourde oreille. Au sein du peuple aujourd’hui, une colère sourde gronde. Les mouvements d’humeur dans le monde, de l’immolation de Bouhazizi en Tunisie au campement de Zucotti à New york, attestent que le combat contre l’oppression, le combat pour la démocratie est un impératif de tous les peuples. « Si tu demandes à ton peuple de se jeter à la mer, il fera la révolution », disait Saint-Exupéry.

A ceux qui l’auront oublié, sous l’effet de l’ivresse du pouvoir, et semblent  avoir fait le pari de laisser derrière eux, un océan d’horreur et de désolation, nous disons qu’ils verront en face d’eux des Béninois Debout.  Et s’il est vrai qu’ils lanceront  à notre assaut des chars de guerre, nous leur répondrons sans violence par  le chant des maquisards bissau-guinéens de Amilcar Cabral: « Une foule de soldats, ce n’est rien, c’est la résistance qui est tout »

L’entassement des couches de frustrations est une bombe que la révision, « opportuniste » ou «opportune » de la constitution n’est pas près de désamorcer. Mais la République du Bénin n’est pas disposée à  tomber  dans les liens  de la « papadocratie ».

Qu’on lance les soldats à notre assaut, qu’ils nous massacrent s’ils veulent ! Ils apprendront à l’arrivée une leçon de la nature : la vipère qui se jette gueule ouverte sur les épines du hérisson, finit par se  blesser  cruellement, et en dépit de son venin, l’issue lui est  toujours fatale. Les mots d’ordre sont donnés, avons-nous appris, et la promesse du massacre est formelle.

Quand cela arrivera, Mme Madougou, vous le regarderez à la télévision et votre conscience sera tranquille.

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