Révision de la Constitution : Maurice Ahanhanzo-Glèlè dit « non » à Boni Yayi (audio)

Le professeur Maurice Ahanhanzo Glèlè est l’une des  figures emblématiques de l’histoire de notre pays et singulièrement de l’histoire constitutionnelle de  ces vingt dernières années. Il est unanimement considéré comme le Père de la Constitution de décembre 1990.

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Dans le débat actuel sur la révision de la constitution, son intervention était attendue et son opinion vivement souhaitée.  C’est désormais chose faite depuis la semaine dernière, avec l’interview accordée à  Radio Immaculée conception, au cours de l’émission  Libertas animée par le juriste Serges Prince Agbodjan. Dans cet extrait, l’immense homme de droit ne se prononce pas encore sur le contenu du projet de loi initié par le Président Boni Yayi. Ce sera certainement pour une prochaine émission. Pour l’heure, il fait état de trois vices rédhibitoires dont souffre le projet de révision. Le premier vice a trait au décret portant transmission du projet de loi. Il affirme que, pour n’avoir pas eu l’avis  de la Cour Suprême, le projet est anticonstitutionnel. Le deuxième vice se rapporte à la notion de consensus érigé en principe constitutionnel par une précédente décision de la Cour. Le Président de la République aurait dû  procéder à un large débat autour de son texte, comme il a été fait en 1990, avant même de le transmettre à l’Assemblée Nationale. Le troisième vice rédhibitoire est relatif à l’opportunité même du projet de révision. A ses yeux, il est inopportun, au regard des difficultés et souffrances auxquelles les  populations sont confrontées aujourd’hui. Interview…

Version audio

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Transcription

Vousêtes constitutionnaliste, le premier agrégé de Droit public du Bénin. Les 07 et 08 août 2006, sur votre initiative, nous avons eu les Journées de réflexion sur la Constitution du 11 décembre 1990. C’était à votre institution, l’Institut des Droits de l’Homme (Idh) et de la Démocratie, la démocratie au quotidien. Des journées organisées avec la Chaire Unesco des Droits de l’Homme, de la personne humaine et de la démocratie. Au cours de ces journées, vous avez présentez une communication inaugurale. Et dans la communication, j’ai tiré deux éléments que je voudrais commencer par présenter. Vous avez dit que «la Constitution n’est qu’un patchwork fait d’éléments hétérogènes et disparates, de dispositions sans liens entre elles. Elle, la Constitution, est tout en harmonie. Le moindre dysfonctionnement entre les organes interdépendants, entraîne le blocage de tout le système qui s’écroule laissant le champ libre aux coups de force». Voilà un extrait de ce que vous avez dit dans votre conférence inaugurale. Et vous avez ajouté qu’il faut changer la Constitution, mais qu’on dise ce qu’il faut changer, pourquoi et par quoi on veut remplacer. Car, il est trop facile de déclarer qu’il y a des insuffisances, des lacunes et des failles dans la Constitution du 11 décembre 1990. Il faut motiver et justifier les amendements et améliorations qu’on suggère.

 Professeur, ça nous amène à rentrer dans la réflexion que nous aurons, qui est le processus de révision de la Constitution. Nous avons vu, la presse l’a d’ailleurs diffusé, l’intention de révision qui a été clairement affichée par le gouvernement actuel,  qui a envoyé un document à l’Assemblée Nationale. La première question, ce que les Béninois veulent savoir, puisqu’entre temps, vous avez été membre de la première commission qui a travaillé sur cette réflexion, est-ce que c’est votre rapport qui a été envoyé à l’Assemblée Nationale ? Est-ce que vous vous êtes retrouvés dans le rapport qui a été envoyé à l’Assemblée Nationale?

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Je vous remercie. D’autant que vous citez un travail effectué à l’Idh, dans lequel nous portions déjà des jugements sur la Constitution. Nous évaluions ce qui a été fait, l’usage qui a été fait de la Constitution. Retenez ceci. Je dirai que, ayant présidé la commission de la Conférence Nationale qui a rédigé la Constitution, je suis très attaché à cette Constitution. Ensuite, quand il a été question, en 2006, d’une révision de la Constitution, j’ai dit, oui, la Constitution permet qu’on la révise, qu’on apporte des modifications si c’est nécessaire, et qu’on apporte ces modifications suivant les règles et les procédures prévues par la Constitution. Vous vous souviendrez qu’avec vous, au cours de nos séances ici, j’ai déjà déclaré, comme on le dit en fon, “là où on passe pour monter sur l’arbre, par là on descend.’’ C’est-à-dire qu’il faut que le texte qu’on va soumettre à  l’Assemblée, en cas de nécessité d’après les dispositions de la Constitution, soit soumis au préalable à la population.

Parce que c’est ce qui avait été fait en son temps?

Exactement. Vous vous rappelez, le thème vulgarisation, popularisation. On a popularisé le projet de constitution élaboré par la commission du Hcr (Haut Conseil de la République, Ndlr) que j’ai présidée. N’oubliez pas que c’est la Conférence Nationale qui m’a élu président de la Commission constitutionnelle. Ce n’est pas par des magouilles, etc. Quand on a fait ce travail, on l’a soumis au peuple. Moi, je suis allé à Covè, à Dogbo, un peu partout. J’ai parlé aux militaires : voilà ce qu’il y a d’essentiel dans la Constitution, voilà le texte de la Constitution. On l’avait distribué avant. Donc on l’a vulgarisé.

Il y a eu des débats?

Il y a eu des débats. A Dogbo, je me souviens toujours. Pour ceux qui se souviennent de ce que j’ai dit à Dogbo, qu’ils s’en souviennent. J’étais parti à Dogbo, et puis les gens ont dit : «Ah, le voilà ! C’est le père de la Constitution. C’est lui qui a fait ça.» Et ils m’ont dit, «Est-ce que tu as mis dans ta Constitution qu’on ne doit plus arrêter les gens n’importe comment, pour un oui, un non, les enfermer ? Si tu n’as pas mis ça la-dans, nous, on ne va pas voter la Constitution. Avec la révolution, n’importe qui vient t’arrête. Si c’est ton père qui a fait quelque chose, on t’arrête. Nous, nous ne voulons pas ça»

J’ai dit : les principes, ce qu’on a défini dans la Constitution, interdisent l’arbitraire, la détention, la garde-à-vue. Je leur ai expliqué ça. Ils ont dit d’accord.

 C’est la meilleure leçon de liberté publique que j’ai reçue. Parce que ça venait du peuple.

Donc, le Président, le Chef de l’Etat, le gouvernement actuel, m’a demandé de présidé une commission pour procéder à une relecture. Relecture ! Et il l’a employé avant-hier (31 juillet, Ndlr). Il n’a pas parlé de révision. Mais, le texte qu’il a envoyé à l’Assemblée, c’est un projet de révision. Ce n’est pas la relecture.

Donc déjà, il y a une différence dans la démarche?

Ensuite, je vais préciser cela. Nous, nous avons dit, qu’avant qu’un texte soit envoyé à l’Assemblée ou pour référendum, il faut aller devant le peuple. Le Président a dit Oui. J’ai quand même les membres de notre commission qui sont encore vivants.

Pour vous, dans la démarche, c’est qu’avant même que le projet n’aille à l’Assemblée Nationale, il faut déjà le débat au niveau du peuple?

Pour la raison suivante. Moi, j’ai des zémidjans qui m’ont interpelé là où je prends le journal, c’est à côté de la morgue, tous les jours avant d’aller à la messe du matin à St Michel. Et ils m’ont dit, «Est-ce que c’est vraiment votre texte qu’on a envoyé ?» J’ai souri et j’ai dit : «Monsieur, calmez-vous. Si c’est ça la question que vous me posez, je viendrai vous faire le développement nécessaire.» Et je suis parti.

Donc le Président, qui avait accepté soumettre un texte à l’Assemblée, mais après l’avoir soumis à la population, aujourd’hui, ne l’a pas fait. Et qu’est-ce que je constate ? Même notre texte que nous avons préparé, ça n’a pas été suivi par le gouvernement. Or, je l’ai dit, et je le répète, c’est lui qui nous a demandé un travail de relecture. Nous avons relu le texte, nous lui avons fait des suggestions.

Donc, il faut être clair, ce n’est pas le processus. Le processus que nous avons suivi en 1990, sous le Haut Conseil et sous la présidence de Mgr de Souza, c’est d’aller diffuser ce que nous avons arrêté, nous commission, qui a été soumis d’abord au Hcr et ensuite a été vulgarisé, c’est-à-dire exposé à la population. Et dans ses langues.

Ce n’est donc pas les mêmes textes, ce n’est pas les mêmes éléments que vous avez plus ou moins envoyés dans votre commission, qui se retrouvent être le document final?

Non. D’autant que le président nous a ignorés complètement. Il sort ce texte, alors qu’il nous doit du respect. On a fait un travail. S’il n’est pas d’accord, il nous le dit. Et de toutes les façons, comme c’est lui qui a commandé le travail, il peut modifier ce travail-là. Mais, au moins qu’il ait l’amitié de nous communiquer ça. Il nomme une autre commission. C’est la Commission Gnonlonfoun. Il faut appeler les choses par leur nom. Nous connaissons tous les membres.

Est-ce que ça voudrait dire qu’il n’était pas trop satisfait de votre travail?

Il n’a qu’à le dire. La Commission Gnonlonfoun a travaillé. Ils ont même publié un petit fascicule.

Que vous n’avez pas eu les moyens de faire

Non, de toutes les façons, c’est du gaspillage d’argent de mon point de vue. Ce n’est pas ça qui intéresse le peuple. Est-ce qu’on a diffusé ce travail-là ? On ne l’a pas diffusé. Nous avons remis un texte. Il a pris certains éléments de notre texte. Je dis qu’il faut absolument qu’on discute du texte. Il était d’accord pour qu’on reste sur la limitation d’âge. Il l’a dit, il le répète maintenant, c’est son droit  le plus absolu. Au moins là, sur ce point-là, il y a une cohérence. Limitation d’âge, limitation du nombre de mandat. Tout ça nous l’avons dit. S’il présente ça, on ne peut pas être en désaccord avec lui, mais la procédure déjà est mauvaise. 

Donc sur la démarche, il y a un biais?

C’est de la manipulation. Il faut dire le mot. Dans l’exposé qu’il a envoyé à l’Assemblée, il dit qu’il a gardé notre texte. Ce n’est pas vrai. Et s’il a gardé le texte, les modifications qu’il a portées, je vous demande qu’on ne les aborde pas  maintenant. Que ces modifications y figurent s’il veut. Mais, qu’il les soumette d’abord au peuple pour que le peuple se prononce.

On a parlé de dysfonctionnement, ça ne veut rien dire. Des thèmes pour les juristes et pour les grands intellectuels. Pourquoi voulez-vous révisez, qu’est-ce que vous voulez réviser, et qu’est-ce que vous voulez mettre en place ? Est-ce que c’est mieux que ce qu’il y a là, ou bien vous allez faire des manœuvres, et dire que vous révisez et demain qu’on soit confronté à un avenir de malheur, de misère ? Personne ne m’a jamais répondu. Nous, nous avons vu, sur le plan technique, ce qu’il fallait faire. C’est ce que nous, en tant que juristes, il y avait aussi des sociologues dans mon groupe, nous avons défendu un certain nombre de principes que nous avons réaffirmés, la limitation d’âge, le nombre de mandat.

Vous vous êtes tout à l’heure référé, dans votre texte introductif, au livre que j’ai publié à l’Idh sur la réflexion sur la révision de la Constitution du 11 décembre 1990. C’est depuis le 07 et le 08 août 2006. Et j’ai dit en ce moment-là : vous voulez modifier la Constitution, sous le Président Kérékou, qu’est-ce que nous avons fait ? Il y a eu des gens qui se sont mobilisés. Touche pas à ma Constitution ! Nous avons contribué. Moi, j’ai contribué personnellement. Et il y a eu recul du Président Kérékou. Lui, il veut, il décide de faire relire le texte.  

Dans votre rapport, il y a un élément que les Béninois se demandent. Dans la pratique de la Constitution, c’est quelque chose à corriger, mais qu’on ne retrouve pas du tout dans les rapports. Et chez vous, on a semblé qu’il y a eu un débat autour. La nomination par exemple du Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (Haac), la nomination des présidents d’institutions. Pour certains aujourd’hui, une réforme de la Constitution doit rendre ces personnes-là encore plus autonomes, plus indépendantes. Et ces dispositions, aujourd’hui, sont restées en l’état, c’est-à-dire, c’est le Président de la République qui nomme le Président de la Haac, de la Cour Suprême… Alors que c’est une réforme qui devrait amener notre pays à l‘avenir. C’était des réformes de ce type qu’on ne retrouve pas. Mais, est-ce que vous, vous en avez parlé ? Pourquoi cette question ne s’est pas retrouvée, par exemple dans le projet, pour qu’on puisse savoir que non ; désormais, le Président de la Haac serait un Président indépendant, le Président de la Cour Suprême aussi?

Le Président de la  Haac doit être élu par ses pairs, le Président de la Cour Suprême par ses pairs. Nous avons posé un certain nombre de conditions. Nous en avons discuté. Pour l’instant, je m’en tiens d’abord à la procédure. Vraiment, je vous demande de faire calmer le jeu. Mon souci majeur, c’est qu’il n’y ait pas le feu à ce pays. C’est tout.

Donc votre intention, c’est de dire qu’on calme le jeu, qu’on arrête tout ça.

Qu’il arrête toutes les réformes, surtout les réformes constitutionnelles, parce que la Constitution, c’est la Loi Fondamentale. Ça nous intéresse tous. Il ne peut pas rester dans son cabinet, il ne peut pas se contenter du projet fait par la Commission Maurice Ahanhanzo-Glèlè, qu’il a fait modifier à sa manière, et présenter ça à l’Assemblée. Et les députés qui doivent adopter ça, doivent réfléchir eux-mêmes. Ils sont les représentants du peuple, mais ils ne sont pas le peuple. Je ne les offense pas en disant cela. Nous sommes quand même dans un monde où cela se comprend de plus en plus. Regardez ce qui se passe en Afrique du Nord. Le peuple se soulève.

Il  y a une polémique qui avait été annoncée, qui était que, même dans la procédure on n’a pas eu l’avis de la Cour Suprême.

L’article 105 de la Constitution est clair et net là-dessus. Articles 105 de la Constitution : L’initiative des lois appartient, concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée Nationale. Alinéa 2, c’est ça le plus le important pour nous aujourd’hui : Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres, après avis motivé de la Cour Suprême, saisie conformément à l’article 132 de la présente Constitution, et déposés sur le bureau de l’Assemblée Nationale.

Ce qui suppose qu’on doit obtenir…

Il n’y a pas à supposer. Ce qui impose que le projet de révision, projet de loi, soit soumis à la Cour Suprême qui doit donner un avis, un avis motivé. Je plains mon collège, le Président Holo. La Cour Constitutionnelle ne peut pas dire, ne peut pas dicter ce que la Cour (Suprême, Ndlr) doit dire. L’article 105 n’ayant pas été respecté, le décret portant transmission, y compris le texte, est inconstitutionnel.

Vous l’affirmez.

Oui. Quelqu’un l’a dit paraît-il dans une presse.

Lorsqu’on parle de projet de loi, on dit que le projet de loi portant révision est différent des projets, donc ne doit pas faire objet d’avis. Je trouve que la Constitution n’a même pas fait de différence par rapport à cela.

La Constitution, c’est nous qui l’avons écrite, et nous avons dit par quel processus, ça a été adopté. Est-ce que  la Constitution a défini, a dit quelque part, qu’elle – la Constitution – est une  loi spéciale ? Non. Je demande au Président de la République, je le dis avec conviction, avec force, il faut laisser tomber cette réforme constitutionnelle. Puisqu’il est maintenant dans des réformes, des réformes et réformes. Il a encore trois ans devant lui. Il a le temps de nous faire voir ce qui est utile à faire.

Les gens n’ont pas à manger. Moi, j’ai traversé certaines rues de Cotonou, c’est une honte. Chez moi, aux Cocotiers, 1er quartier résidentiel, il y a tout temps de l’eau. J’ai beau mettre des cailloux et autres. Il y a des lampadaires qui ne s’allument pas depuis des années. On est obligé, nous autres, ce n’est pas beau à dire, de donner un peu d’argent à tel agent pour qu’il vienne nous faire allumer au moins un lampadaire. Ce qu’il doit faire, s’il veut absolument laisser un nom dans l’histoire, c’est assurer le pain quotidien aux populations. Allez à Calavi, moi je m’en vais souvent à Abomey chez moi. Allez à Zinvié, c’est mon village maternel. Il y en a qui n’ont pas les trois repas par jour. Et vous allez à Dantokpa pour acheter n’importe quoi, c’est trop cher maintenant. Donc, c’est de ça qu’il doit s’occuper.

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