Le président du Conseil des sages et notables de la ville de Porto-Novo, Karim Urbain da Silva, replonge les Béninois dans les souvenirs qui ont conduit notre pays le Bénin à l’accession à la souveraineté nationale et internationale.
En un mot, le patriarche estime que, à l’instar des autres pays de la sous-région, le Bénin n’était pas prêt pour son indépendance. D’autres situations ont contraint la France à précipiter l’indépendance de certaines de ses colonies en Afrique. Lire ci-dessus l’intégralité de la déclaration du doyen Urbain Karim da Silva.
« L’indépendance, on ne l’attendait pas par ce chemin là. Après la grande tournée du Général De Gaulle, pour que son référendum de la Communauté franco-africaine, qu’il nous proposait, passe afin que nous votions favorablement pour. Il est arrivé qu’en Guinée, que la réaction de Sékou Touré l’avait mis à mal, si bien qu’il s’est mis à crier «vous voulez l’indépendance ? Prenez-là», en votant massivement contre le projet de référendum.
La Guinée a voté Non. Nous, nous étions pour un Non avec Akpity, nous étions pour un Non. Avec Assawaba du Niger, avec Djibo Bakary, comme le mouvement venait de Djibo Bakary du Niger, vous savez le Dahomey s’est rallié. Et tout était mis en œuvre pour faire échouer Djibo Bakary, casser l’Assawaba et amener un gouvernement là-bas. Un Corse, car ce sont les Corses qui ont beaucoup aidé les Français dans leur projet de s’établir en Afrique. Avec ce qui est arrivé aux Guinéens, Sékou Touré a lancé un appel à tous les cadres de venir à son secours. Je faisais partie des gens qui s’y sont rendus. Moi, dans mon domaine, j’étais parti réparer presque toutes les machines d’imprimeries, car les Français, ils ont pris des marteaux et ont cassé toutes les pièces maitresses. On a vu ce qui est arrivé aux Guinéens et on a pris peur. Et nous, on s’est dit, si ça allait mal, nous avons un grand chapeau qui est le Nigéria.
Et l’amitié d’Akpity avec Awolowo du Nigéria, qui est intéressé. Il était à la recherche d’une couverture. Le gouvernement français a pris la décision de dépasser les faits, en mettant sur pieds une commission de quatre membres, qui en une semaine, est passée au Dahomey, au Niger, au Burkina-Faso et en Côte-d’Ivoire. On n’y a cru, mais il y avait des réserves. Ils ont donné par une main et, est-ce qu’ils ne vont pas reprendre par une autre ?
C’est dans cet état d’esprit qui nous animait, qu’on a eu l’indépendance. On se disait que l’indépendance ne peut pas se donner de cette manière, mais on a pris certaines dispositions, dont celles que je vous ai dites tantôt, et bien d’autres que je ne pourrais pas vous révéler. Mais, Dieu merci. Et la guerre de 1939 à 1945 avait ruiné la France.
C’est dans cet état d’esprit qu’une équipe de parlementaires et des membres du gouvernement, sont allés assister à l’indépendance. En deux jours, en Haute Volta, au Niger, en Côte-d’Ivoire, la mission était terminée. Vous savez, il n’y a pas une école de politique, une école où on forme les ministres, donc c’est arrivé comme ça, et la France nous a laissé dans une situation pécuniaire malheureuse, car c’est pour qu’on échoue qu’elle a fait ça.
Mais, dieu merci, il m’a éclairé et j’ai pu proposer des pourcentages à mettre sur les produits de première nécessité. Je suis allé voir Adandé, je lui en ai parlé, on a réussi et la Caisse de Compensation a été créée. C’est venu de moi cette caisse. Et comme on a vu que ça rapporte, on en a fait une institution, et l’Etat payait les dettes des professeurs et autres.
C’est de là que les tickets de marché ont été créés, c’est moi qui l’ai créé et c’est devenu aujourd’hui un machin pour tous les départements de notre pays. Et celui qui était au Trésor ici à Porto-Novo, c’est Assogba André, il vit encore. J’avais ouvert mon imprimerie et il me fallait trouver du travail. On vendait et l’Etat trouvait aussi ses comptes. Mais, notre grand malheur, c’est l’absence du patriotisme, c’est-à-dire le Béninois n’est pas patriote, c’est la course à l’argent. Les jeunes cadres, les premiers diplômés, quand ils arrivent, ils n’ont rien dans la tête, c’est de bousculer les ainés qui ont des années d’expériences.
C’est tout ça qui a précipité notre faillite. Donc, c’est nous-mêmes qui avions retardé notre pays et c’est «ôte-toi que m’y mette». Les coups d’Etat qui se sont succédés, ce n’est pas à cause d’un programme. L’arrivée d’Akpity ici à Porto-Novo, c’est un prêtre, le père Aupiais, qui l’a amené chez lui pour venir le proposer aux siens. Le respect que nous avons pour la mission, c’est un respect religieux. Porto-Novo était le cœur du Bénin, car tous les cadres sont fabriqués ici. Je ne juge pas, je ne qualifie pas, les faits qui ont amené Ahomadégbé, qui a eu tous ses enfants ici, à se comporter de la sorte. Quand les siens l’ont suivi, c’est devenu une région contre une autre région. D’où la naissance du régionalisme, la naissance du monstre à trois têtes…»
Propos recueillis par Ismail Kèko
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