La vie est choix. Les Béninois peinent à s'accorder sur la nécessité ou non de réviser leur Constitution. Qu'à cela ne tienne. Plutôt que de continuer à ronger leurs freins devant une porte encore fermée, il est en leur pouvoir d'en ouvrir une autre. Elle donne accès à un nouveau chantier : la révision du discours public.
Oui, le Bénin est en crise. Tout le monde le reconnaît. Même s'il se trouve des gens qui prétendent ne rien voir, ne rien entendre. Il n'y a pire sourd et il n'y a pire aveugle que celui qui ne veut rien entendre, que celui qui ne veut rien voir. La crise qui nous malmène et qui nous tourmente détermine chez chacun de nous un certain état d'esprit. Nos discours publics en sont colorés. Il en est de même de toutes nos élaborations langagières. Cela a pour conséquence de mettre en évidence quelques expressions qui trahissent nos différentes postures face à la crise. Nous en avons retenues quatre. Les unes et les autres serviront à illustrer notre propos.
Le gouvernement n'a rien fait, le gouvernement n'a rien réalisé
Face à la crise, nombre de nos compatriotes se défoulent comme ils peuvent. Ils se barricadent à double tour dans un nihilisme desséchant. C'est à croire qu'ils ont chaussé des lunettes qui leur font voir tout en noir. Rien ne trouve grâce à leurs yeux. Personne n'échappe à leur jugement mortellement tranchant et finalement assassin. En sept ans de régime Boni Yayi, soutiennent-ils avec aplomb, on n'a construit aucune école, aucun centre de santé, pas un seul kilomètre de voie pavée. Il est dit que tout ce qui est excessif est insignifiant. Celui qui s'engage ainsi à tout peindre en noir, à tout nier fait preuve d'une malhonnêteté sans nom. Il finira, tôt ou tard, par se renier lui-même.
Je ne suis au courant de rien
Si, comme il est dit "qui veut noyer son chien l'accuse de rage", qui veut se dédouaner à bon compte et garder, malgré tout, les mains propres, s'exclut de la chaîne de l'information, donc de la chaîne des responsabilités. Celui-là pense alors être quitte de tout, illustrant à sa manière l'aphorisme bien connu de Jean-Paul Sartre : "L'enfer, c'est les autres". Nous devons gommer de notre vocabulaire l'expression qui autorise cette fuite des responsabilités. Dans les pays normaux, des responsables, à divers niveaux, engagent leur responsabilité morale et démissionnent pour peu qu'une affaire qu'ils ignorent pourtant, vienne à éclabousser leur sphère d'activité. C'est le lot et le destin du leader. On n'est pas à la tête d'une caravane ou premier de cordée pour des prunes. Le chef doit avoir toujours le dos large pour payer pour chacun de ses compagnons.
Tout est foutu, le Bénin est fini
C'est le discours récurent de la démission joyeuse, de l'abandon innocent, de la défaite triomphante. Quand on est parvenu à ce plancher zéro de performance, on peut alors distiller à loisir le découragement et la démotivation. C'est l'invite pure et simple à fermer à plusieurs tours la maison Bénin et à aller se cacher. Circulez, y a rien à voir ! Et beaucoup de nos compatriotes ont épousé ce pessimisme noir qu'ils justifient de diverses manières. Les plus fatalistes d'entre invoquent une soi disant malédiction du roi Gbèhanzin. Le dernier roi résistant du Danxomè, avant de prendre le chemin de l'exil auquel les Français qu'il a combattus l'avaient contraint, aurait maudit son royaume. D'autres soutiennent que le Béninois a un cœur d'une noirceur exceptionnelle. Aucun détergent n'a le pouvoir de rendre à ce cœur même un semblant d'obscure clarté. Comme dit la chanson "Noir, c'est noir".
"Dieu fera" (entre guillemets) ou Dieu seul peut sauver le Bénin
Quand le Béninois a épuisé ses recettes et a fini de faire le tour de ses "pouvoirs", c'est devant Dieu qu'il vient s'échouer. A l'image de l'épave d'un navire qui a définitivement soldé son compte dans le grand livre de la navigation. Il s'en remet platement à Dieu. Ce que condense bien l'expression populaire "Dieu fera". Il se retire de scène et fait place nette, après qu'il eut jugé de son inutilité. Et Dieu qui n'aime pas les lâcheurs de lui répondre par une question. Référence à la célèbre parabole biblique : "Qu'as-tu fait des talents que je t'ai confiés ?" Oui, la leçon est claire : personne ne sauve personne. Hors de nous-mêmes, et bien sûr, sans l'aide de Dieu, point de salut!